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C'est plus beau. C'est plus grand. C'est aberrant. Ca ne devrait plus exister. Mais c'est une chance unique de voir un film comme vous n'aurez probablement plus jamais l'occasion de le faire.

5 films à voir avant Les Huit Salopards, par Tarantino

Quentin Tarantino était déterminé à ce que Les Huit Salopards soit le 11ème film tourné en Ultra Panavision 70. Techniquement, tout a été dit et montré sur ce format, notamment dans la featurette diffusée avant la sortie du film. Pas besoin d'avoir un doctorat en photochimie pour comprendre que la qualité de l'image sera améliorée si la taille de la pellicule projetée est deux fois plus grande que celle d’un film standard de 35mm. Mais à l’heure où quasiment plus aucune salle n’est équipée pour projeter de la pellicule, pourquoi Tarantino a-t-il voulu ressusciter ce format qui n’avait pas été utilisé depuis 50 ans ? D'abord, il a profité de sa position (les producteurs ne lui refusent quasiment rien) pour satisfaire une ambition légitime : quand on voit grand, pourquoi ne pas exiger le maximum ? D’autre part, il assouvissait un fantasme de fétichiste du film.

Les 10 films tournés en Ultra Panavision 70 avant Les Huit Salopards

A l'évidence, ce caprice est très coûteux. Techniquement, il a fallu remettre en état les caméras et les objectifs pour la prise de vues. Il a fallu commander de la pellicule sur mesures au prix du détail. Il a fallu trouver des labos pour la developer. QT a aussi insisté pour faire imprimer (à grands frais) un certain nombre de copies en 70 mm afin d’en faire bénéficier le public. Encore fallait-il trouver des salles équipées de projecteurs adéquats, verifier leur état de fonctionnement, et embaucher des projectionnistes compétents, ce qui n’est plus evident après la destruction d’une quantité de métiers entraînée par la mutation numérique. Autant de difficultés qui expliquent quelques projections de presse ratées aux Etats-Unis. Le blogueur Drew Mc Weeney en a rendu compte dans un article exhaustif sur Hitfix. Il y explique tous les enjeux, en concluant que la projection sur pellicule est une aberration industrielle (ce qui est discutable, mais on y reviendra). En France, il est probable que les ratés américains ne se reproduiront pas. Une copie circulera dans un nombre limité de salles, à des dates précises. Les spectateurs volontaires devront programmer leur séance soigneusement, parce que des occasions comme celle-là ne se renouvelleront pas.  

Où pourra-t-on voir Les Huit Salopards en 70mm ?

Même s’il est honnêtement très difficile de faire la différence avec une projection numérique, la vision du film en copie neuve sur écran géant est un plaisir et un privilège rares. La simple sensation de l’imperceptible sautillement de l’image (qui s’oublie assez vite) réveille des souvenirs émus et rappelle l’expression anglaise originelle “flickering image”. En tous cas, l’image paraît à la fois mieux définie, plus douce, plus organique. Est-ce une illusion ? Personnellement, l’expérience a peut-être été amplifiée par la vision récente de The Revenant, tourné en numérique avec un rendu radicalement différent. A l’évidence, les deux films ne sont pas comparables, Lubezki (le directeur photo de The Revenant) tournant exclusivement en lumière naturelle, au grand angle et en plans-séquences, alors que Richardson (le directeur photo des Huit Salopards) éclaire abondamment et de façon très artificielle, utilisant des focales plus longues pour cadrer les acteurs en gros plans. Quelques séquences en extérieurs dans des ambiances hivernales très dures sont quand même comparables. La lumière est alors naturelle, et les deux directeurs de la photo ont tendance à enfreindre les mêmes règles, comme de tourner à contre-jour. C'est là où la pellicule montre sa supériorité et sa souplesse, les hautes lumières en numérique étant toujours rendues avec une pauvreté qui confine à la laideur. Esthétiquement, on peut préférer de loin la photo argentique, plus naturelle, plus modelée, plus texturée. C’est vrai aussi pour la projection.  

Notre critique des Huit Salopards

Pour en revenir à Tarantino, il y a une dernière raison, très pratique celle-là, qui l’a incité à tourner en pellicule : c’est à l’heure actuelle le support le plus fiable pour conserver durablement les films. QT a sans aucun doute une haute opinion de ses propres oeuvres, et s’il veut qu’elles lui survivent, il a intérêt à mettre toutes les chances de son côté. Et il sait très bien que dans 50 ans, le négatif de Huit Salopards sera encore intact, alors que le DCP sera probablement obsolète depuis longtemps. Souvenez-vous des premiers supports numériques : qui a encore un lecteur de laserdisc en état de marche ? Il a suffi d’à peine dix ans pour transformer en pavés inertes ces appareils  qualifiés de révolutionnaires à leur sortie. Quant au materiel 70mm, caméras et projecteurs, ils sont les témoins d’une époque fastueuse mais révolue, que Tarantino s’est payé le luxe de faire revivre encore un peu. Mais hormis lui, il n’y a plus grand monde qui sache ou veuille continuer. Bientôt ces machines retourneront dans l’oubli, comme ces mécaniques admirables mais inutilisées qui rouillent chez les Morlocks, la population dégénérée décrite par HG Wells dans La machine à remonter le temps. Tarantino ne modifiera pas le cours du temps, mais il contribue à perpétuer une certaine idée du cinéma, flamboyante et grandiose.   

Notre entretien avec Tarantino