L'Inconnu du lac
Les Films du Losange

Première vous conseille L'Inconnu du lac, film captivant avec Pierre Deladonchamps.

Première : Comment avez-vous eu l’idée de tourner un film en prenant un lac comme unité de lieu ?

Alain Guiraudie : Je sortais de trois longs métrages qui multipliaient les décors, ce qui m’a incité à revenir à un endroit unique. Et comme je venais aussi de terminer un scénario tirant vers la science-fiction, je souhaitais m’atteler à quelque chose de familier, à savoir un lieu de drague entre hommes au bord d’un lac pendant l’été. Il y en a un près de chez moi, à Albi, que je fréquente régulièrement, mais j’ai tourné en Provence. Je n’ai quasiment rien inventé, que ce soit « l’homme du mardi soir » ou Henri, l’asexuel un peu revenu de tout. Ils existent. Finalement, le film a une base très documentaire, sauf que je n’ai jamais été témoin d’un meurtre !

Mais pourquoi un lac et pas un bord de mer, par exemple ? Était-ce pour jouer sur la mythologie d’un monstre tapi dans les eaux dormantes ?

Le choix du lac, c’était parce que je voulais un vis-à-vis, un horizon bouché avec une colline en face. Et puis j’aimais cette rumeur, lancée au début du film, qui prétend qu’un silure se balade dans le lac. Ça me faisait plaisir d’entendre que les comédiens ou les membres de l’équipe allaient vérifier sur Internet si le silure existait vraiment. Vous en avez déjà vu un ? C’est un poisson qui peut mesurer cinq mètres et qui a une très sale gueule !

L'Inconnu du lac
Les Films du Losange

Votre intention de départ était-elle de tourner un thriller naturiste en plein soleil ?

J’ai un peu de mal avec le terme « thriller ». Ça m’évoque la saga des Saw ou les films de Wes Craven. Je parlerais plus de « film d’angoisse » ou alors de « thriller existentiel ». On commence avec la légèreté de l’amour libre, le soleil, l’eau et, petit à petit, on s’enfonce dans le crépuscule et dans une féerie cauchemardesque.

Il y a aussi des moments de pure comédie comme vous en avez le secret, notamment avec le personnage du pot de colle qui se masturbe en regardant les autres.

Oui, le branleur est une figure récurrente dans ce genre de lieux, il y en a toujours un planqué quelque part... J’aime beaucoup ce ton, entre l’angoisse et la comédie, mais cette fois, j’avais envie de moins rigoler. Dans mes films précédents, j’ai l’impression que la comédie me dédouanait de quelque chose, que c’était un peu une facilité. Là, je voulais mettre les mains dans le cambouis en me demandant ce que c’est réellement que d’avoir quelqu’un dans la peau. Jusqu’où peut-on aller pour vivre son désir, la problématique sous-jacente étant l’appréhension de la fin du désir.

En quoi les plans pornographiques vous semblaient-ils nécessaires ?

On a tendance à opposer la trivialité du sexe à la noblesse des sentiments. Or le sexe n’est pas une mince affaire dans une histoire passionnelle ! Je voulais donc tout mélanger en filmant de vraies étreintes, mais jene revendique pas pour autant l’étiquette « porno », même si, étymologiquement, on y est. Je n’ai pas voulu que les doublures soient des comédiens du X, par exemple. Michel et Franck (les héros du film) font l’amour sans capote, ce qui posait problème. J’ai contacté le ministère des Affaires sociales et de la Santé à ce sujet, mais j’ai galéré pour avoir une réponse. La seule information que j’ai réussi à obtenir vient d’un hardeur, qui m’a dit que les chaînes de télé n’achetaient plus de pornos comportant des scènes de rapports sexuels non protégés. Je me suis demandé si je n’allais pas mettre beaucoup plus de sexe à l’image mais, finalement, je me suis contenté d’une éjaculation et d’une fellation que je trouve très belles.

Trouvez-vous qu’en général l’homosexualité soit trop romancée au cinéma ?

Oui. De toute façon, le sujet de mon film n’est pas l’homosexualité mais l’histoire d’amour. Il parle d’ailleurs beaucoup aux femmes, qui peuvent s’identifier à un héros tombant amoureux d’un homme potentiellement capable de le tuer. En fait, il faudrait arriver à faire en sorte que l’homosexualité ne soit plus un sujet en soi, point barre.

Interview Stéphanie Lamome

L'inconnu du lac : avec Alain Guiraudie, on a peur, on bronze et on jouit [critique]