Yves Montand et Daniel Auteuil dans Jean de Florette
Renn Productions

Interview carrière avec l'un des acteurs les plus populaire de France.

Avec Fanny et MariusDaniel Auteuil retrouve la place de metteur en scène qu'il avait découverte avec La Fille du puisatier. Au fond, Pagnol, c'était donné. D'abord parce qu'il s'agit d'un homme de chez lui - Auteuil est avignonnais d'adoption -, mais surtout parce que cet immense comédien est passé par le théâtre de boulevard et le cinéma d'auteur. Retour sur une rencontre d'évidence.
Propos recueillis par Pierre Lunn

Après La Fille du Puisatier, vous adaptez une nouvelle fois Pagnol… Qu’est-ce qui vous séduit à ce point chez cet écrivain ?  

C'est ma culture et mon éducation. Je viens d’un milieu ouvrier du Sud de la France et cette histoire, je la connais, je sais intimement de quoi ça parle, et comment il fallait en parler…

Vous n’aviez pas peur de l’aspect… patrimonial ?

Allez-y carrément ! Vous voulez dire poussiéreux ? Certains me l’ont reproché pour La Fille du puisatier, et… ça m’énerve ! Quand je joue Molière, je ne me dis pas que ça a été écrit il y a trois cents ans et que je ne devrais pas m'y coller. Les grands rôles sont faits pour être joués par les acteurs d'aujourd'hui. C’est un auteur très moderne et comme on ne passe plus ses films en N&B j’espère que la jeune génération découvrira sa force avec ces films.

Quand vous dites moderne, vous pensez à quoi ?  

Un exemple, parmi cent… Vous avez un débat qui agite toute la société et qui porte sur la parentalité. C’est quoi être père ? Est père celui qui aime ou celui qui conçoit ? Et bien dans la trilogie, la réponse est claire : le père, c’est celui qui aime. Répondre ça, dans les années 30, je trouve que c’est d’une modernité et d’une audace folle. Evidemment, il faut protéger le folklore des pièces de Pagnol, jouer l’accent, ne pas sacrifier la partie de carte. Mais la pagnolade, ça m’emmerde… En faisant ces films, j’avais envie que cet auteur soit reconnu au-delà de l’exotisme. Il vaut beaucoup mieux que tous lesa priori qu’on a sur son œuvre… Molière avait eu le même problème cela dit. Au fond, ceux qui ont la générosité de faire rire ou d’émouvoir tout en voulant dire des choses, ceux qui ont cette délicatesse-là, on ne retient d’eux que l’écume.

Vous avez revu les films de Pagnol ?

Non. Contrairement à La Fille du puisatier – pour lequel j’avais vraiment travaillé sur la version d’origine – là, j’ai tenu à ne pas m’encombrer du modèle. D’abord, il ne faut pas oublier que, sauf César, les films dont on parle ne sont pas de Pagnol. Le premier est de Korda et Fanny a été réalisé par Marc Allégret. Pas des manchots ! Ne pas revoir ces classiques m’a, au fond, décomplexé. Je me suis fait ma petite grammaire cinématographique sur La Fille Du Puisatier et là, sur ces deux films, j’étais un peu plus rodé. Plus libre…

C’est à dire ?

Mon seul objectif, c’était de ne rien rater de ce que je voulais voir à l’écran. Je ne voulais pas reproduire, mais capter ! Les paysages, un geste d’un comédien, une larme ou une émotion sur un visage… Ce sont toujours les situations ou ce qu’il y a à raconter qui me dictaient la façon de filmer…

Du coup, j'imagine que ce que vous vouliez éviter, c’était la comparaison…

C’était mon angoisse principale. Je m’en suis libérer en me disant qu’il y aurait toujours la matrice. Ces chefs d’œuvres qui datent de 80 ans. Mais que ça n’empêche pas de proposer une autre version du film. Pour les nouvelles générations ou ceux qui n’ont pas accès à ces classiques.

Bon, vous ne voulez pas de la comparaison, mais je suis obligé de vous demander : comment Daniel Auteuil l’acteur se mesure-t-il à Raimu ?

Mais vous êtes fou ? On ne se mesure pas à Raimu ! Je cherchais au contraire d’autres références. Je me suis demander comment et pourquoi les grands rôles du répertoire classique ont perduré. Je ne devais surtout pas partir de Raimu, parce que son interprétation est magistrale. Tétanisante ! Il fallait revenir au texte et recommencer à zéro.

Mais le jour où vous tournez la partie de carte, j’imagine que vous y pensez quand même un peu.

Mais ce matin-là, j’ai la boule au ventre ! J’ai une trouille sidérale ! Et je me demande comment je vais réussir ça. La solution que j’ai trouvée, c’est de repenser à des grandes parties de carte du cinéma international. Du coup, la scène et mon interprétation deviennent un dialogue avec d’autres parties de cartes du cinéma. Je pense universel. En me disant dans le même temps que je suis dans un bar de Marseille et qu’il doit y avoir des mecs au même moment qui tapent le carton… Je ne sais pas si c’est clair…

Très ! Concrètement, ça veut dire que vous avez pensé votre adaptation comme ça ? Dans une tension entre l’universel et l’idiosyncratique ?  

La première chose que je me suis dite c’est qu’il fallait penser au film que je voulais voir. Et puis, en lisant le texte et en revoyant les films, je me suis rendu compte qu’il ne fallait rien rajouter mais au contraire enlever. Un peu de folklore justement, histoire de mettre en relief son universalité, retrouver les archétypes qu’il a su inventer. Et faire entendre encore mieux le texte. Pendant le tournage, j’étais dans la peau d’un artisan dont l’unique job était d’être au service de ces mots. C’est à la fois humble et énorme comme tâche ! Mais avec un matériau aussi riche, aussi fort… Les mots chez Pagnol ont valeur de paysage. Quand Marius parle de ses rêves, il faut faire vibrer ça, le faire résonner, et ça passe forcément par une certaine discrétion, un certain retrait.

C’est fou, vous en faites vraiment un classique !

Mais oui ! Pagnol, pour moi, c’est Molière ! Shakespeare ! Marius et Fanny, c’est Roméo et Juliette. C’est une histoire d’amour fou. Et qu’elle se passe à Marseille ou à Verone, finalement ça n’a pas tant d’importance que ça…

On peut parler de Raphael Personnaz ? C’est un Marius impressionnant, comme Pierre Fresnay dans les films originaux…

Ca me touche que vous me disiez ça… Parce que Fresnay… C’est quand même une sacrée classe. Raphaël, pour moi, C’EST Marius. Jouer bien, beaucoup de gens savent le faire. Mais être habité par un truc, c’est plus compliqué… Il fallait que Marius soit hanté par l’envie de partir. Et Raphaël, il a tout ce qu’il faut pour nous raconter ça… Bon, je ne l’ai pas lâché. Je lui ai mis la pression. Parce que, je suis aussi acteur et si je sais quel peut être l’apport d’un comédien sur un film, je sais aussi l’importance du regard et de l’exigence du metteur en scène. Il est beau, mais il a bossé comme un fou pour capter quelque chose de ce héros fracassé, de ce héros qui va se tromper.

Vous avez l’air transformé quand vous parlez de Pagnol.

C’est vrai, c’est bizarre. Vous savez, Ugolin a changé ma vie. J'étais vraiment dans le creux de la vague et du jour au lendemain, grâce au film de Berri, à son succès, je revenais aux affaires. Et dans un rôle populaire… Ca m’a permis de faire des films d’auteur (Deville, Sautet) et Jean de Florette m’a ouvert beaucoup de portes. Quand j’ai pensé à la réalisation, j’ai vite compris que ce désir-là ne pouvait passer que par Pagnol. Parce que je devais être sincère et que seul Pagnol pouvait me permettre ça. D’être vrai. Authentique. Tout en pouvant raconter une formidable histoire

Marius, Fanny… Et César ? 

Ah… C’est mon épisode préféré. L’adaptation est prête. Maintenant, il me faut un peu de temps et puis ça dépendra aussi du succès des deux premiers volets.

Daniel, une dernière question : vous étiez à Cannes dans le Jury de Spielberg. Qu’est-ce que vous avez pensé des films en compétition ? Et surtout est-ce que vous êtes d’accord avec cette palme ?

Dites-donc, ça fait deux questions; dont une de trop. Je peux simplement vous dire que la vision de tous ces films, leur variété, m’a conforté dans l’idée que, au cinéma, tous les chemins sont bons à prendre. Ca m’a apporté beaucoup humainement et ça m’a donné envie de continuer à réaliser. C’est drôle parce que Tel Pere tel fils parlait de la paternité et en découvrant ce film à ce moment, je me suis vraiment dit que Pagnol avait encore sa place aujourd’hui. Que sa trilogie faisait écho avec nos préoccupations.

Et la palme ?

C’est votre question de trop…

Vous avez parlé de Pagnol avec Spielberg ? De Jean de Florette par exemple…

Oui, mais la modestie m’oblige à ne pas rapporter ses propos ici !