Le film de Paul Thomas Anderson fête son 10e anniversaire, cette semaine.
Freddie, un vétéran, revient en Californie après s’être battu dans le Pacifique. Alcoolique, il distille sa propre gnôle et contient difficilement la violence qu’il a en lui…Quand Freddie rencontre Lancaster Dodd – « le Maître », charismatique meneur d’un mouvement nommé la Cause, il tombe rapidement sous sa coupe...
Sorti début 2013, The Master a fini par figurer en bonne place dans le top de cette année-là de la rédaction, aux côtés de Gravity, Zero Dark Thirty, The Grandmaster, La Vie d'Adèle... Après avoir repartagé notre interview de l'un de ses acteurs phares, Joaquin Phoenix, nous republions aujourd'hui sa critique.
Boogie Nights, de Paul Thomas Anderson, fête ses 25 ans (et il ne faut toujours pas spoiler sa fin)Paul Thomas Anderson a beau enchaîner les films stupéfiants depuis la fin des années 90, il a toujours eu une fâcheuse tendance à se tirer une balle dans le pied. Parce qu’il citait et se mesurait ouvertement à ses idoles (Kubrick, Altman, Scorsese), on pouvait aisément lui reprocher de ne pas toujours être à leur hauteur. The Master, œuvre d’une richesse thématique et d’une splendeur visuelle inouïes, s’impose comme le film où il largue définitivement les amarres. Sans pour autant rogner sur ses obsessions : après l’entertainment (Boogie Nights) et le capitalisme (There Will Be Blood), ce nouveau film à la puissance affolante dissèque une autre passion américaine, la religion.Profitons-en pour couper court d’emblée aux spéculations diverses en précisant que, oui, il s’agit bien d’un film sur la naissance de l’église de scientologie, comme le suggère le buzz qui entoure le projet depuis sa mise en chantier. Un film à clés, donc, incroyablement documenté mais pas spécialement compliqué à décrypter pour autant (on reconnaîtra sans mal la figure de Ron Hubbard derrière le personnage de gourou matois joué par Philip Seymour Hoffman). La vraie bonne nouvelle, c’est que The Master est heureusement beaucoup plus riche que ça. Il se regarde en fait comme une énorme pelote qui se déviderait lentement sous nos yeux selon une cadence hypnotique, abattant ses thèmes un à un pour mieux affirmer sa nature de chef-d’œuvre polysémique – tour à tour récit d’une amitié virile et toxique, vue en coupe des États-Unis déglingués de l’après-guerre, dissertation névrotique sur le thème de la servitude volontaire, drame de l’alcoolisme et de la frustration sexuelle. Le genre de film qui a autant d’interprétations possibles que de spectateurs.
Enluminé par une photo belle à pleurer signée Mihai Malaimare Jr. (chef opérateur des derniers Coppola), c’est un terrain de jeu idéal pour un Joaquin Phoenix en état de grâce, qui bouge et respire comme une bête traquée, convoquant le souvenir des grands portraits de misfits du cinéma des 50s. Mais le véritable horizon, ici, c’est la littérature, le grand roman américain, et cette idée fantasmatique qui veut que les œuvres consacrées à l’Amérique se doivent d’être aussi vastes et imposantes que le pays qu’elles décrivent. The Master est de cette trempe-là. Paradoxalement, c’est donc en racontant l’histoire de l’emprise psychologique d’un homme sur un autre qu’Anderson se sera affranchi de l’ombre écrasante de ses aînés. Planant désormais tout seul. Là-haut. Sans Dieu ni maître.
Frédéric Foubert
Paul Thomas Anderson s'en fiche qu'on streame ses films
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