Où il est question, forcément, de la fin de Lost.
Damon Lindelof, l’homme de Lost et de The Leftovers, était à Séries Mania samedi 15 avril pour une rencontre avec le public, prenant le relais d’autres showrunners superstars invités ces dernières années par le festival parisien, comme David Chase (Les Soprano), Terence Winter (Boardwalk Empire), Matthew Weiner (Mad Men), David Simon (The Wire) ou Nic Pizzolatto (True Detective). Joli tableau de chasse. Questionné par le journaliste des Inrocks Olivier Joyard, Damon Lindelof a évoqué sa passion précoce pour la télévision (« la télé a été mon baby-sitter »), ses influences séminales (de Sesame Street aux Soprano en passant par L’incroyable Hulk, MASH, The Jeffersons, Shérif, fais-moi peur et Twin Peaks), ses débuts à Hollywood, ses rencontres déterminantes avec son mentor Carlton Cuse (qui l’embaucha comme scénariste de Nash Bridges) puis J.J. Abrams, le chemin de croix qu’aura été pour lui la fabrication de Lost, show monstrueux adoré puis honni par des fans en surchauffe, bref, le long parcours qui l’a conduit à être aujourd’hui le créateur apaisé de The Leftovers, série d’une beauté tuante qui achève cette année son run de trois saisons sur HBO (et en France sur OCS). En cinq points, voici ce qu’on a appris hier au Forum des Images :
Damon Lindelof ne s’excusera jamais pour la fin de Lost
C’est le gros trauma de sa vie de scénariste, dont il parle par ailleurs volontiers : les réactions outragées, et parfois extrêmement violentes, des spectateurs au dernier épisode de Lost. Lindelof et Olivier Joyard ont d’abord tenu à rappeler que, en mai 2010, au moment de la diffusion de ce series finale attendu comme le messie, les réactions n’ont dans un premier temps pas été si catastrophiques que ça. « On a même été nommé pour un Emmy Award pour cet épisode, a rappelé Lindelof. Les quatre autres nommés étaient des épisodes de Mad Men ! » Ce n’est qu’en se créant un profil Twitter peu de temps après qu’il a pris la mesure de la colère d’une partie du public, recevant des centaines de messages d’insultes, de rage ou de frustration. « Je ne savais pas quoi en faire, alors je les retweetais. » Mais Lindelof a tenu à préciser qu’il ne s’était jamais excusé pour la façon dont Lost s’était achevée, et qu’il ne comptait absolument pas le faire.
Dès le début, l’aventure Lost a été une souffrance
D’une voix très cool et malicieuse, mais où on sentait encore poindre un soupçon de nervosité, de rancœurs passées et d’angoisse existentielle, Lindelof a raconté au pas de charge l’aventure Lost comme une espèce de comédie absurde dont il était le protagoniste involontaire : la rencontre avec le producteur d’Alias, J.J. Abrams, pour discuter d’« un show stupide sur un crash d’avion sur une île déserte dont personne ne voulait » ; les exigences déraisonnables de la chaîne ABC qui les charge d’écrire, caster et tourner en trois semaines chrono le pilote le plus cher de l’histoire ; le sentiment de trahison que ressent Lindelof quand Abrams, au bout de six épisodes, part tourner Mission : Impossible 3 avec Tom Cruise, lui laissant les clés de la boutique et la charge de résoudre tout seul tous les mystères de l’île ; l’appel à la rescousse du mentor Carlton Cuse ; ses infructueuses tentatives de démission, rejetées par J.J. puis Carlton… Un récit presque kafkaïen où un jeune scénariste ambitieux se retrouve du jour au lendemain à la tête du plus gros blockbuster télé de son temps, chargé de nourrir un monstre narratif qui menace de lui échapper à chaque instant. Raconté comme ça, ça n’avait vraiment pas l’air d'être de tout repos.
Lost n’aurait pas été pareil sans Saw II
Revenant sur son goût pour les récits fragmentés et les structures narratives non-linéaires, Damon Lindelof a cité l’influence décisive de Pulp Fiction sur son style, mais aussi son expérience de caissier dans un cinéma où, pendant des années, il ne voyait les films que par fragments de quinze minutes, dans le désordre le plus complet. Mais le scoop de la soirée, c’était la révélation de l’impact de Saw II sur le final de la saison 3 de Lost : le coup des flashbacks qui sont en fait des flashforwards vient de là !
Damon Lindelof s’estime plus doué en télé qu’en cinéma
Entre Lost et The Leftovers, Damon Lindelof a apposé son nom à des blockbusters ciné mal-aimés, de grosses machines remplies de courant d’air (Cowboys et Envahisseurs, Star Trek Into Darkness, Prometheus, World War Z), ainsi qu’à une bizarrerie fragile qui sera sans doute réévaluée un jour (A la poursuite de demain, alias Tomorrowland). Un bilan contestable, qui démontrait que c’est bien à la télé que Lindelof s’épanouit vraiment, ce que The Leftovers a depuis confirmé. L’intéressé lui-même en convient : « Je ne suis pas aussi doué pour écrire des films que ce que j’aimerais. »
La dernière saison de The Leftovers rendra hommage aux classiques seventies du cinéma australien
La troisième saison de The Leftovers se déroule en grande partie en Australie – une manière pour son auteur de boucler la boucle, vu que c’est de Sydney qu’était parti le vol 815 de Lost avant de se crasher. Lindelof a précisé hier que ça lui paraissait logique d’achever une série post-apocalyptique au pays de Mad Max. Il a également cité deux films de Peter Weir, La Dernière Vague et Pique-nique à Hanging Rock, chef-d’œuvre de 1975 où une jeune fille disparaissait sans explication. Disparaissait. Sans explication. Une influence évidente (mais à laquelle on n’avait pas pensé) sur The Leftovers. Avec Damon Lindelof, le petit jeu des références est sans fin…
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