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À travers cette fiction ambitieuse, Alexeï Guerman Jr. évoque ces dommages collatéraux avec une mélancolie slave ampoulée plutôt qu’un sentiment de rage ou d’absurdité. Mais le vrai problème de ce réalisateur de 34 ans, c’est qu’il paraît en avoir 1 000. Sa mise en scène semble comme écrasée par les figures de cinéastes tels que son père, Alexeï Guerman, ou Andreï Tarkovski, et par le poids du XXe siècle tout entier, qu’il revisitait déjà dans ses premiers films. Résultat : alors qu’il pourrait exploiter le cadre brumeux et cinégénique du cosmodrome de Baïkonour, habilement recréé à l’aide de trois planches et d’une bâche, il préfère se noyer dans un verbiage et des mouvements de caméra en arabesque cherchant à imiter un cinéma révolu.
Toutes les critiques de Soldat de papier
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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Le cinéaste l'épingle sur des ciels cendrés où se dissout un soleil vitreux. Image sublime, onirique, hors du temps. Elle est douleur, démence et isolement. Il n'en fallait pas plus. Le réalisateur y ajoute des flots de paroles décousues. On voudrait qu'ils se taisent, tous. Trop tard, le film est fini.
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Filmé dans les plaines glaciales et venteuses du Kazakhstan, le projet du cinéaste consiste à jeter un regard sur l'Histoire à travers le récit de ces quelques semaines précédant un exploit technologique et scientifique inouï. Il trouve un harmonieux équilibre dans sa manière de concilier des plans longs, à la fois précis et subtilement élégiaques, et l'ample espace permis par l'écran large.
Ainsi, au fur et à mesure que le récit s'approche d'une échéance crainte et espérée (l'envol de la fusée), s'instaure une indissoluble mélancolie, nourrie par la connaissance rétrospective des cinquante ans qui ont suivi l'envoi du premier homme dans l'espace.
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Le film reflète en permanence cette mélancolie de l'inaccomplissement. En plans-séquences étrangement doux, sinueux, le cinéaste observe son héros en abandon de lui-même, face à ses semblables qui veulent espérer à toute force. D'où ce décalage perpétuel dans la mise en scène, d'où ces silhouettes perdues dans l'espace qui semblent s'éviter même lorsqu'elles se croisent. La dérision finit par créer une angoisse légère qui culmine, brusquement, lorsque l'épouse de Daniil Mikhaïlovitch, croyant le retrouver dans son « cosmodrome », aboutit à un ex-camp stalinien que des militaires brûlent pour en effacer à tout jamais les traces. Au désespoir d'une ex-taularde qui se sent chez elle sur ce lieu de douleur et ne veut plus le quitter...
La mise en scène est si savante qu'on soupçonnerait presque Alexei Guerman Jr (son père a signé 20 Jours sans guerre et Khroustaliov, ma voiture) d'être un rien trop conscient de son talent. Mais il est là, incontestable. Et d'autant plus évident quand le sentiment perce sous le brio.
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Étonnante, magistralement filmée, cette oeuvre existentielle et surréaliste met en orbite des images incroyables pour explorer l'espace incommensurable de l'âme slave. Un expérience cinématographique inédite, exigeante et... dépressive.
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Parfait contrechamp aux sagas spatiales glamour et patriotiques, "Soldat de papier", lion d’argent à Venise en 2008, complète l’histoire officielle via le regard désabusé d’un homme de l’ombre, écrasé par la légende qu’il contribue de forger.
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Ce Soldats de papier ressemble bien, à certains égards, à un film de Guerman père. Ce récit des débuts de l'aérospatiale soviétique, qui allait permettre d'envoyer le premier homme dans l'espace, témoigne du même goût pour l'histoire, et emprunte une forme comparable de fresque minimaliste, pour des raisons qu'on imagine autant économiques que cinégéniques. Sauf que les films de Guerman père étaient capables de figurer l'Histoire au moyen de deux camions, quelques éclairages et des pas dans la neige, avec un sens de l'urgence qui transparaissait dans chaque scène. La tentative du fils est morne et appliquée, et surtout caricaturale avec ses ciels gris, ses dialogues sentencieux et sa rhétorique irritante de fin du monde. De ce côté, l'opposition avec le film de Kaufman est totale : celui-ci se présentait comme l'exploration émerveillée d'une « nouvelle frontière » propre à stimuler l'ardeur du peuple américain. Celui-là patauge dans une métaphysique tarkovskienne qui finit par devenir extrêmement pesante.
Il témoigne aussi d'une attirance pour le cinéma européen moderne des années 70, dont le culte semble aller croissant. Une cinéphilie vintage dont l'horizon indépassable serait un mélange d'austérité bergmanienne, de grandiloquence fellinienne, et de solennité viscontienne. Avec des fortunes diverses, I'm not there de Todd Haynes, Tetro ou Vincere l'an passé, se prêtaient au même diagnostic. Guerman fils n'ayant clairement pas le talent de ces cinéastes-là, son ouvrage devrait vite être reconnu pour ce qu'il est : du cinéma inactuel, démodé, définitivement has been. -
Si les intentions initiales sont bonnes, le dispositif formel très élaboré mis en place par le cinéaste parasite toute empathie envers des personnages qui ne sont plus que des figures fugitives passant devant une caméra sans cesse en mouvement. Citant à la fois la maestria formelle de Sokurov (notamment de L’arche russe), mais également les plans séquences chers à Tarkovski et les errances de personnages typiques du cinéma d’Antonioni, Alexei Guerman ne parvient pas à donner une identité propre à son long-métrage. Pire, les acteurs semblent totalement pétrifiés par les impératifs très stricts imposés par la mise en scène, au point d’évacuer toute sensation de vie ou de spontanéité aux plans tournés. Dès lors, l’ennui succède très rapidement à l’étonnement, d’autant que le cinéaste ne parvient à aucun moment à faire décoller son histoire. A vouloir faire de chaque plan un défi technique, le cinéaste est tout simplement passé à côté de son propos et ne signe qu’une œuvre contaminée par la grisaille qui lui sert de décor. Une cruelle déception que seuls les amateurs d’un certain cinéma formaliste apprécieront.