Charlotte Gainsbourg et José Garcia tournent Nous, les Leroy pour Florent Bernard (La Flamme, le Floodcast)
Apollo Films

Florent Bernard signe avec Nous, les Leroy un premier film très personnel qui avance entre la comédie de couple et la satire sociale. Interview fissa à L'Alpe d'Huez.

On a déjà dit tout le bien qu'on pensait de Nous les Leroy, comédie douce et amère portée par un casting parfait. Charlotte Gainsbourg y joue Sandrine Leroy, une femme bien décidée à quitter son mari, Christophe, joué par un José Garcia tonitruant. Ce dernier, dans un dernier sursaut, propose alors à sa famille un week-end de la dernière chance. Commence un road trip entre Autun et Dijon pour recoller les morceaux... Entre deux pistes rouges, on a discuté influences et nostalgie avec le réalisateur Florent Bernard (connu pour son Floodcast et ses talents de scénariste sur La Flamme ou Vermine), qui signe ici son premier long métrage. 

Ce qui frappe d’emblée dans le film, c'est le regard nostalgique. Ce vieux Land Rover pourri qui parcourt les routes de Bourgognes, Sardou en bande-son et Luis Rego en guest star...
Nous, les Leroy est un film qui résonne beaucoup avec mon histoire personnelle et le regard nostalgique dont vous parlez était à la fois conscient et inconscient. Conscient parce que je ne parle que de ça ! C’est l’histoire d'un gars qui essaie de revivre sa vie passée et qui comprend que le monde a changé. La scène du parc est éloquente : quand il va revoir l’endroit où il a demandé sa femme en mariage, il découvre le banc où ils étaient assis. Dessus un type a écrit « je suce au 06 08… ». La vie est passée par là et n’a rien ménagé. C’est ça le thème profond du film. Mais c’est aussi un sentiment un peu inconscient parce que je suis moi-même quelqu'un de profondément nostalgique. J’essaie de me soigner, ou plutôt disons que j'essaie de moins l'être. J'aurais pu aller, comme le personnage de José Garcia, visiter mon appart de jeunesse pour voir ce qu’il était devenu. J'ai vraiment ce truc-là en moi.

Ce qui appuie cet aspect nostalgique, c’est aussi que tout est vu à hauteur d'enfant… Les choses prennent des dimensions surprenantes, épiques même – une baston de rue devient un combat de titans.
Totalement. Dès le début, je voulais raconter cette histoire par le prisme des gamins. Il se trouve par ailleurs qu’on a tourné là où j'ai grandi et ça joue forcément sur la tonalité du film. Les environs de Dijon, Autun… J'ai toujours trouvé que c'était des décors de cinéma. Quand je faisais mes petits courts métrages avec mes potes, je me disais que ces zones commerçantes, avec ces Buffalo Grill ou ces concessionnaires, ressemblaient à des décors de Far West. Pas de hauteur, très horizontal… Il y avait un côté fantasmatique qui me plaisait bien.

Vous dites Far West on pense western : quelles étaient vos références cinéma ?
C'est un film très dialogué et je voulais beaucoup de mouvement, que ce soit ample. Ma culture est plutôt américaine. La grosse influence de ce film, c'était A bout de course de Lumet. Il y avait les films de Hal Ashby aussi… tout ce cinéma qui m'a touché, qui me touche encore, qui capte la vie et ses mouvements. C’est vers ça – sans me comparer hein ! – que je voulais emmener Nous, les Leroy.

Nous, les Leroy
François Dourlen - 2024 - Nolita Cinema

Vous ne mentionnez que des références américaines, alors que le film paraît très français. Il y a un côté Tandem dans la manière dont vous filmez la France abandonnée…
C’est fou que vous mentionnez ce film : j’avais mis l'affiche au bureau quand on bossait en production. J’avais dit à l’équipe : « voilà, on va tous regarder Tandem et vous comprendrez le feeling ! ». J’ai même écrit une lettre à Patrice Leconte pour qu'il fasse une apparition dans le film - ça n’a pas pu se faire malheureusement. C'est un de mes metteurs en scène préférés, avec Jaoui et Bacri également. Ce que j’adore chez eux, c’est la manière dont leur écriture, faite de punchlines et de répliques ciselées, ne sacrifie jamais les personnages. Ils existent et on sent qu’ils les aiment profondément. Regarde Le Gout des autres. Tu ne peux pas faire pire que le personnage de Jean-Pierre Bacri : il est raciste, con, inculte, mais au fond il est humain. Je voulais que mes personnages existent comme cela ! Que les spectateurs y croient et les trouvent attachants, aussi cons ou faibles soient-ils…

La scène au restaurant m’a fait penser à On connait la chanson. Pour la manière d’avancer en équilibre entre le drame et la comédie et la volonté de transfigurer le réel en même temps.
Pour moi tous les gens dont on parle ici – Bacri, Jaoui, Resnais ou Leconte – ont prouvé que la bonne comédie permettait aussi la pudeur. Cette pudeur invite à parler de choses très graves mais légèrement. Je ne voulais surtout pas prendre de haut mes personnages ou me moquer d’eux, ni du sujet. C'est triste ce qui leur arrive. Par contre ce qu’on peut faire, c’est rire malgré tout. Rien n'a de sens dans la vie alors autant rigoler un peu pour que la pilule passe mieux. Et c’est ce que font ces cinéastes – avec Klapisch également. J'ai vraiment digéré toute cette comédie française en même temps que la comédie américaine dont on parlait : Cameron Crowe, Ashby…

Judd Apatow ?
Lui, c'est à part. C'est mon Dieu absolu !

Tout ce que vous dites s’incarne au fond dans le personnage de José Garcia. Ce qu’il fait dans le film est impressionnant. On l’aime autant qu’on se met à le détester. Parce qu’il a quand même en lui un côté un peu mesquin, brute. C'est un produit du patriarcat à l'ancienne.
Au moment d'écrire son personnage, j'ai essayé d’épouser tous les points de vue de la famille. Je me suis dit si j'étais ma mère ou si j'étais ma compagne, quel serait le pire truc que pourrait faire un gars en face de moi ? Taper sur la table, exploser, lâcher un « Qui t'appelle ? » quand le téléphone sonne. Ca n’a l’air de rien, mais c’est hyper toxique. C'est un personnage de 50 ans et clairement, il n’est pas méchant. Par contre, c'est effectivement un pur produit du patriarcat. Un gars à l'ancienne qui ne tape pas sa femme, n'est pas alcoolique, essaie d’être un bon père tout en ne sachant pas parler à ses enfants…

C’est là où le film passe du très personnel au très universel au fond.
C’était un peu le sens du titre. Nous les Leroy : le nous renvoie à tout le monde. C’est un nous collectif. Mais il y avait aussi l’idée que le père tente de recoller les morceaux, de sauver ce qui peut l’être encore, la famille. Il y a eu le chef d'œuvre de la séparation, Kramer contre Kramer, alors moi, à mon humble niveau, je voulais que le film raconte la famille. On est ensemble, malgré la séparation. Bon, je donne beaucoup de clés là, et je ne veux pas trop spoiler le film.

C’est très difficile de parler du film de fait. Parce qu’il est toujours surprenant, constamment en équilibre entre des sentiments et des ambiances différentes..
Le pitch n’est pas très original. C'est même un genre en soi. La famille qui doit recoller les morceaux dans un road trip… Y en a mille des films comme ça. Pendant la prépa, j’ai découvert que François Uzan préparait On sourit pour la photo, et on a eu très peur. Le sujet était le même : un type part avec sa famille dans les lieux de leurs vacances afin de reconquérir sa femme… François est un ami alors il m'a montré le film et j'ai compris que ça n'avait rien à voir. Mais ça prouve que le road trip familial est un genre bien cartographié et c’est là où le regard du cinéaste fera la différence.

L’autre différence, c’est aussi que ce road trip fait du surplace : les Leroy vont de Autun à Dijon…
Parce qu’au fond le vrai voyage, il est entre eux !

Nous, les Leroy, le 10 avril au cinéma. Avec José Garcia, Charlotte Gainsbourg...