A l'occasion de la sortie de Portrait d'une enfant déchue, rencontre avec un géant des 70's, Jerry Schatzberg.Photographe pour Esquire, Vogue ou Glamour dans les 60’s, réalisateur de trois films cultes dans les 70’s (Portrait d’une enfant déchue, Panique à Needle Park et L’Epouvantail), ami des plus grandes icônes de l’époque (Pacino, Dunaway, Hendrix, Dylan...), Jerry Schatzberg a eu une vie rock’n’roll. A l’occasion de la ressortie en salle de Portrait d’une enfant déchue, rencontre avec un cinéaste qui a traversé les décennies mythiques de la pop culture et un sacré bout du désert.  Par Gaël Golhen Jerry, une fois de plus, on ressort Portrait d’une enfant déchue, votre premier film. C’est pas fatigant d’être toujours réduit à ses débuts ? On en est tous là ! Si je te dis Scorsese, tu me réponds Mean Streets ou Raging Bull, non ? Et regarde Coppola : il n’a jamais retrouvé la puissance du premier Parrain ou de Conversation Secrète à partir des 80’s. Mes premiers films étaient bons, libres, osés; et c’est pour tout le monde pareil. Quand on fait ses débuts, on n’a peur de rien et c’est là que la vraie création a lieu. Après tu ne fais que recréer, donc copier... c’est forcément un cran en dessous. Quand tu débutes, ta seule ambition c’est de faire un film et d’y mettre le meilleur. On n’a pas peur de la chute, alors qu’après... Après...  Tu penses trop, tu calcules, tu rêves d’argent, d’Oscar... Dans votre cas, c’était quand même différent. Vous étiez un photographe célèbre avant de faire votre premier long. Comment êtes-vous passé de la photo à Portrait ?  Par hasard. Je n’ai jamais voulu être cinéaste. J’avais fait quelques films 16, des essais pour une télé, mais rien de concluant. Et puis, ma carrière de photographe était bien établie... Mais à un moment, j’ai voulu raconter une histoire, celle d’une mannequin avec qui j’étais devenu très ami, qui m’avait beaucoup aidé quand je galérais... A travers son histoire, j’ai compris la manière dont ce business jetait les gens quand ils n’étaient plus rentables. Et c’est précisément ça que je voulais mettre en scène. C’est à dire ?  Il y a cette scène où Faye doit partir à Paris et les mecs du marketing décident qu’”il faut un nouveau visage”. Fuck ! Son visage est sublime ! Mais non ! Le marketing tue les artistes quand ils ne font plus d’argent ! Business is business. Portrait serait un film militant ?  Pas du tout ! Je voulais juste faire un film sur cette fille qui m‘avait bouleversé. J’étais ami avec Faye - je l’avais photographié pour Esquire. Mon histoire l’a emballée et si j’ai pu faire Portrait, c’est grâce à elle : elle venait de tourner Bonnie and Clyde et tout le monde (surtout au studio) voulait lui faire plaisir. Le plus étonnant dans le film, c’est la narration chaotique, le mariage de la réalité et des fantasmes. Ca venait d’où ?  J’avais des heures d’enregistrement avec mon amie. Et quand on l’écoute, son témoignage est comme ça : chaotique, haché, décousu. Elle se rappelait très bien certains passages de sa vie et puis tout à coup, elle basculait dans l’imaginaire. Quand je revois Portrait je me rend compte à quel point toute l’histoire vient d’elle, même sa forme. Le film devait être un puzzle...  On a beaucoup parlé de l’influence du cinéma européen. C’est vrai qu’à l’époque je copiais tous les cinéastes que j’admirais. Et, effectivement, beaucoup d’européens. J’ai particulièrement pensé à Antonioni. Mais quel film précisément ? je serais bien incapable de te le dire. Je ne suis pas un cinéaste comme Spielberg, Tarantino ou Tavernier qui peuvent te citer une scène précise ou réciter des dialogues par coeur de n’importe quel film... Pour moi le cinéma c’est d’abord une affaire d’instinct. Et d’acteurs... Ah ah ! Pas faux ! Ils me fascinent. C’est mon seul talent, d’ailleurs : savoir précisément ce que j’aime chez eux. Une fois que je l’ai trouvé, je travaille dessus, je ne vois plus que ça : ça m’obsède. J’ai un truc notamment : je laisse tourner la caméra après la fin des scènes. C’est comme ça que je récupère des moments qui n’étaient pas prévus. La scène du dîner dans L’Epouvantail, par exemple. Quand Gene (Hackman) raconte sa blague à Pacino, ça n’était pas dans le scénario. Mais la manière dont il raconte le truc, le rire de Pacino... C’était génial. Je l’ai gardé... J’ai besoin de faire surgir des moments improbables, mais pas impossibles. Tu comprends ? A peu près. Vous parliez de Pacino...  Al et moi ça remonte à une éternité. On est né dans le même quartier, on se croisait sans se connaître. Je l’ai même vu jouer sur les planches dans The Indian Wants The Bronx. Il était jeune à l’époque, mais il m’avait vraiment impressionné... Quelques années plus tard, je suis en train de finir Portrait et on m’envoie le script de Panique à Needle Park. J’avais la tête ailleurs : le labo avait bousillé les six dernières minutes de mon film et j’étais vraiment très énervé. Je pensais ne plus jamais faire de cinéma... Du coup, j’ai lu le script sans vraiment le lire et je refuse. Quelques mois plus tard, mon manager (qui s’occupait aussi de Al) me dit que des producteurs me veulent pour Panique... “Je sais, je l’ai lu ! Ca ne m’intéresse pas”. “Relis-le mieux, me répond-il. Al est sur le coup !”. J’ai sauté sur l’occasion. On raconte que c’est en montrant 5 minutes de Panique que Paramount a validé le choix de Coppola qui voulait Pacino pour jouer Michael Corleone.Pas 5 minutes ! 20 minutes... Je ne sais pas pourquoi Francis continue de dire que c’était 5 minutes. Je sais ce que je lui ai passé ! C’était bien 20 minutes du film. C’était le premier film de Al. Personne ne l’avait vu jouer à l’écran, mais Francis faisait le forcing pour l’imposer dans son film... Et c’est vrai que c’est en voyant ces 20 minutes que Paramount a finalement accepté de caster Al dans Le Parrain. Il était si bon que ça dans votre film ?   Tu te fous de moi ? Il était génial ! C’était son premier film. Et mon gros avantage, c’est qu’il ne m’impressionnait pas. Ce n’était pas le monstre qu’il allait devenir après Le Parrain. On a traîné ensemble pendant des mois, on se faisait passer pour des tox’ pour assister à leurs réunions. On traînait dans la rue. Ce fut une expérience dure, très forte qui l’a beaucoup nourrie. Je crois que Al était d’autant plus motivé que son frangin touchait à la came...    Quand vous dites qu’il est devenu un monstre, ça veut dire quoi ? On raconte beaucoup de choses désagréables sur Pacino. Sa folie, son égo... Friedkin va même jusqu’à dire que c’était un imbécile.Oui... bon... On raconte aussi beaucoup de choses sur Friedkin, non ? J’ai entendu pas mal de trucs sur le comportement de Pacino sur les plateaux. Mais c’est comme ça pour beaucoup de stars : leurs agents les laisse faire tellement de conneries que, à un moment donné, ils pètent les plombs. J’ai entendu dire qu’il allait incarner Phil Spector ? Super idée. Ce mec était dingue et Al est vraiment doué pour jouer les cinglés. Ca lui permettra surtout de ne pas faire une fois de plus un flic ou un avocat... Ceci dit, à chaque fois qu’on se retrouve, on se tombe dans les bras.     Vous connaissiez bien Spector ?  Pas vraiment. J’ai bien connu sa femme, mais Phil était complètement dingue... Un peu trop pour moi ! Vous avez cotoyé Dylan, les Stones, Hendrix, Dunaway... Vous faisiez partie de l’underground 70’s en fait ? Non. Les groupes ou les mouvements m’ont toujours gonflé. Et je n’aimais pas vraiment être dans l’entourage des stars. Look : je suis très proche de Polanski mais chaque fois qu’il venait à New York, c’était la même chose. Il m’appelait pour qu’on se retrouve à dîner et le cirque commençait : je me pointais et on se retrouvait à 20 autour de Roman. Lui dire bonjour était un exploit ! Ce genre de situation ne m’intéresse pas... Moi, j’aime le talent, pas la célébrité. Quand j’étais photographe, je cherchais non pas les stars, mais les gens authentiques.Dylan, c’était les deux...Je vais te raconter comment j’ai rencontré Dylan. A l’époque - début des 60’s - je sortais avec une fille qui n’avait que son nom à la bouche. Dylan par-ci, Dylan par-là... Je ne connaissais pas sa musique, mais forcément, elle m’a forcé à écouter ses disques et j’ai tout de suite adoré. Quelques années plus tard, alors que je photographiais un musicien, un journaliste se pointe et ils se mettent à parler de Dylan. A ce moment-là, je leur dit que je veux absolument le photographier. Le lendemain, coup de fil de sa nouvelle femme (mon ex par ailleurs) qui me propose de le shooter. Il enregistrait Highway 61 en studio. On a immédiatement sympathisé et je l’ai photographié pendant 2 ans... C’est là qu’est née la pochette de Blonde on Blonde ?  Exactement. Si on y pense, vos photos de mode ou de rock star ont presque éclipsé vos films... Mais non : les gens ne font jamais le lien. Les mecs qui aiment le rock et Dylan me connaissent pour la pochette de Blonde et se foutent de mes films avec Pacino. Et vice versa ! A un moment donné, ça m’énervait un peu d’ailleurs. Et puis je me suis rendu compte que finalement, ce qui m’intéressait c’était de faire mes films et mes photos dans mon coin, comme je l‘entends. Mon côté bouddhiste sans doute. Pour revenir au cinéma, comment expliquez-vous votre disparition du circuit après L’Epouvantail ? Vous vous êtes endormi sur votre Palme ou quoi ? Il se trouve juste que, après ce film, j’ai signé un contrat de deux ans avec Warner. Ce fut ma plus grosse erreur. J’ai passé cette époque assis à un bureau, à écrire des projets qui ont tous été refusés. Du coup, dès que je me suis libéré, j’ai tourné Vol à la tire, une série B correcte, mais réalisée en désespoir de cause. J’avais besoin d’argent et j’avais besoin de tourner... Après, certains de mes films 80’s sont plutôt bons, mais j’ai travaillé sur des projets qu’on me proposait et dont le scénario n’était pas toujours à la hauteur. J’ai pris de la distance depuis. Quand tu vieillis, tu deviens plus attentifs à ce genre de choses... Aujourd’hui, je n’ai plus qu’une ambition : faire des films dont je peux être fier et que je peux assumer. … vous pensez à votre projet avec Canet ?     Exactement. Il est très occupé, moi aussi. Mais c’est un film qui m’excite vraiment... On y arrivera, j’en suis sûr. En tout cas, je n'ai pas dit mon dernier mot !Voici un extrait de Portrait d'une enfant déchue, qui a été restauré :