Le coup de foudre sur Le Dernier Mercenaire fut tel que David Charhon et Jean-Claude Van Damme ont récidivé, cette fois accompagnés de Michaël Youn. Ni une ni deux, Première a sauté dans un train direction la Belgique à la découverte de leur buddy movie trash, décalé, et truffé d’action.
"Michaël Youn a hypothéqué sa maison pour produire Le Jardinier", blague le producteur et co-scénariste du film Sébastien Fechner sans réaliser que, compte tenu de l’ampleur colossale du projet, on serait presque tenté d’y croire. Un seul pied dans les studios Lites en banlieue bruxelloise et nous voilà au pays des merveilles : 2500m2 de fond bleu et 3500m2 de décors créés de toutes pièces, de sorte qu’on ne sache plus où donner de la tête entre la maison en carton plus vraie que nature, le jardin foisonnant, les souterrains interminables, et les 90 techniciens qui y fourmillent. Difficile d’arrêter le réalisateur David Charhon lorsque les moyens lui sont donnés de mélanger castagne et rire, avec pour seule consigne de pousser les curseurs.
"L’arrivée de la plateforme m’a permis de continuer dans cette direction de projets de grande ambition : tout comme Le Dernier Mercenaire n’aurait pas vu le jour sans Netflix, il m’aurait été impossible de faire Le Jardinier sans Amazon, car les grands financeurs du cinéma ne voulaient pas se lancer." Pourtant, le pitch est vendeur : et si les disparitions soudaines de Coluche et Balavoine étaient le fruit d’un complot politique ? Le Jardinier part de ce postulat qu’il existerait "une liste Matignon" composée des personnalités que le Premier Ministre aurait secrètement le droit d’éliminer. Serge Shuster (Michaël Youn), conseiller à la présidence, devient ennemi d’état lorsqu’il se met en tête de faire fuiter son existence. Attaquer par des tueurs à gage dans sa propre demeure – le film se déroule presque en huis clos – il va bénéficier de l’aide de son mystérieux jardinier joué par Van Damme…
Pour le moment, pas de JCVD en vu sur le plateau mais un Michaël Youn en peignoir rose qui en est à son 3e café de la journée (il n’est même pas 11 heures), histoire de tenir les dix derniers jours de tournage.
"J’ai des vêtements très humiliants dans ce film. J’ai même accepté de ressembler à de Funès et Bourville dans La Grande Vadrouille, si vous voyez ce que je veux dire."
Et l’uniforme de SS n’est pas la seule similitude avec le film de Gérard Oury, puisque l’aspect comique du Jardinier vient également de la rencontre entre ses deux protagonistes : l’un exubérant, hâbleur, un homme politique condescendant qui baratine tout le monde, l’autre plus taiseux et humble, un loup solitaire aux nombreux secrets. Rien de tel pour former le beau duo d’humour dont rêvait Sébastien Fechner, l’homme à l’origine du projet. Il a baigné très tôt dans le buddy movie des années 80, aussi bien ceux produits par son oncle Christian Fechner mettant en scène De Funès, Jacques Villeret, ou les acteurs du Splendid, que ceux venus tout droit d’Amérique à la Midnight run, 48 heures, et L’Arme fatale. Le Jardinier, tout naturellement, en sera le croisement.
Un désir de comédie qui n’a pas empêché Fechner de penser Le Jardinier comme un film d’action qui tabasse. Et de s’entourer des meilleurs pour y parvenir : David Charhon à la réalisation, déjà bien familier du buddy movie depuis De l'autre côté du périph ; Thierry Arbogast, le chef opérateur de Luc Besson sur Nikita, Leon, ou Lucy ; et Laurent Demianoff, coordinateur de cascades sur John Wick 4 (il en arbore fièrement un t-shirt sur le set). Pourtant habitué des grosses productions US, ce dernier n’a pas été dépaysé et avoue avoir bénéficié de moyens dignes des films américains : prévisualisations pour les réglages, conception des décors en fonction des mouvements de caméra, et équipe internationale de vingt cascadeurs pour tourner des séquences qui s’étalent souvent sur 4 jours.
À la seule différence qu’ici, le ton est aux antipodes de son habituel travail hollywoodien. On lui connait des bastons d’une violence inouïe, mais chorégraphier des cascades avec une pointe d’humour, ça donne quoi ? "En fonction du scénario il y a toujours une teneur qui est différente dans l’appréhension des combats", précise Laurent Demianoff. "Par exemple pour John Wick, un film d’assassins dirigé par un réalisateur-cascadeur, il y a un aspect grave et spectaculaire. Pour Le Jardinier, c’est un peu différent : les acteurs sont dans un registre à la Pierre Richard-Gérard Depardieu, donc les chorégraphies restent sérieuses et complexes tout en essayant de chopper des rires." Mais pas question de prendre l’action à la légère au profit de la rigolade, David Charhon s’en est assuré :
"Ce n’est pas très français de faire dans l’action. Même les acteurs n’y sont pas préparés : ils s’attendent à deux bourre-pifs, une balayette, et basta. Moi, je voulais donner des thèmes aux six grosses scènes de combat pour qu’aucunes ne se ressemblent. Certaines sont des références cinématographiques à Rambo ou Equalizer, et d’autres relèvent plus de la comédie, comme celle dans une chambre d’enfant où il faut se bastonner en silence pour éviter de réveiller un bébé qui dort !"
Précisément celle à laquelle on assiste, et qui commence sans sa star : Van Damme se fait désirer. Sa doublure intervient, enfile un masque à son effigie pour éviter tout faux raccords, et commence à se cogner avec Ragnar Le Breton (l’un des gros bras du film aux côtés de Kaaris et Jérôme le Banner) pour protéger Michaël Youn et le nourrisson. "Pour la presse qui est là, ce n’est pas un vrai bébé. N’allez pas raconter qu’on est des tortionnaires", hurle Youn juste avant que le faux bambin soit brutalement catapulté dans les airs dans un fracas ahurissant, pour ensuite renchérir avant qu’on ait le temps de rire : "Jean-Claude arrive, planquez-vous !".
La journée de tournage est déjà bien entamée, mais Jean-Claude Van Damme semble sur un fuseau horaire différent du reste de l’équipe. Et on comprend très vite pourquoi : il dédie 4 h de sa matinée au sport à raison de 5 fois par semaine, préparation physique et psychique oblige. "Il a un côté un peu passéiste. Le tournage est organisé en fonction de lui, mais c’est une règle du jeu que je connaissais dès le départ !", nous confie Youn, qui n’en est pas à son premier rodéo avec les artistes martiaux. Ignoré par Jackie Chan sur le tournage du Tour du monde en quatre-vingts jours de Frank Coraci en 2004, le comédien aurait pu refuser de réitérer l’expérience et se contenter de sa parodie de Van Damme dans Fatal comme seul lien avec la star belge. Il n’en est rien :
« Avec Sébastien Fechner ça fait maintenant 20 piges que l’on essaye de faire un film ensemble et on a jamais réussi : une fois les distributeurs ne voulaient pas de moi, une fois je n’aimais pas le scénario, une autre fois on s’était engueulés… à chaque fois ça tombait à l’eau. Puis un beau jour il m’appelle et me propose Le Jardinier avec Van Damme. Pour la première fois de ma vie j’ai dit oui sans lire le scénario, car c’était l’occasion de tourner avec un monument, la légende Jean Claude Van Damme ! »
Et Michaël Youn est loin d’être le seul à lui vouer une admiration sans faille. Enfants des années 80, tous ont le même discours : Van Damme est une idole de jeunesse. À commencer par Sébastien Fechner, dont la convoitise d’un JCVD au casting l’a amené à proposer la réalisation à David Charhon, qu’il savait proche du bonhomme depuis Le Dernier Mercenaire. Même cas de figure pour Laurent Demianoff qui bien qu’ayant croisé son lot de stars d’action considère que "l’opportunité de travailler avec Van Damme ne se refuse pas." On nous dit même que collaborer avec lui serait de l’ordre de la grande aventure humaine, celle qui ne survient qu’une fois dans une vie…
Au loin, l’acteur se fait entendre en plusieurs langues : il parle italien avec son équipe de maquillage, anglais avec les cascadeurs, français avec le reste. Tous gravitent autour de lui, phénomène qui s’explique par son "aura magnétique", nous dit David Charhon. Après avoir tourné les quelques plans de sa scène, Van Damme s’approche afin que l’on puisse en attester. Il s’assoit, son minuscule chihuahua Lola entre les bras (il ne s’en sépare que très rarement). Rapidement, on s’aperçoit que derrière les muscles saillants se cache un homme doux et d’une étonnante humilité. L’acteur ne semble pas réaliser le mythe qu’il incarne aux yeux de ses confrères et parait même étonné qu’on lui fasse remarquer :
"Quand je rencontre un acteur comme Michaël Youn, c’est moi qui suit impressionné par son acting : il a des pages entières de répliques à réciter ! Dans le film, il joue un type qui parle de trop alors que moi je suis un mec qui ne parle pas trop, et tant mieux."
Son incarnation à lui est plus animale, moins dans le bla-bla et plus dans l’action. Mais prend-t-il toujours autant de plaisir à faire les mêmes cascades qu’il y a 30 ans ? Il esquive la question, esquisse un sourire chargé de mélancolie, et répond simplement : "C’est ce que le public veut voir." De son côté, il a toujours secrètement ambitionné d’être pris au sérieux et reconnait que la France a exaucé son souhait. "Les Français m’aiment bien et me respectent", confie le belge. "C’est grâce à eux que j’ai réussi, car mon premier film Bloodsport n’avait pas été bien accueilli en Belgique et... " Une conversation avec Van Damme n’en serait pas une sans digression, donc on se retrouver à causer du montage de son premier film, du marché asiatique, et surtout, de son amour pour la France qui explique pourquoi il a n’a pas hésité une seule seconde à bosser une nouvelle fois avec David Charhon.
"Il a changé ma vie et a fait de moi un comédien, avoue l’acteur. Il y a une belle entente entre nous, une confiance qui s’est installée. Il connait mes forces, mes faiblesses, et s’adapte pour que tout se passe bien. J’aime retravailler avec le même réalisateur s’il a du talent, ce qui est son cas. Et le succès du Dernier Mercenaire en est la preuve." Et si le film Netflix découlait d’une envie de rendre hommage à JCVD en accumulant les clins d’œil à sa carrière, celui de Prime Video compte l’ériger en véritable héros de fiction. Pour l’heure, le plateau s’agite, le tournage est sur le point de reprendre, Van Damme confie Lola à son assistante et s’éclipse. David Charhon en profite pour nous murmurer son ambition secrète derrière Le Jardinier : réaliser le meilleur film de Jean-Claude Van Damme.
Le synopsis détaillé du Jardinier : "Chaque année, le Premier ministre fait éliminer une liste de gêneurs au nom de la raison d’État : l’obscure Liste Matignon. Serge Shuster, conseiller spécial à la présidence, s’y retrouve bien malgré lui. Au cœur d’une implacable machination, Serge et sa famille, condamnés à une mort certaine, ne peuvent plus compter que sur leur nouveau jardinier, Léo, qui, par le passé, n’a pas taillé que des haies. Il va faire ce pour quoi il a été engagé : éliminer les mauvaises herbes… à sa façon.
Le Jardinier est sorti en France sur Prime Video le 10 janvier.
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