Le film d'animation remarqué à Cannes et à Annecy vient de gagner un Golden Globe. Nous avions rencontré son créateur pour parler de sa création.
Comment faire un grand film sur un petit chat confronté à la fin du monde ? Le cinéaste letton Gints Zilbalodis explose les codes de l’animation avec Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, qui vient de recevoir un Golden Globe à Hollywood. Face à des concurrents bien plus gros que lui : Vice-Versa 2 et Vaiana 2 des studios Disney, Le Robot sauvage de chez Dreamworks et le nouveau Wallace et Gromit conçu pour Netflix. Un seul autre film indépendant était en lice : Mémoires d'un escargot, d'Adam Elliot.
En juin dernier, à l'occasion du festival d'animation d'Annecy, il nous avait dévoilé les secrets de fabrication de cette bombe dont vous n’avez pas fini d’entendre parler. Voici son interview, initialement publiée dans le n°556 de Première.
#Flow wins Best Motion Picture - Animated at the 2025 #GoldenGlobes pic.twitter.com/754Pu7FfXl
— The Hollywood Reporter (@THR) January 6, 2025
Tour de force visuel et narratif (aucun dialogue n’est prononcé), Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau est l’histoire épico-poétique d’un matou et de quelques animaux qui tentent de survivre au Déluge dans un monde où l’humanité a disparu. Passé par Cannes (UCR) et le festival d’Annecy (d’où il est reparti avec quatre prix), ce long métrage atypique est déjà favori pour l’Oscar du meilleur film d’animation. C’est l’œuvre du Letton Gints Zilbalodis, 30 ans et les yeux fuyants du timide qui a la boule au ventre à la moindre interaction sociale. "J’ai fait mon premier film entièrement seul et l’histoire parlait du sentiment de solitude. Cette fois, j’ai dû travailler en équipe et il se trouve que le film traite de notre capacité à faire confiance aux autres. L’ironie de la chose ne m’a pas échappé", sourit discrètement le réalisateur, qui nous raconte ses obsessions formelles.
PREMIÈRE : Ce qui frappe tout de suite avec Flow, c’est son ampleur. On se croirait dans un mélange de The Impossible et Mad Max : Fury Road.
GINTS ZILBALODIS : Le live action m’inspire beaucoup. Je vois les similitudes avec Fury Road, où les dialogues sont presque secondaires et où tout ce qui compte, c’est la course-poursuite. Sauf que moi, je suis partisan des longues prises. Pas juste pour épater la galerie, mais parce que ça permet dans un seul plan-séquence d’ajouter plusieurs couches de lecture : tu démarres loin du personnage, tu t’en rapproches, tu t’écartes à nouveau… Ça crée ce sentiment d’objectivité et de subjectivité à la fois, sans que j’aie trop l’impression de manipuler le public. Dans le monde de l’animation, les possibilités des mouvements de caméra n’ont pas été explorées autant qu’elles devraient l’être. Comme il y a une sorte de contrat avec le spectateur, une suspension consentie de l’incrédulité, on doit pouvoir s’autoriser à être plus expressif, à pousser les curseurs de l’émotion à travers le cadrage. L’histoire est vraiment importante pour moi, mais parfois je me dis qu’en fait c’est mon excuse pour m’amuser avec la caméra. (Rires.)
Comment composez-vous vos plans ?
Généralement, dans le cinéma d’animation, tout commence par un story-board dessiné à la main. On ne l’a pas fait avec Flow. À la place, je suis directement passé à une animatique en 3D. Je place les personnages dans des scènes qui ne sont pas encore animées, et je bouge ma caméra virtuelle pour trouver des idées de plans. Par- fois, j’ajoute l’éclairage, parce que ça me donne la position des ombres, ce qui rentre en compte dans la composition. Et il m’arrive de mettre de la musique pour sentir le tempo, le ton de la séquence. Comme il n’y a pas de dialogues, le sentiment d’immersion doit l’emporter sur tout. Ça demande de la spontanéité et de la souplesse. Je n’ai pas relu une seule fois le scénario après l’avoir écrit, et je m’en suis éloigné régulièrement parce que ce qui marchait sur le papier ne fonctionnait pas du tout en vrai. Chez les frères Coen, chaque plan est prévu avant le tournage. Je suis incapable de faire ça. J’ai dû expérimenter durant deux ans pour en arriver là où je voulais.
Finalement, vous êtes presque plus proche des mécaniques de création des jeux vidéo que de l’animation.
Il y a quelque chose de cet ordre, oui. D’ailleurs, les outils utilisés dans ces deux arts sont de plus en plus communs. Comme dans les jeux vidéo, j’accorde énormément d’importance aux environnements, car j’estime que la narration passe aussi par là. C’est pour cela que je privilégie les plans larges. Et je voulais que les décors sèment le doute, qu’on soit incapable de dire si on se trouve dans un monde moderne ou très ancien. Petit à petit, une mythologie se met en place. Je guide le regard du public, mais je le laisse tirer ses propres conclusions.
À l’opposé des environnements détaillés, il y a ces animaux presque esquissés et pourtant très réalistes dans leurs mouvements…
C’est parfaitement conscient. Il n’y a pas eu de capture de mouvements, mais les animateurs ont utilisé beaucoup de références. On a cherché l’équilibre entre le réalisme et quelque chose de plus graphique. Ça a demandé beaucoup d’essais visuels en 3D. On pouvait modifier en temps réel les "visages" des animaux pour voir s’ils fonctionnaient sous différents éclairages. J’aime bien cette idée de travailler la matière numérique comme si c’était de la pâte à modeler. Ce n’est jamais de la technique pour moi, c’est du fait main, même si on passe par un ordinateur. C’est souvent le piège avec les images de synthèse : le processus de création devient presque clinique. Et on se retrouve avec des personnages photoréalistes, certes très impressionnants, mais qui ont déjà l’air vieillots quelques années après. Moi, je vise modestement l’intemporalité.
Propos recueillis par François Léger
Voici la bande-annonce de Flow :
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