Une cheffe d’entreprise entreprend une liaison SM avec son jeune stagiaire. Nicole Kidman brille dans cette fable sur le sexe et le pouvoir… malicieuse ou complètement creuse ? Première est divisé.
POUR
L’époque semble avoir des comptes à régler avec les thrillers érotiques des années 80 et 90. Remakes en séries (Liaison Fatale, Présumé Innocent), come-back de Paul Verhoeven et d’Adrian Lyne… Et voici Babygirl, avec sa Nicole Kidman en cheffe d’entreprise sous pression, le genre de rôle que Michael Douglas aurait pu tenir au siècle dernier – mais les temps ont changé. L’actrice incarne une control freak bossant dans la robotique, dont la vie ordonnée à l’excès, mais privée de jouissance, est bouleversée par sa rencontre avec un stagiaire sexy (Harris Dickinson), avec qui elle va aller explorer les contrées troubles du BDSM. La réalisatrice Halina Reijn avait déjà démontré dans Bodies Bodies Bodies – amusant slasher éclairé par les smartphones d’une bande de zoomers – sa façon très personnelle, un brin narquoise, d’humer l’air du temps. Elle réemploie ici ce ton malicieux, gentiment trash, pour mieux révéler l’envers puritain des thrillers en open-space dont elle s’inspire (Harcèlement en tête), tout en mettant un petit coup de cravache aux fausses audaces des romances molles à la Cinquante Nuances de Grey. Mais Babygirl ne se contente pas de son flair sociologique, ni de la séduction délicieusement clippesque de sa mise en scène : derrière l’état des lieux de la sexualité après MeToo, il y a le portrait émouvant d’une femme qui cherche dans le sexe la possibilité d’une guérison. Le film n’existerait pas sans Kidman, phénoménale, qui s’y fait injecter du botox sans anesthésie, est « body-shamée » par sa fille au petit-déjeuner (« Tu ressembles à un poisson mort »), lape du lait à quatre pattes… Intrépide, elle rediscute ici des pans entiers de sa filmo (d’Eyes Wide Shut à Et l’homme créa la femme), affirme royalement sa politique d’actrice, et rappelle que les vraies stars de cinéma sont avant tout de grands masos.
FF
CONTRE
Faisons un saut dans le temps. A la toute fin des eighties, Tess McGill (Mélanie Griffith), l’héroïne de Working Girl se retrouvait après bien des péripéties dans un vaste bureau avec vue plongeante sur Manhattan. La secrétaire n’en revenait pas d’être enfin devenue cadre tout en préservant sa love story avec le bel homme d’affaire (Harrison Ford) Equilibre des forces et happy end. En 1989, ce film signé Mike Nichols avait tout du récit d’anticipation, tant la parité au travail était à peine discutée. Près de trente ans plus tard, de l’eau a (un peu) coulé sous les ponts. La « working » est devenue « baby », sous les traits d’une Nicole Kidman tirée à quatre épingles (du sol au plafond !) qui surplombe elle -aussi son monde du haut de sa tour d’ivoire. Le présent film d’Halina Reijn dans une spirale inversée, a vocation à opérer une chute. Une dégringolade qui ne passera pas par le travail (totalement occultée) mais par le sexe (affiché), lorgnant bien vers ce thriller érotique 80’s dont le Working Girl était une sorte d’émanation soft. Notre puissante babygirl en question - attention cliché ! - rêve en secret d’être dominée par – attention cliché - un jeune stagiaire aux yeux faussement doux (Harris Dickinson) Si on garde sous le coude la référence suscitée, on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qu’un Mike Nichols aurait fait d’une telle mayonnaise. Il aurait sans doute ausculté les apparences et dévoilé la complexité des relations où tout finit par se mélanger (cf. Closer) L’humain, mis à nu, devient cette bête infame et domestiquée propre à nager dans l’eau saumâtre d’un ultra-libéralisme nauséeux. Que cherche au juste Halina Reijn tant tout apparait chez elle plaqué ? On attend en vain le trouble qui ferait tout vaciller et montrerait autre chose qu’une Kidman surjouant l’actrice au visage malmenée par le bistouri à qui il est désormais demandé d’en faire un accessoire de jeu. C’est là où se loge la vraie cruauté d’un film qui ne sait pas quoi en faire.
De Halina Reijn. Avec Nicole Kidman, Harris Dickinson, Antonio Banderas… Durée 1h54. Sortie le 15 janvier 2025
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