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« Un film universel, mais pas consensuel ». La définition du parfait film d’ouverture cannoise, surtout si on rajoute une star ou deux sur son affiche. C’est ainsi que Thierry Frémaux a qualifié le film d’Emmanuelle Bercot quand il lui a proposé l’ouverture du 68e Festival de Cannes, comme le rapporte la cinéaste dans les colonnes de Libération.Pourtant, qui aurait anticipé ce choix d’ouverture, surtout cette année quand depuis des mois (depuis la fin de l’édition 2014, carrément) il semblait plié ? Ce serait Mad Max Fury Road ou le boycotte. Si Frémaux a dit que Warner ne voulait de toutes façons pas de l’ouverture cannoise et que le film tant attendu de George Miller sera présenté hors compétition demain, en même temps que sa sortie nationale, le coup de projecteur braqué par le festival le plus médiatique au monde sur un petit film français au cœur social et militant a du sens. Et un sens très fort.>>> La Tête haute : un film qui se cogne contre les murs Une histoire d'échoDouze ans dans la vie d’un jeune délinquant à qui un éducateur et une juge pour enfants continuent, avec une persévérance qui relève de l’abnégation, de tendre la main : voici ce que raconte La Tête haute, un film qui rend hommage à la valeur du système juridique français et sa justice (particulière et protectrice) des mineurs qui date de l’après guerre, d’un temps où l’on croyait beaucoup en la jeunesse ainsi qu’en la force des institutions. Très documenté – Emmanuelle Bercot a fait un stage au tribunal pour enfants de Paris, Deneuve dans le bureau d’un juge pour enfants – La Tête haute salue bien bas des professions peu reconnues et pourtant essentielles à notre société – aujourd’hui plus que jamais. En regardant l’enfance à la dérive, en interrogeant les sources de ce mal (lui-même aux sources des maux de notre temps) et en redonnant de la valeur au remède essentiel qu’est l’éducation, le film de Bercot rencontre un écho particulier dans la France de 2015, quelques mois après la tuerie de Charlie Hebdo. Thierry Frémaux faisait le lien dans les pages de Variety au lendemain de l’annonce de sa sélection et rappelait que l’éducation, la transmission de la culture et des valeurs communes, le « vivre-ensemble », tous les thèmes au coeur de La Tête haute, étaient plus brûlants que jamais : les auteurs des attentats de janvier ne venaient pas d’ailleurs, ils étaient nés et avaient grandi en France. L’immense faillite du système français n’a eu de cesse d’être criée depuis quatre mois, et le film d’Emmanuelle Bercot (qui a commencé, avec Marcia Romano, l’écriture du scénario il y a quatre ans) ne fait pas autre chose. Sauf qu’il le fait peut-être de manière plus constructive, avec le langage et la sensibilité du cinéma, avec l’optimisme permis par la fiction, aussi, et le souci de mettre en lumière la faillite d’un système peut-être, mais surtout la lutte acharnée de ceux qui oeuvrent en son sein.Avec l’aide du mégaphone cannois, enfin, qui va considérablement amplifier l’écho qu’il aurait pu avoir sans. Ce choix d’ouverture, qui plus globalement donne le « la » d’une sélection à forte portée politique (La Loi du marchéDheepan…) et dominée par le cinéma français, est donc un genre de statement : il est temps de prendre conscience des problèmes sans pour autant baisser les bras. Et d’y faire face - la tête haute.  Vanina Arrighi de CasanovaLa Tête haute d'Emmanuelle Bercot avec Rod Paradot, Catherine Deneuve et Benoît Magimel est présenté ce soir en ouverture de Cannes, et déjà dans les salles françaises.