La filmo commentée de Michel Blanc : Les Bronzés, Marche à L'ombre, Tenue de soirée, Je vous trouve très beau, L'Exercice de l'Etat...
CCFC/Diaphana Distribution/AbacaGaumont Columbia Tristar Films/Gaumont

Il y a cinq ans, l'acteur, scénariste et réalisateur français revenait sur les films clés de sa carrière pour Première.

La disparition de Michel Blanc est un choc pour tous ceux qui ont grandi avec les comédies du Splendid. Décédé cette nuit suite à un malaise cardiaque, cet acteur très populaire, également acclamé pour son travail de scénariste et de réalisateur, avait su toujours se renouveler au fil de sa carrière, ne se laissant pas écraser par son interprétation du loser Jean-Claude Dusse dans Les Bronzés, qui a connu un énorme succès à la fin des années 1970.

En 2019, au moment de la sortie en salles de Docteur ?, de Tristan Séguéla, il revenait dans nos pages sur les films qui ont marqué sa carrière. Qu'il soit devant comme derrière la caméra, en solo ou avec la bande du Splendid, on doit à Michel Blanc quelques-uns de nos plus grands souvenirs de cinéma.

Propos recueillis par Thierry Cheze et Christophe Narbonne.

Michel Blanc est mort : le comédien du Splendid avait 72 ans

LE LOCATAIRE de Roman Polanski (1976)
Entre 1974 et 1978, Michel Blanc tient des petits rôles. Il n’a parfois qu’une scène à jouer comme ici, où il interprète un voisin de Polanski agacé par le bruit et qui se fait vertement remettre à sa place par Bernard Fresson.

"À l’époque, avec mes copains, on courait le cachet dans des productions plus ou moins importantes. Margot Capelier, la grande directrice de casting, gardait un œil sur les jeunes comme nous, issus du café-théâtre. Elle avait toujours un truc à nous proposer. Un jour, elle m’avait demandé si je savais faire du vélo pour jouer un facteur dans Monsieur Klein, rôle que je n’ai pas eu. C’est encore elle qui m’a recommandé à Polanski. Je me souviens que j’avais rendez-vous un lundi matin, à huit heures. J’y suis allé, mort de trouille. Manque de bol, Roman, qui devait revenir de Gstaad où il passait ses week-ends, a eu un problème avec son avion privé. Il a fini par arriver vers seize heures. Autant vous dire que mon angoisse avait eu le temps de monter ! Ça s’est finalement très bien passé."

LES BRONZÉS de Patrice Leconte (1978)
Avec ce film, il devient une star. Son personnage de dragueur pénible, Jean-Claude Dusse, passe à la postérité.

"Lorsqu’il a été question d’adapter notre pièce Amour, coquillages et crustacés, notre premier souhait a été que Patrice Leconte réalise ; nous avons un peu résisté à Yves Rousset-Rouard, producteur et oncle de Christian Clavier, qui avait d’autres noms en tête. En tournant, on ne pensait pas une seconde que le film marcherait autant et qu’il nous poursuivrait toute notre vie. Quant à Jean-Claude Dusse, c’est devenu un archétype presque malgré moi. Au Splendid, on n’écrivait pas nos propres rôles mais ceux de tout le monde. Cependant, assez vite, on voyait qui allait jouer quoi. Quand il s’est avéré que Dusse était pour moi, je me suis dit que c’était une chance. Je n’avais pas encore trouvé mon emploi comique. J’ai pensé à Woody Allen, à un personnage névrosé, physiquement fragile, qui non seulement n’arrive pas à séduire, mais n’est même pas remarqué par les femmes. Je n’ai pas participé à l’écriture des Bronzés font du ski. Je trouvais ça vulgaire de faire une suite, or il est meilleur que le premier !"

MARCHE A L'OMBRE (1984)
Gaumont

MARCHE À L’OMBRE de Michel Blanc (1984)
Michel Blanc devient l’acteur fétiche de Patrice Leconte : Viens chez moi, j’habite chez une copine, Ma femme s’appelle reviens et Circulez y a rien à voir ! capitalisent sur son personnage de faible et d’hypocondriaque. Puis, il se décide à passer à la réalisation.

"J’avais écrit avec Patrice Viens chez moi... et Ma femme..., de gros succès. C’est lui qui m’a poussé à réaliser Marche à l’ombre dont j’avais eu l’idée et que je lui avais proposé. J’étais désarçonné, mais il est arrivé à me convaincre. Il m’a enjoint de prendre un bon premier assistant et un super conseiller technique, en l’occurrence Patrick Dewolf avec qui j’ai écrit la structure de l’histoire. Puis, il a fallu choisir mon partenaire. Je voulais à tout prix Gérard Lanvin, qui avait refusé de faire Viens chez moi..., remplacé par Bernard Giraudeau. Christian Fechner, le producteur, m’a alors dit que ce serait grossier de ne pas retravailler avec Bernard, qui finalement a décliné, se trouvant trop vieux pour le rôle. Et Gérard a cette fois accepté, à mon grand soulagement."

TENUE DE SOIRÉE de Bertrand Blier (1986)
Changement brutal de registre pour Michel Blanc, qui incarne un hétéro séduit par Gérard Depardieu. Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 1986 à la clé.

"J’ai longtemps pensé que Bertrand Blier ne m’aimait pas. Ça remonte à un casting de pub pour une bière qu’il réalisait et où j’avais été très mauvais. Il avait ensuite tourné Les Valseuses où apparaissaient Jugnot et Lhermitte, ce qui m’avait conforté dans ma conviction. Des années plus tard, début 1985, je le rencontre au déjeuner des César. Il vient me voir et me dit : “Je fais un film avec Depardieu et Giraudeau, puis je réfléchis à un truc pour toi.” Peu de temps après, il m’appelle et me propose de m’envoyer son scénario. C’est là que j’apprends que Giraudeau, encore lui, a décliné le rôle au dernier moment. Je demande alors à Bertrand comment il compte faire, je n’ai pas spécialement le physique et le style de jeu de Bernard... “Quand on change d’acteur, mieux vaut changer complètement de point de vue”, me répond-il. Avec Gérard, ça s’est très bien passé malgré des débuts difficiles. Il se trouve que j’avais pris l’habitude de partir travailler mes rôles quelques jours à New York. Gérard avait fait la gueule et avait essayé de m’en dissuader. Je lui ai alors dit que c’était comme ça et pas autrement. Il s’est ensuite montré très prévenant."

Michel Blanc : ces années 80 qui ont tout changé

MONSIEUR HIRE de Patrice Leconte (1989)
Michel Blanc s’éloigne un peu plus de la comédie avec cette adaptation très noire de Simenon sur un personnage de misanthrope, soupçonné d’un meurtre qu’il n’a pas commis.

"Je considère le personnage de monsieur Hire comme mon premier vrai grand rôle de composition. J’étais en effet un acteur à qui on donnait beaucoup de dialogues et qui gesticulait énormément. Monsieur Hire, c’est précisément l’inverse : il ne bouge pas et s’exprime uniquement par le regard. À ma demande, Patrice surveillait scrupuleusement cela. Il m’est arrivé un truc spécial pendant le tournage. Le dernier jour, on refait la scène de fin qui ne marchait pas – celle où Hire tombe du toit. On la met vite en boîte, puis je rentre chez moi. En arrivant, je vois un cordon de police et de l’agitation. Un ouvrier, qui travaillait au cinquième étage de mon immeuble, s’était tué en tombant. J’étais à la fois secoué et troublé par cette coïncidence terrible. Je ne suis pas mystique mais, là, j’avoue que je me suis posé des questions."

GROSSE FATIGUE de Michel Blanc (1994)
Michel Blanc joue Michel Blanc, dont le sosie multiplie les dérapages qui finissent par lui retomber dessus. Une deuxième réalisation primée à Cannes.

"J’ai eu envie de parler du rapport étrange entre le public et les célébrités. Mais j’ai mis du temps à trouver comment. J’ai essayé sans succès avec Josiane Balasko et Jacques Audiard. Puis on m’a suggéré de travailler avec Bertrand Blier qui m’a appris à écrire. Car jusque-là, je bridais mon imagination par mon obsession de structurer parfaitement chaque scène. Alors que Bertrand suit la logique inverse : il imagine une première scène sans avoir en tête la suite. C’est aussi pour cela que j’ai vite compris que notre duo ne mènerait à rien : ce que je lui proposais ne collait jamais avec sa liberté de création. Bertrand a donc écrit seul une première version. Et c’était tellement du Blier que je ne voyais pas l’intérêt de le mettre en scène. Mais il a eu l’idée de faire jouer leur propre rôle à des acteurs. Cette mise en abîme changeait tout. Et quand j’ai appris que Depardieu voulait récupérer le projet, je m’en suis réemparé en m’inspirant évidemment des trouvailles de Bertrand."

DR

JE VOUS TROUVE TRÈS BEAU d’Isabelle Mergault (2005)
Tout à sa carrière de réalisateur (Mauvaise Passe et Embrassez qui vous voudrez), Michel Blanc comédien se fait discret pendant dix ans, mais retrouve le haut de l’affiche avec ce rôle d’agriculteur en quête de l’âme sœur. L’amour est dans le pré avant l’heure !

"Il s’est passé avec ce film le même phénomène public qu’avec Au nom de la terre. Je n’avais pas imaginé un instant qu’on finirait à 3 millions d’entrées lorsque j’ai lu le scénario. J’ai eu envie de ce film car Isabelle m’offrait un rôle qu’on proposait habituellement à Jugnot ! Beaucoup plus sentimental qu’à mon habitude. J’avais un peu peur de m’y casser le nez, mais j’ai accepté pour élargir ma palette de jeu. C’est pendant la tournée de promotion en province qu’on a senti que quelque chose se passait ! J’ai même reçu l’ordre du Mérite agricole. Au départ, j’ai décliné car je trouvais ça indécent vis-à-vis des agriculteurs. Jusqu’à ce qu’on m’explique que ce sont eux qui avaient insisté pour nous remercier d’avoir montré leur solitude, leurs difficultés financières et affectives au cinéma. À une époque où peu le faisaient."

Je vous trouve très beau : Michel Blanc n'a pas besoin d'un malentendu pour conclure

L’EXERCICE DE L’ÉTAT de Pierre Schoeller (2011)
Michel Blanc confirme son aisance grandissante à évoluer dans des registres dramatiques avec ce rôle qui lui a valu un César.

"Je rêvais depuis longtemps de jouer un personnage aux convictions plus fortes que tout : un homme d’Église, un militaire… Ce directeur de cabinet appartient à cette famille-là. Il a avec l’État le même rapport qu’un prêtre avec Dieu. Impossible de dire non malgré mon angoisse de ne pas être à sa hauteur, tant il se situe loin de moi. C’est le regard de Pierre qui m’a porté. Il s’était énormément documenté, avait rencontré des directeurs de cabinet et avait une idée très précise de la manière dont je devais incarner ce personnage. Au départ, je me suis montré trop gentil : un dir cab doit être courtois, mais pas gentil. Finalement, il n’y a eu qu’une scène où ni lui ni moi ne savions où nous allions. Celle où je récite le discours d’entrée de Jean Moulin au Panthéon. En l’interprétant, je me suis pris toute l’émotion de Malraux en pleine gueule et j’ai décidé de la jouer comme si j’écoutais un air d’opéra. C’est le seul moment du film où l’on devine la sensibilité à fleur de peau de cet homme."

DOCTEUR ? de Tristan Séguéla (2019)
Michel Blanc n’a jamais rompu avec la comédie. Il excelle ici en toubib blasé, obligé de faire équipe, un soir de Noël, avec un jeune livreur ignorant tout de la chose médicale.

"Mon agent m’a assuré rarement lire de scénarios de comédie aussi bien écrits. Et je partage son point de vue. J’ai tout de suite aimé cette idée de deux personnages qui ont chacun besoin de l’autre pour évoluer et se sauvent mutuellement dans un rapport quasi filial. Mais pour dire oui, j’avais besoin de connaître mon partenaire. Car sans envie de jouer avec lui, je me savais incapable d’interpréter ce docteur. Quand Tristan m’a montré les essais de Hakim Jemili, j’ai eu le même enthousiasme que lui. Hakim est extrêmement drôle avec une originalité, une vérité hors du commun. Mon exact opposé, même dans la manière de jouer, d’articuler, de bouger. Tourner avec quelqu’un de cette génération me tient en alerte. Car comme nos personnages, on a pu énormément apprendre l’un de l’autre. En tout cas, lui m’a beaucoup appris."

Docteur ? – Michel Blanc : "C’est aussi un film sur la transmission"

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