Le cinéma de Robert Zemeckis
Universal / Disney

De Roger Rabbit à Here, de Retour vers le futur à The Walk en passant par Forrest Gump, le cinéaste a toujours su mettre les nouvelles technologies au service de ses histoires. Retour sur le cinéma d'un pionnier.

C'est un peu le savant fou d'Hollywood. À 72 ans, Robert Zemeckis n'a toujours pas fini d'expérimenter. Depuis un demi-siècle, son cinéma est fait d'audace et d'innovation. Une créativité artistique chevillée au corps, couplée à une envie d'explorer les nouvelles technologies, qui a donné quelques-uns des films les plus marquants des dernières décennies. Avec Here, le réalisateur débarque encore une fois avec un concept fort et de nouvelles techniques cinématographiques. Et pourtant, Robert Zemeckis ne veut pas être catalogué comme un réal tech : "Je ne sais même pas comment utiliser un ordinateur ni rien de ce genre" s'amuse Zemeckis dans une interview donnée cette semaine à Variety. "Mais c'est vrai que j’adore les outils de réalisation cinématographique. J’aime avoir tous les outils à ma disposition". Et depuis le succès de son classique d'aventure À la poursuite du diamant vert (1984), Bob a les mains libres pour faire ce qu'il veut. Retour sur 50 ans d'expérimentation sur grand écran.


Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (1988)

Qui veut la peau de Roger Rabbit
Amblin

Terry Gilliam a renoncé, trouvant le projet trop difficile techniquement. Mais Robert Zemeckis, lui, n'hésite pas à se lancer dans ce projet mêlant animation traditionnelle et live-action, porté par Steven Spielberg. Avec un budget de 70 millions de dollars, il est l'époque l'un des films les plus chers réalisés. Il faut dire que l'ambition est énorme et inédite sur un plan technologique, dans de telles proportions. La production installe des caméras VistaVision sur le plateau, pour la capture des mouvements, tandis que des mannequins en caoutchouc de Roger Rabbit & co incarnent les personnages animés pendant les répétitions pour montrer aux acteurs où diriger leur regard. La post-production dantesque va durer 14 mois, parce que les ordinateurs de la fin des années 1980 n'étaient pas assez puissants pour faire un film aussi riche. Ainsi, toute l'animation a dû être réalisée en utilisant des cellulos et du compositing, les animateurs et graphistes travaillant directement sur les images filmées en live. A l'arrivée, le film décroche trois Oscars techniques mérités (Meilleur montage, effets sonores et visuels).
 

Retour vers le futur 2 (1989)

DR

Moins d'effets spéciaux numériques. Mais quatre ans après le succès de Retour vers le futur, Zemeckis se lance dans la construction... du futur ! L'ambition est énorme. Les équipes techniques ont passé des mois à planifier et à préparer la transformation de Hill Valley en une ville du XXIe siècle. Le directeur artistique des effets visuels, John Bell, savait seulement que l'histoire se situerait 30 ans plus tard "avec quelque chose appelé des hoverboards". Surtout, il avait la vision de Robert Zemeckis et de son scénariste Bob Gale, soucieux de présenter le futur comme un endroit agréable, où la technologie aurait des conséquences positives sur la vie des gens, à contre-courant de la vision des films de science-fiction habituels. Il a fallu deux ans pour terminer la construction des décors. Puis, pendant le tournage, Robert Zemeckis a fait appel à des techniques de maquillage de pointe pour vieillir, en réel, ses acteurs (Michael J. Fox et Elizabeth Shue). Un processus dantesque, qui demandait quatre heures de travail chaque matin. Et il faut préciser que durant les trois dernières semaines du tournage de Retour vers le futur 2, Zemeckis débutait en même temps celui de Retour vers le futur 3, à quelques dizaines de kilomètres de là, dans le désert de Californie...
 

La mort vous va bien (1992)

la mort vous va si bien
Universal Pictures

La célèbre comédie macabre a aussi représenté, en son temps, une avancée majeure dans l'utilisation des effets CGI, sous la direction d'Industrial Light & Magic (la société fondée par George Lucas). La mort vous va bien fut le premier film utilisant une texture de peau générée par ordinateur (le fameux plan où Madeline remet son cou en place). Robert Zemeckis a aussi eu recours à un modèle animatronique créé par Amalgamated Dynamics et à une foule d'effets de maquillage et de prothèses, qui ont fini par user Meryl Streep, dégoûtée depuis par les effets spéciaux : "Ce fut ma première, ma dernière, et ma seule fois" dira-t-elle plus tard dans EW. "C'était tellement fastidieux. Quelle que soit la concentration que vous pouvez appliquer à ce genre de comédie, elle est tout simplement détruite. Vous restez là comme une machine..." Malgré tout, les avancées numériques mises au point pour le film par Industrial Light and Magic ont ensuite servi à Steven Spielberg pour son Jurassic Park.
 

Forrest Gump (1994)

Forrest Gump
Paramount

Si l'essentiel du génie de Forrest Gump tient dans le scénario d'Eric Roth (tiré du roman homonyme de Winston Groom publié en 1986) et à la performance de Tom Hanks, Robert Zemeckis s'est amusé quand même avec les technologies de l'époque, pour inclure son héros dans l'Histoire. En utilisant des techniques de CGI, il a permis à Forrest de serrer la main de Kennedy. L'acteur a filmé devant un écran bleu avec des marqueurs de référence afin qu'il puisse s'aligner avec les images d'archives. Des effets spéciaux ont été utilisés aussi pour modifier la synchronisation labiale de ces personnages historiques. Forrest Gump a remporté six Oscars dont celui du Meilleur réalisateur pour Zemeckis, le seul à ce jour.
 

Seul au monde (2000)

DR

La prouesse de Robert Zemeckis n'est pas ici technologique, mais organisationnelle ! Et pour cause, Seul au monde n'a pas été tourné chronologiquement. La production a commencé en janvier 1999 et a pris fin concrètement en mai 2000. Un tournage étalé sur presque 16 mois, minutieusement millimétré et entrecoupé de longues pauses, pour permettre à la production de changer de lieux (les scènes sur l'île déserte ont été filmées aux Fidji) et surtout à Tom Hanks de perdre du poids et se laisser pousser les cheveux, ainsi que la barbe. Une longue interruption de production de quatre mois a ainsi précédé le tournage des scènes de retour. Pendant cette pause, Zemeckis a utilisé la même équipe de production pour faire un autre film : le thriller Apparences, avec Harrison Ford et Michelle Pfeiffer !

Le Pôle Express (2004)

Le Pôle Express
Warner bros.

"J’ai tourné Le Pôle Express car je rêvais de comprendre comment il était possible d’y arriver" disait Robert Zemeckis dans une interview à Première. Parce qu'à l'époque, le premier film d'animation du cinéaste est un film de pionnier. Zemeckis décide de faire un conte de Noël entièrement réalisé en Performance Capture. Un nouveau procédé a été créé. Les acteurs et surtout Tom Hanks ont été filmés avec un équipement dans une boîte noire. Le procédé s'avérant très coûteux (on parle d'1 million de dollars par minute de film), Zemeckis a fait un deal avec l'investisseur Steve Bing qui a financé la moitié du budget. La "Facial motion capture", également appelée "Face tracking" (« capture d'expressions faciales ») fut une évolution de la capture de mouvement. Une technique qui a surtout permis de prendre en compte de manière plus précise les mouvements corporels et les expressions faciales. Technique que le cinéaste peaufinera par la suite dans La Légende de Beowulf (2007) puis Le Drôle de Noël de Scrooge (2009) et qui servira grandement à Spielberg pour faire ses Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne quelques années plus tard (2011).
 

Flight (2011)

denzel washington flight
Paramount

Au-delà de la performance oscarisée de Denzel Washington, le film reste en mémoire pour sa scène de crash d'avion inouïe, certainement l'une des plus réalistes du 7e art. Pourtant, le budget alloué au film était particulièrement restreint, se chiffrant autour de 30 millions de dollars. Il a donc fallu relever un défi technique. Zemeckis a fait appel à son expérience de l'imagerie numérique, peaufinée sur ses trois films d'animation précédents. Mais au-delà des effets numériques, le cinéaste fit aménager trois cabines d'avion différentes en réel dans un studio, chacune dédiée à un type de turbulences très précis. L'une d'entre elles, permettant la rotation de la cabine à 360 degrés, était même surnommée la "rôtissoire" sur le plateau.
 

The Walk : rêver plus haut (2015)

Sony Pictures Releasing France / Columbia TriStar / Imagemovers / Sony Pictures Entertainment

Un saut dans le vide pour Zemeckis. Racontant l'histoire de Philippe Petit, qui parcourut un fil entre les tours jumelles du World Trade Center en 1974, le réalisateur joue cette fois avec la 3D pour mieux provoquer le vertige. "Je cherchais des histoires qui seraient bonifiées par la 3D. Je crois que la 3D est un outil de cinéaste, qui doit servir un scénario. Comme on décide de faire un film en couleur ou en noir et blanc" disait Zemeckis. Pour peaufiner sa vision, il fait construire le derniers étages des Twin Towers en studios, accroche un fil entre les deux, et demande à Joseph Gordon-Levitt de l'arpenter. L'acteur, qui a bossé avec le rôle avec le vrai Philippe Petit, est devenu un véritable funambule pour l'occasion. Et Robert Zemeckis a livré aux spectateurs la peur du vide, comme jamais au cinéma.
 

Bienvenue à Marwen (2019)

Welcome to Marwen
Universal

Toujours plus expérimental, le cinéaste mixe cette fois capture de mouvement et prises de vues réelles. Maîtrisant la technologie à la quasi perfection, il raconte l'histoire d'une victime de violence traumatisée, qui se rêve en soldat héroïque de la Seconde guerre mondiale dans un monde de poupées. Steve Carell en modèle réduit, c'est la promesse de Robert Zemeckis. Alors le réalisateur pousse le concept : ce sont dix-sept Action Man et poupées Barbie qui ont été créés en vrai, à l’échelle 1/6è, afin d’être manipulées puis scannés et répliqués en digital. Ces figurines ont été traitées comme des personnages à part entière, avec des dialogues, des costumes et des accessoires propres. Elles ont été fabriquées grâce à des imprimantes 3D, puis peintes à la main et enfin numérisées. Le design des visages a également été perfectionné par Bill Corso qui a utilisé une nouvelle technique de maquillage numérique, rendant épatante la ressemblance avec les acteurs.


Pinocchio (2022)

Pinocchio Disney
Disney

S'il n'atteint jamais la poésie sombre de la version de Guillermo del Toro sortie la même année (sur Netflix), cette version live-action du conte de Disney (d'après l'Italien Carlo Collodi) offre un nouveau terrain de jeu enfantin pour Robert Zemeckis. "Il s’agissait d’un film en prises de vues réelles qui devait être entrecoupé de scènes qui ressemblaient à des prises de vues réelles, mais qui étaient entièrement numériques" détaillait Kevin Baillie, le spécialiste des VFX du réalisateur, dans une interview au site PostPerspective. "Bob (Zemeckis) a filmé chaque scène du film avec une caméra virtuelle. Il a donc tourné le film deux fois  Il a fallu plus de deux ans, et les effets visuels à eux seuls ont pris environ un an à terminer. Nous avions environ 1 000 personnes sur le projet à tout moment, et plus de 100 animateurs !"
 

Here- Les Plus belles années de notre vie (2024)

Robin Wright et Tom Hanks dans Here
sony pictures

Encore une oeuvre conceptuelle et poétique. Dans les pas de la BD Ici, Zemeckis pose une caméra fixe dans le coin d'un salon et raconte ainsi un siècle de la vie d'une maison. On suit la touchante histoire de Richard et Margaret à travers le temps, depuis leur adolescence jusqu’à la mort. Différents âges et différentes étapes de la vie rendus à l'écran grâce à l’utilisation habile de techniques de pointe, notamment un processus de vieillissement et de rajeunissement assisté par une Intelligence Artificielle. "Nous n’aurions pas pu faire ce film il y a cinq ans"assure Robert Zemeckis à Variety, toujours aussi emballé par les nouvelles technologies. Avec son âme de pionnier, Zemeckis expérimente ainsi l'IA en temps réel sur un tournage. "Cette technologie ne nécessite pas de points sur les visages. Elle ne nécessite pas de caméras multiples ou autre technologie intrusive." Une approche par intelligence artificielle, qui a "permis aux acteurs de se concentrer simplement sur leurs performances". Pendant le tournage à proprement parlé, le réalisateur utilise 2 moniteurs de contrôle derrière la caméra : un pour voir ce qu'il est réellement en train de filmer et un second pour voir les changements sur les visages en temps réel."C’était vraiment rudimentaire à cet instant de la production, mais on en voyait suffisamment. Un outil formidable !"