Le cinéaste, proche de Jack Nicholson et figure du Nouvel Hollywood, avait 89 ans.
Five Easy Pieces, Easy Rider… Avec Bob Rafelson, tout semblait easy. Facile. C’était l’époque qui voulait ça. Soit la fin des années 60 et le début des années 70, période dont il fut, à Hollywood, l’une des figures-clés, grâce aux films qu’il réalisa et ceux qu’il produisit via sa société BBS. Egalement co-créateur du groupe de rock parodique The Monkees, auteur d’un remake fameux du Facteur sonne toujours deux fois avec Jack Nicholson et Jessica Lange, Bob Rafelson s’est éteint à l’âge de 89 ans, samedi, à Aspen, dans le Colorado.
Né en 1933 à New York, neveu de Samson Raphaelson (le scénariste fétiche d’Ernst Lubitsch), Bob Rafelson avait refusé de suivre les pas de son père dans l’industrie textile et préféré quitter le domicile familial pour explorer les Etats-Unis, puis le monde. Dans les années 50, il fait du rodéo dans l’Arizona, joue du jazz à Acapulco, étudie la philosophie à Dartmouth, devient disc-jokey dans une base américaine au Japon… Il finit par débarquer à Hollywood au début des années soixante où, après plusieurs petits boulots, il s'associe avec Bert Schneider pour fonder la société Raybert Productions, qui deviendra BBS. Gros fumeurs d’herbe, proches de la scène musicale californienne, Rafelson et Schneider incarnent la génération hippie qui s’apprête à renverser le vieux monde hollywoodien.
Les deux copains touchent le jackpot en inventant un groupe préfabriqué, une sorte de parodie américaine des Beatles : The Monkees, le premier boys-band de l’histoire pop. La série télé du même nom cartonne sur NBC (et remporte un Emmy Award), leurs chansons se fraient un chemin jusque dans les charts… En 68, le groupe se saborde en grande pompe dans le premier film de Bob Rafelson, le très psychédélique Head, co-écrit avec un certain Jack Nicholson. L’acteur, dont la carrière est alors cantonnée aux séries B, envisage à cette époque une reconversion dans l’écriture de scénario. Il trouve en Bob Rafelson plus qu’un pote : un véritable compagnon de route. Head est le début d’une association artistique de longue durée entre les deux hommes, qui s’étalera sur trois décennies.
Les années 69-70 voient l’acmé du duo. D’abord grâce à Easy Rider, réalisé par Dennis Hopper et produit par BBS, carton monstre qui révolutionne l’industrie et fait de Nicholson une star. Puis avec Five Easy Pieces (sorti à l’époque en France sous le titre Cinq pièces faciles, mais mieux identifié aujourd’hui sous son titre VO), grand succès critique, nouvel emblème générationnel, qui reçoit quatre nominations aux Oscars – dont meilleur film et meilleur acteur pour Nicholson. C’est sans doute l’une des œuvres qui synthétisent le mieux l’esprit du Nouvel Hollywood, à la fois d’un point de vue sociologique et esthétique : ce road-movie au décor typiquement américain, mais travaillé par une "sensibilité européenne" (comme on dit), raconte l’histoire d’un fils de bonne famille en rupture de ban, qui tourne le dos à ses privilèges et à un destin tout tracé de pianiste, pour mieux se construire dans l’errance, au fil d'une longue dérive existentielle.
Easy Rider raconté par Peter FondaTandis que BBS, dans la première moitié des années 70, continue de produire des films essentiels (La Dernière Séance, de Peter Bogdanovich, le documentaire Le Cœur et l’Esprit, sur la guerre du Vietnam, Oscar du meilleur documentaire en 75), la carrière de Rafelson, déjà, s’enlise un peu, avec le cafardeux The King of Marvin Gardens, sur la rivalité de deux frères (Nicholson et Bruce Dern) déambulant dans Atlantic City, un film sur lequel on sent peser une grosse déprime post soixante-huitarde. D’ailleurs, à propos de coup de blues post-68, c’est aussi à cette époque que Rafelson, toujours dans les bons coups, prête 300 000 dollars à Jean Eustache et au producteur Pierre Cottrell, pour les aider à tourner La Maman et la Putain.
Après Stay Hungry, en 1976, dans lequel un culturiste nommé Arnold Schwarzenegger fait ses débuts d’acteur, Bob Rafelson se spécialise au cours des années 80 dans les polars érotiques et vénéneux : une relecture du Facteur sonne toujours deux fois, sur un script de David Mamet, présentée hors compétition à Cannes, et qui attire plus d’un million de Français dans les salles en 1981, puis La Veuve noire (1987), avec Debra Winger, Theresa Russell et Sami Frey. Le cinéaste continue de tourner dans les années 90, sans déclencher beaucoup de passion, mais toujours avec la complicité de l’ami Nicholson, tête d’affiche de Man Trouble (1992) et Blood & Wine (1996, avec aussi Michael Caine et Jennifer Lopez). Rafelson fera ses adieux à la mise en scène après Sans mobile apparent, un polar avec Samuel L. Jackson, d’après Dashiell Hammett, sorti en 2002. On pouvait encore récemment le voir dans le documentaire We Blew It, de Jean-Baptiste Thoret, en compagnie de quelques autres survivants du Nouvel Hollywood, où il s’interrogeait sur la façon dont les Etats-Unis étaient passés de l’élan libérateur des sixties au marasme d’aujourd’hui – une époque difficile, compliquée. Définitivement uneasy.
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