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Deux jours, une nuit : Les frères Dardenne parlent de Marion Cotillard, de la crise, de Batman...

Comment on travaille avec Marion Cotillard ?

Après Jacques Audiard, James Gray, Woody Allen et Christopher Nolan, Marion Cotillard accroche les frères Dardenne à son époustouflant tableau de chasse. Les frangins belges, deux fois Palme d?or et réalisateurs de <em>Deux Jours, une nuit</em>, nous expliquent comment ils s?y sont pris pour filmer la star la plus désirable du cinéma mondial<em> « comme si c?était la première fois »</em>.Elle est la star absolue, l?actrice totale de notre époque, exactement comme l?était Nicole Kidman au début des années 2000, quand elle enchaînait Eyes Wide Shut et Moulin Rouge !, Dogville et Les Autres, suscitant le désir partout, donnant à sa filmo le genre de cohérence thématique d?habitude réservée aux cinéastes démiurges. Pour Marion Cotillard, il y a d?abord eu La Môme, l?Oscar et le triomphe international. Puis vinrent les blockbusters nolaniens (Inception, The Dark Knight Rises), les rencontres en apesanteur avec les grands auteurs américains(Michael Mann, Woody Allen, James Gray), le choc De rouille et d?os, les pubs tournées par Lynch, un clip pour Bowie (<em>The Next Day</em>) et le « power couple » formé avec Guillaume Canet. Sa rencontre avec les Dardenne s?inscrit dans cette logique-là, celle d?une actrice capable d?investir tous les champs du cinéma et ayant fini, à force d?obstination (et de bon goût), par se retrouver à l?épicentre du cinéma mondial.

Le mode d'emploi des frères Dardenne

Dans Deux Jours, une nuit, elle incarne Sandra, une ouvrière qui se remet d?une dépression et cherche à convaincre ses collègues de renoncer à une prime pour qu?elle puisse conserver son boulot. Une fable politique qu?elle habite avec la même rage contenue et la même soif démocratique qui animait Henry Fonda dans <em>12 Hommes en colère</em>, de Sidney Lumet, et où elle renoue avec quelques-unes de ses marottes (le corps supplicié, l?injustice sociale, le chemin de croix). La sélection du film dans la compétition pour la Palme d?or complète un fabuleux tiercé cannois entamé en 2012 avec <em>De </em><em>rouille et d?os</em> et poursuivi l?an dernier avec The Immigrant. Séductrice amputée chez Audiard, madone violentée chez Gray, prolo entêtée pour les Dardenne, Cotillard veut ? et peut ? tout jouer. Vous aussi vous vous demandez comment elle fait ? Depuis le bureau de leur boîte de production, Les Films du Fleuve, Luc et Jean-Pierre ont mis leur téléphone sur haut-parleur pour nous expliquer ça d?une seule et même voix.<strong>Propos recueillis par Frédéric Foubert</strong>La vidéo de l'arrivée de Marion Cotillard à Cannes : 

Grâce à Jacques Audiard ...

"?Notre première entrevue avec Marion a eu lieu pendant le tournage de De rouille et d?os, qu?on produisait et dont une partie a été tournée en Belgique. On avait demandé à la voir. La discussion n?a duré qu?un quart d?heure dans un hôtel, près d?un ascenseur, mais on en est ressortis avec le sentiment d?avoir fait une grande rencontre. Comme si nous parlions tous les trois le même langage. C?est son visage, et aussi sa voix, qui nous ont impressionnés. ??l?époque, on travaillait sur autre chose, mais cette conversation nous a donné envie de nous replonger dans ce script qu?on avait mis de côté, Deux Jours, une nuit, un projet qui remonte à sept-huit ans et sur lequel on était bloqués. Quand on a revu Marion quelques mois plus tard à Paris, on lui a dit qu?on pensait toujours à elle. Elle nous a alors répondu : ?Si vous pensez toujours à moi, alors moi aussi je pense à vous...? Et voilà, c?était parti.??"

Bien sûr qu'on a vu Batman !

"Des films avec Marion Cotillard ? Bien sûr qu?on en a vus ! La Môme, qu?on aime beaucoup ; le James Gray, évidemment ; le Batman, super ; et aussi Taxi, Contagion, Les Petits Mouchoirs et puis Dikkenek, dont elle  n?aime pas trop parler, à raison, d?ailleurs... C?est la force des grands comédiens que de changer régulièrement de paysages et d?habiter chacun d?entre eux avec intensité. Mais nous ? et on espère ne pas être prétentieux en disant ça ?, on ne choisit jamais un acteur en fonction de ce qu?il a fait auparavant. On savait que c?était une grande actrice et ça nous suffisait. On n?a pas eu besoin de se renseigner pour savoir comment elle travaille, on n?a rien demandé à personne. Et on ne l?a pas non plus comparée à d?autres actrices du passé. Quand vous nous dites que James Gray pense à Lillian Gish ou à Louise Brooks quand il la dirige, ça nous fait franchement rigoler. On trouve ça terrible et surprenant de travailler avec une actrice en pensant à une autre ! Marion se suffit à elle-même, non ? Nous ne sommes pas encombrés par l?histoire du cinéma, pollués par des images fantômes. Dès qu?elle est apparue, on a d?ailleurs vu un corps qui était ?de notre univers?. La manière dont elle bouge, dont elle tombe, dont elle se relève, tout ça était proche de nous, de notre cinéma."

Du côté de la vie

<em>"Sandra est un personnage qui souffre. Elle est sous médicaments mais on ne voulait pas qu?elle porte ça sur elle. Elle est en conflit avec la maladie, c?est un roseau qui plie mais ne rompt pas. Le pari qu?on faisait en choisissant Marion, c?était de se dire que son visage, son regard, son sourire allaient toujours être du côté de la vie. On ne voulait pas d?un corps qui porte les stigmates de la dépression, et ça, quelles que soient nos intentions de mise en scène,</em><em>ça passe avant tout par le corps de l?interprète. Par son travail, sa souplesse et son intelligence. Dès l?écriture, on se doutait que Marion saurait très bien faire ça."</em>

Se mettre en danger

<em>"Dès le début, on a expliqué nos conditions de travail à Marion. On répète beaucoup, avec une caméra, dans les vrais décors et avec tous les acteurs. On ne voulait pas, sous prétexte qu?elle est très connue, qu?elle ait un statut différent des autres. Tout le monde devait être sur un pied d?égalité, sans régime de faveur. Elle l?a très bien compris et elle était là avec nous tous les jours, du matin au soir, à répéter, à chercher, à se planter, à recommencer. Comme elle est très intelligente, elle devait se douter qu?elle pouvait intimider certains comédiens qui ont une filmographie moins imposante que la sienne. Et très vite, elle s?est alors mise en danger devant nous en prenant le risque de se </em><em>tromper. Au bout de deux jours, un climat de confiance s?est instauré et on a compris que ça</em><em>allait être formidable. Du coup, tous les autres acteurs ont suivi le mouvement. Quand la tête d?affiche d?un film joue ce jeu-là, le résultat final lui doit beaucoup."</em>

Le mot d'ordre? Pas de performance

<em>"Le film se passe sur les bords de la Meuse, dans un endroit où les gens ont un accent. Notre préoccupation était qu?on n?entende pas que Marion habite Paris et que son personnage n?ait pas l?air d?être venu passer le week-end en Belgique ! (Rire.) Mais on ne lui a pas demandé pour autant de modifier son accent, de travailler dessus au point qu?on se dise qu?elle vient de Liège plutôt que de Charleroi. De toute façon, le mot d?ordre était : pas de performance. Ne pas chercher à faire des choses impossibles ou qui paraissent trop construites. Et ça valait aussi pour nous ! On ne voulait pas que nos mouvements de caméra aient l?air trop écrits. On sait qu?on peut parfois être virtuoses... Le film est construit autour de plusieurs plans séquences, des blocs de temps réel, mais on ne souhaitait pas que le jeu des acteurs soit dicté par l?emplacement de la caméra. L?idée, c?était de rester simple. On cherchait avec eux et on voyait où placer notre caméra pour capter ça."</em>

Comme un premier film

<em>"On a filmé Marion comme si c?était une inconnue qui jouait dans son premier long métrage. De toute façon, si vous êtes un grand comédien, à chaque fois que vous commencez un tournage, ça doit être votre objectif,</em><em>non ? Bien sûr, c?était difficile de faire comme si elle n?avait pas de passé, mais nous aussi on en a un. Et Marion avait sans doute autant envie que nous que ce tournage ressemble à une première fois. Dans Deux Jours, une nuit, on filme une star internationale sans qu?à aucun moment elle n?ait l?air de l?être. Cela dit, tout ça, c?est le b.a.-ba. C?est le but de tous les acteurs et de tous les cinéastes qui essaient de défendre leur job. Sinon, ça ne sert à rien de faire du cinéma."</em>

Après Jacques Audiard, James Gray, Woody Allen et Christopher Nolan, Marion Cotillard accroche les frères Dardenne à son époustouflant tableau de chasse. Les frangins belges, deux fois Palme d’or et réalisateurs de Deux Jours, une nuit, nous expliquent comment ils s’y sont pris pour filmer la star la plus désirable du cinéma mondial « comme si c’était la première fois ».