Rencontre avec le réalisateur de Godzilla X Kong : Le Nouvel empire, qui vient de sortir en salles.
Godzilla X Kong : Le Nouvel empire, actuellement en salles françaises, est une bonne surprise, comme on vous l’explique dans notre critique. Le cinquième film du Monsterverse américain est aussi le premier à voir un réalisateur rempiler : Adam Wingard, venu des séries B à petit budget (Ready or Not, The Guest), est de retour derrière la caméra, trois ans après Godzilla vs Kong (2021). Avant que Le Nouvel empire ne ravage les salles de cinéma, on a pu parler avec Adam de Minus One, des règles imposées par la Toho, de piratage de films, et surtout la vision qu’il a de Godzilla : "Je veux faire un film explosif et excitant -un peu ridicule, sûrement, parfois, où plein de trucs débiles arrivent, mais je prends les enjeux au sérieux." On ne peut pas être plus clair : Adam sait ce qu'il fait.
Godzilla x Kong : Le Nouvel empire est un grand spectacle ludique et vivant [critique]A la différence de Godzilla vs Kong, ici vous êtes crédité comme scénariste…
Oui, je suis arrivé assez tôt sur le projet Godzilla vs Kong, mais il y avait déjà un synopsis de Terry Rossio. Là, je suis allé voir Legendary Pictures avec une idée très précise de ce que je voulais faire, en termes de "set pieces", d’imagerie : par exemple le plan où Godzilla et Kong courent ensemble, que vous pouvez voir à la fin de la bande-annonce, c’est une des images que j’ai pitché au studio. Il ne s’agissait pas seulement de continuer à travailler ma vision du Monsterverse mais aussi de l’amener de façon cohérente en termes d’histoire. Mon plus gros apport en termes de script, c’était d’amener la franchise à un endroit qu’elle n’avait jamais exploré. Faire un film du point de vue des monstres. Mon expérience avec Godzilla vs Kong m’a montré que ce genre de films pouvait fonctionner. Voilà ce que je disais : "faisons un film de monstres qui n’a pas besoin d’humains !" (rires) Je voulais faire un truc plus audacieux, avec moins de dialogues, plus visuel…
"On n’a pas besoin d’humains" : au fond, c’est le truc des films de monstres, le moment où on cesse d’être du côté des humains pour se ranger du côté de la bête…
Ouais ! Dans Godzilla Minus One, on s’intéresse surtout aux humains, Godzilla ne fait que renforcer leur histoire. Nous, on s’est vraiment dit : "Ok, abandonnons presque toute l’histoire des humains, et voyons si ça marche". Bon, on a quand même essayé de faire des personnages attachants, de voir si le drame des monstres et le drame des humains pouvaient se répondre…
Tiens, en parlant de Minus One, comment ça fonctionne avec le Monsterverse ? C’est relié ou pas du tout ?
On doit travailler avec la Toho en termes d’approbation des designs. Toho a des règles très strictes concernant ce que Godzilla peut faire ou pas, ils ont un "directeur général de Godzilla" chargé de ça. Son boulot, c’est Godzilla ! On respecte beaucoup ce que fait Toho, bien sûr. Les Japonais vont dans un autre territoire, il y a une confiance mutuelle… De toute évidence, le Monsterverse est dans une toute autre timeline que celle des films de Toho…
Vous avez aimé Minus One ?
Oh ouais, c’était fantastique.
Mais c’est complètement différent. On dirait que les films du Monsterverse et les films de la Toho sont à deux extrémités du spectre…
Oui, mais c’est comme ça que ça devrait être. Imaginez si les Américains faisaient Minus One, avec exactement le même script, ça sonnerait complètement faux, non ? C’est une histoire japonaise à 100%. Minus One, c’est une expérience japonaise unique, liée à la Seconde guerre mondiale. Le Monsterverse américain compte déjà cinq films, et je crois que ces films essayent justement de construire au fur à mesure le Monsterverse. De le définir. Les films reflètent en fait l’ère originelle de Godzilla : au début c’était très sérieux, et puis petit à petit c’est devenu beaucoup plus fun et délirant. Coloré, presque psychédélique. Et c’est ça qui m’influence le plus en termes de Godzilla : les suites comme Les Envahisseurs attaquent (Destroy All Monsters, 1968) ou Godzilla vs Hedora (1971) que je regardais quand j’étais petit. C’est naturel que je m’en inspire en faisant mon Godzilla. Il y a toujours une métaphore très puissante dans les Monsterverse mais ce n’est pas le point central : c’est une aventure, un grand huit ! Minus One est une métaphore, où Godzilla est une abstraction. Chez nous c’est un personnage, un méchant ou un héros. Là, on en est au stade "héros", on verra comment il évoluera ensuite.
Et chaque film s’éloigne un peu plus de la vision de Gareth Edwards, qui était une sorte de Godzilla Begins…
C’est marrant, le film a dix ans et les SFX sont encore super impressionnants ! Dedans, Godzilla est une entité massive, quasi divine, qu’on appréhende uniquement à travers une expérience humaine. On ne fait que l’apercevoir -tout est une question d’échelle. Quelque chose d’aussi gros que Godzilla est impossible à percevoir au niveau humain. Dans mes films, Godzilla et Kong sont des personnages, je le répète. Il faut donc se mettre à leur échelle, à leur niveau. L’échelle change complètement par rapport à 2014, où Godzilla apparaissait à la marge. Je crois que dans le film de Gareth, Godzilla apparaissait 11 minutes en tout. Nous on passe une heure avec eux, sans humains ! Le Godzilla de 2014 est un super film, mais le mien est complètement différent.
Avec 11 minutes d’humains ?
Ah ah, presque ! je crois que dans les cinq premières minutes on n’a même pas de dialogues ! On a une autre scène de neuf minutes, avec juste des trucs de monstres. J’ai toujours voulu voir ce genre de trucs. Je veux faire un film explosif et excitant -un peu ridicule, sûrement, parfois, où plein de trucs débiles arrivent, mais je prends les enjeux au sérieux. Mais je ne veux pas faire quelque chose de trop cartoon, avec des personnages qui s’en sortent par des jeux de mots face à des monstres géants alors qu’ils devraient être terrifiés et tout faire pour sauver leur peau ! Il y a des fans qui veulent un Godzilla sombre et sérieux, et pour eux c’est la seule et unique façon de faire un film Godzilla. Mais il y a d’autres aspects à Godzilla. Par exemple, notre film. Certains fans rejetteront ça à bloc, donc… Tu ne peux pas plaire à tout le monde. Mais il faut faire savoir à ces fans que tu prends le personnage au sérieux, quand même.
Minus One a été un gros carton aux USA : à votre avis, pourquoi Godzilla parle toujous autant au public ?
C’est intéressant… Godzilla vs Kong a été le premier film américain à cartonner pendant la pandémie. Là, on est partout : Minus One, la série télé Monarch, Le Nouvel Empire… tout se retrouve au même moment dans l’imaginaire collectif. On a plus de Godzilla que jamais, et il est plus populaire que jamais ! Je ne peux m’empêcher de penser qu’il se passe quelque chose dans notre réalité à laquelle Godzilla se raccroche, au niveau du subconscient. Minus One dénonce le péril atomique après la Seconde guerre mondiale, Oppenheimer cartonne en salles… Bizarrement, et ça n’a pas été calculé, mon nouveau Godzilla est un peu l’incarnation de Barbenheimer : une créature atomique rose fluo ! Godzilla est ancré dans notre réalité : on ne peut pas prévoir ce genre de moments culturels. Ça arrive et c’est tout.
Godzilla vs Kong a été aussi le film le plus piraté de 2021. Monarch est sur la télé. On dirait que les gens apprécient aussi Godzilla sur leurs smartphones…
Les gens pirateront les films quoi qu’il arrive. Moi, j’irai toujours voir un film en salles plutôt que de le pirater. Mais il y a 20 ans, je n’avais pas d’argent et j’aurais peut-être fait autre chose -non, attendez, j’aurais préféré ne pas voir un film plutôt que dans une sale version pirate. En tant que réalisateur, forcément, tu as envie qu’on voie ton film en IMAX avec le meilleur son possible, à cause de tout le boulot qu’on a fait dessus. Mais tout le monde n’a pas les moyens d’aller au cinéma. Hé, mais je crois que je n’ai jamais regardé un film sur mon téléphone ! Ceci dit, la résolution doit être fantastique -aucune perte visuelle ! Juste pour me démarquer, je vais défendre la vision des films sur téléphone. (rires) Bon, si tu veux regarder Top Gun : Maverick sur ton téléphone, tant pis pour toi. Peut-être que tu n’aimes pas tellement les films que ça.
Bon, sinon, vous retrouvez Dan Stevens, dix ans après The Guest...
Ça fait dix ans, wow ! Dingue. Bon, on a toujours gardé le contact. Et il a failli jouer dans le Godzilla précédent. Le rôle tenu par Alexander Skarsgård avait été écrit pour lui, en tous cas on l’a écrit en pensant à Dan. Mais Dan était complètement booké par la série Legion. Au fond, tant mieux, parce que son nouveau rôle est vraiment cool.
Vous parliez des règles de Godzilla selon la Toho, qu’est-ce qu’il peut faire ou pas alors ?
Ah, et bien, je crois que c’est vraiment super top secret… Si je commence à vous dire ces règles, vous allez en déduire ce que Godzilla ne fera pas ou fera dans notre film ! Bon, ce ne sont pas des règles gravées dans le marbre comme les Dix commandements -ceci dit, j’aimerais bien, ça me faciliterait la vie. C’est flexible, en fait, ils interdisent des trucs que le budget ne permettra jamais. Dans l’artbook Godzilla X Kong, il y a ce concept art qui était un peu trop abusé pour Toho, et ils avaient raison. Si vous pensez que Godzilla et Kong qui courent ensemble, c’est too much, attendez de voir l’idée initiale ! ça va rendre les gens dingues !
Après le "versus" du précédent, pourquoi le "X" dans le titre ?
Il y a toujours un élément marketing à prendre en compte. "Versus" ne se traduit pas bien dans toutes les langues. Pour être honnête, je n’ai appris son existence que super tard. C’est Barnaby, le boss du marketing chez Legendary, qui a eu l’idée du titre du film. A l’écrit, c’est cool, c’est frais, c’est original… Et ce n’était pas dans le premier jet du scénario. Et puis on peut appeler le film "GxK". Je prononce "Godzilla ixe Kong", mais officiellement il faut dire "Godzilla Kong".
On peut aussi lire ça comme « Godzilla multiplié par Kong »…
Ah ah, ouais, c’est l’idée !
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