Les deux premières parties de ce retour prouvent que le cinéaste sait encore parfaitement nous désorienter.
Retour à Twin Peaks 26 ans après que la série de David Lynch eut fini de dynamiter la télé à l’aube des années 1990. Comment ressuscite-t-on un show fondateur, annonciateur de ce qui allait être produit de plus intéressant sur petit écran dans le quart de siècle suivant ? Ce n’est visiblement pas un problème pour le cinéaste, dont l’art de l’étrange surpasse encore celui de tous ses héritiers. Autant prévenir, et se cacher derrière cette prévention tout de suite : il est à peu près impossible d’analyser ces deux heures de télé – les deux premières parties de ce que Lynch et Mark Frost refusent d’appeler une saison 3 sont diffusées d’un bloc et impossible d’y distinguer un « épisode ». Tant de pistes sont esquissées, de personnages introduits, d’enjeux narratifs nouveaux ou relatifs au passé qu’il faudra bien 18 heures de programmes pour que l’ensemble, qui se vivra sans doute plus comme un voyage tortueux que comme une série d’épisodes, se déploie en un tout cohérent (ou non). On se contentera donc de communiquer un sentiment général en spoilant le moins possible – on le voudrait qu’on serait bien en peine d’y arriver.
Tout ce qu'il faut savoir sur Twin Peaks saison 3
De New York au Dakota
Retour à Twin Peaks donc. Mais si peu. La première partie s’ouvre dans ce patelin désormais mythique (sur la musique envoûtante d’Angelo Badalamenti toujours, qui pourrait nous faire chialer), la seconde s’y clôt, on y passe brièvement au cours de ces deux premières heures, retrouvant quelques uns de ses habitants emblématiques (Dr Jacoby, Lucy, Andy, Hawk, la femme à la bûche, Ben et Jerry Horne, Shelly, James, Madame Palmer) comme autant de clins d’œil fugitifs au téléspectateur de 1990 qui peut enfin prendre des nouvelles de ses vieux amis. Mais Lynch nous embarque aussi à New York, Las Vegas, et quelque part dans le Dakota du Nord où se noue une intrigue qui rappelle l’arc narratif de Leland Palmer : un homme est accusé d’avoir commis un meurtre dont il est persuadé n’avoir que rêvé... On passe aussi, bien sûr, beaucoup de temps dans la Black Lodge, où l’on retrouve l’agent Dale Cooper où on l’avait laissé, où l’on croise le manchot, Leland, le géant, et… Laura Palmer, qui vient encore murmurer quelque chose à l’oreille de Cooper. Le peu que l’on apprend de sa situation, c’est qu’il ne pourra sortir de ce non lieu, de cette « non existence » que quand son double, celui possédé par Bob (cf fin de la saison 2), y sera retourné. Ce double poursuit, lui, un but mystérieux dans le Dakota, ressemblant à un malencontreux sous-Elvis – un Dick Rivers en fait, le sous-Elvis français – rencontrant toutes sortes de gens bizarres et semant la mort sur son passage. C’est assez désagréable à regarder et on aimerait surtout récupérer le vrai special agent Dale Cooper. Mais quand, à la fin de la 2e partie, il frappe à une porte que Jennifer Jason Leigh lui ouvre, on se rappelle que toute tentative de conjecture est vaine et qu’on ne peut pas imaginer à quoi les chemins sinueux que la série a toujours empruntés vont nous mener cette fois. Pendant ce temps, à New York, un type a été engagé pour observer une cage de verre depuis un canapé, au cas où quelque chose en émergerait. Piste narrative la plus prometteuse jusque là et, surtout, image aussi géniale qu’évidente du téléspectateur, assis sur son canapé en train de regarder une boite de laquelle pourrait bien surgir quelque chose de surprenant…
Mais qu’est-ce qu’on est en train de regarder ?
On regardait beaucoup la télé dans les deux premières saisons de Twin Peaks, constante mise en abîme de la position du spectateur, et on passait beaucoup de temps à se demander ce qu’on était vraiment en train de regarder. Avec son refus de la narration linéaire, son art de l’anticipation – les longs plans de coupe qui rendent terrifiants les objets les plus communs et les couloirs déserts, les regards interminables et les dialogues qui ne sont jamais prononcés -, Lynch recrée immédiatement le feeling fantastico-flippant de sa série (et de son film, dont cette nouvelle saison tire sa noirceur). Il alterne le sublime et le grotesque, retrouve la texture 90’s quand on sent pourtant à chaque plan le changement d’échelle de production, et sème la confusion chez les plus familiers de son œuvre. Si, époque oblige, ses références ne sont plus les soaps et les polars à la Colombo mais plutôt True Detective, Lost et Fargo, ses propres héritiers, on se pose toujours exactement la même question qu’il y a 27 ans : qu’est-ce qu’on est en train de regarder ?
C’est l’indéniable et totale réussite de ce retour à Twin Peaks : Lynch parvient encore à montrer, après 26 ans d’absence du petit écran et 10 du grand, qu’il reste maître en son royaume de l’étrange. Vivement la suite.
Twin Peaks saison 3 sera diffusé sur Canal+ jeudi 25 mai à 22h25, juste après sa présentation à Cannes. Puis les mardis à 20h50 sur Canal+ Séries.
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