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Retour sur une première saison qui a marqué le grand retour du scénariste de Lost sur HBO.

Damon Lindelof est l'un de ces noms qui suscitent dans les conversations des sériephiles et geeks du monde entier un profond clivage. Starisé depuis l'accession de Lost (dont il fut co-créateur et scénariste de 45 épisodes) au rang d'objet culturel culte des années 2000, certains se prosternent devant son sens du suspens et de la dilatation narrative là où d'autres lui reprochent d'avoir rendu la série créée avec J. J. Abrams illisible ou encore le script abscons de Prometheus de Ridley Scott. Un débat qui fait rage et que la première saison de sa nouvelle création, The Leftovers, qui s'est achevée la semaine dernière sur HBO, ne devrait pas lever.

The Leftovers est l'adaptation sur le petit écran des Disparus de Mapletorn, roman de Tom Perrotta publié en 2011. Très actif dans le processus d'adaptation, l'écrivain est d'ailleurs crédité comme co-showrunner de la série aux côtés de Lindelof. Comme dans le livre, l'intrigue de The Leftovers nous plonge trois ans après que, suite à un enlèvement à l'échelle planétaire appelé Grand Départ, 2% de la population de la Terre ait disparu de la surface du globe. La petite ville (fictive) de Mapleton, dans l'état de New York, est notamment touchée en son cœur en voyant de nombreux habitants disparaître. Trois ans après le drame, les habitants essaient tant bien que mal de se reconstruire alors qu'en parallèle se forme une organisation de survivantes, les Guilty Remnants, une secte dont les membres vêtus de blanc refusent catégoriquement de parler.

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The Leftovers, l'anti-Lost

Que ceux qui ont été égarés par les intrigues à tiroir de Lost se rassurent, The Leftovers prend quasiment le contre-pied de la série de J.J. Abrams. En effet, en situant l'action trois ans après cet événement déclencheur, Tom Perrotta et Damon Lindelof plongent le spectateur dans un monde encore traumatisé et encore en train de faire le deuil de ses disparus plutôt que de chercher des explications. Pas de théories complotistes ou abracabrantesques sur le Purgatoire ; si The Leftovers a toujours un œil braqué vers le passé, elle cherche à ausculter comment ceux qui sont restés vont se projeter dans le futur. Un parti pris très intéressant en ce qu'il décharge la situation de toute lourdeur explicative. Car comment expliquer un événement pareil, si incommensurable et dont les répercussions frappent jusqu'au plus profond de l'intime ? La série ne cherche pas (encore) à le savoir avec trop d'insistance, et si certains survivants ont leur idée sur la question, cela ne représente pas le cœur de la série. Et au final, si le postulat de départ de la série relève de l'imaginaire, il marque l'une des rares incursions de la science-fiction dans une série qui confine généralement au drame psychologique.

Mortifère et hantée par le spectre des disparus, The Leftovers se concentre avant tout sur "comment gérer l'après ?", et le fait à l'échelle d'une communauté entière, jouant constamment sur les niveaux d'échelles entre l'individu et ceux qui l'entourent. Chacun essaie de trouver sa réponse à sa manière, rarement parfaite, pour essayer de se raccrocher à la moindre branche d'espoir. La plupart des dix épisodes se concentrent sur le destin d'un survivant en particulier. Il y a le shérif local Kevin Garvey (Justin Theroux), qui vit seul avec sa fille Jill (Margaret Qualley, fille d'Andie MacDowell) depuis que son ex-femme Laurie (Amy Brenneman) a rejoint les Guilty Remnants après avoir perdu son bébé le jour de l'enlèvement. Son fils (Chris Zylka) s'est lui enrôlé au sein d'une secte. Il y a aussi le révérend de la paroisse (Christopher Eccleston, alias le neuvième Doctor Who), persuadé que les disparus ont été punis pour leurs pêchés et qui cherche le sens divin de cette catastrophe. Ou encore Nora (Carrie Coon), mère de famille désespérée d'avoir perdu son mari et ses deux enfants. Le spectateur suit tous ces personnages, brisés d'être ceux qui sont encore là, en totale empathie, tout aussi désemparé de ne trouver aucune solution à un problème trop grand pour en avoir une définitive.

On pourrait croire que cet aspect choral (renforcé par la présence de sept réalisateurs différents au générique, Peter Berg ayant réalisé les deux premiers épisodes) nuise à la dynamique de la série et sur certains points, cela peut être vrai. Les histoires de chacun s'accumulent, toutes avec plus ou moins d'exposition et d'intérêt, ce qui conduit à assister à quelques épisodes un peu en-dessous en terme de qualité. Il faut dire que l'ampleur du sujet et du microcosme étudié conduit nécessairement à une certaine hétérogénéité qualitative, mais qui ne nuit pas à la dynamique de la série tant ces histoire restent en creux liées entre elles.

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Une chute perpétuelle vers le chaos

Si The Leftovers s'avère parfois irrégulière dans la qualité de ses épisodes, elle est néanmoins constamment traversée par des moments de choc et de saisissement parfois d'une extrême violence. Le début du cinquième épisode, marqué par la lapidation d'une membre des Guilty Remnants enchaînée à un arbre, reste l'un des moments de télévision les plus glaçants vus depuis longtemps. Et à l'inverse, le harcèlement moral des Guilty Remnants qui s'acharnent sans cesse à rappeler le souvenir des disparus est impossible à cautionner, surtout lorsqu'il culmine dans le final de la saison dans un acte qui relèverait presque du terrorisme émotionnel d'une violence dévastatrice. Violence physique et psychologique se mêlent comme autant d'exutoires d'une douleur inconsolable car profondément injuste.

On notera au passage le travail sonore remarquable de Max Richter, dont le morceau November habite chaque épisode et revient, lancinant, comme un leitmotiv plaintif, un fil rouge entre toutes les intrigues venant souligner la souffrance extrême des âmes des habitants de Mapleton. Le thème principal de la série, composé également par Richter, opère également cette fonction, comme dans un long lamento de dix épisodes.

Plus que la simple volonté d'échapper au manichéisme, cette première saison est une lente descente aux enfers, une décrépitude progressive et inexorable du vivre ensemble. La douleur mène à colère, puis à la haine de l'autre, au point qu'il n'est plus possible de cautionner les actions de certains personnages tout en conservant pour eux une certaine pitié. Cette agonie du contrat social culmine lors du dernier acte de la saison, diptyque dont le premier épisode permet d'en découvrir davantage sur les circonstances du Grand Départ, avant un film explosif et sous certains abords apocalyptiques. Le spectateur voit lors s'effondrer devant ses yeux les dernières fondations de la civilisation et le monde sombrer dans le chaos. Car à quoi bon perpétuer l'ordre et la justice quand on a été victime la plus grande injustice qui soit sans pouvoir rien y faire ?

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Un retour gagnant pour Damon Lindelof

Extrêmement pessimiste, le final de cette saison 1 laisse augurer d'une deuxième saison encore plus sombre, où les cartes ont été de toute évidence redistribuées. Avec des audiences tout juste correctes mais pas exceptionnelles (un peu plus de 1,5 million de téléspectateurs par épisode), on aurait pu croire que HBO n'aurait pas pris le risque de renouveler une série qui s'était arrêté à peu près de la même façon que le livre de Tom Perrotta. Ce ne sera pas le cas, et cette saison 2 prévue pour l'année prochaine proposera donc des événements inédits et absents des Disparus de Mapletorn.

Plutôt bien accueillie par la critique américaine, The Leftovers a reçu des louanges encore plus chaleureuses en France. Pari réussi donc pour Damon Lindelof qui parvient avec The Leftovers à construire une série parfois imparfaite mais dont les fulgurances auront incontestablement marqué l'esprit de ceux qui se sont aventurés jusqu'au terme de la saison. Parfois agaçante, parfois longuette, pas toujours facile d'accès, elle n'en demeure pas moins un exemple d'une originalité remarquable et d'une puissance émotionnelle et empathique assez rares.