Personne n'y comprend rien de Yannick Kergoat
Belladone-Films-Norte-Productions-Mediapart- Jour2 Fête

Fin et malicieux pédagogue, le réalisateur des Nouveaux chiens de garde décrypte les tenants et les aboutissants de l’affaire "Sarkozy-Kadhafi", dont le procès débute aujourd'hui.

Il vaut parfois mieux tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler car certains risquent de vous prendre au mot. La preuve avec ce documentaire de Yannick Kergoat qui s’empare de l’affaire dite des financement libyens – dont le procès s’ouvre aujourd'hui – en partant d’une phrase d’un des principaux accusés – et présumé innocent à ce jour – l’ex- Président Nicolas Sarkozy. Une phrase bravache d’une interview donnée au Figaro Magazine en 2023 visant à éteindre l’incendie mais n’a fait, par son arrogance, que rajouter de l’huile sur le feu : « les Français sont bien en peine de résumer ce qu’on me reproche. Personne n’y comprend rien ».

Chiche lui répond donc ici Yannick Kergoat qui a déjà prouvé avec Les Nouveaux chiens de garde et La (Très) grande évasion son aisance sur le terrain du documentaire politique et sa capacité d’être à la fois extrêmement pédagogique et savoureusement espiègle. En s’appuyant sur l’enquête menée par Mediapart depuis 2011 et la réception d’un mail mystérieux de Ziad Takieddine – intermédiaire qui ne cessera de changer de versions sur les faits au fil des années -, Kergoat remonte donc le temps et donne à voir les différentes pièces du puzzle : de l’affaire Karachi alors qu’Edouard Balladur était Premier Ministre et candidat à la Présidentielle aux revirements de la relation agitée entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Khadafi.

De la réception en grande pompe de ce dernier en décembre 2007 (où le dictateur libyen installa pendant plusieurs jours sa tente dans le parc de l’Hôtel Marigny !) au moment où le Président français le lâchera dans la foulée du Printemps Arabe, participant de fait à sa chute. Le tout sur fond de remontée de flux financiers supposés illégaux et de renvois d’ascenseur permanents puis de règlements de compte entre les deux camps devenus ennemis, où tous les coups semblaient soudain permis. Pour cela, Personne n’y comprend rien fait dialoguer images d’archives, échanges téléphoniques entre Sarkozy et Kadhafi que Mediapart a réussi à se procurer et témoignages de gens proches et connaisseurs du dossier racontant par le menu les multiples personnages impliqués dans cette affaire au fil des années : Claude Guéant, le Secrétaire Général de l’Elysée, plusieurs ministres sarkozystes, des membres des RG…

Personne n'y comprend rien de Yannick Kergoat
Belladone-Films-Norte-Productions-Mediapart- Jour2Fête

Kergoat réussit son pari de rendre cet apparent enchevêtrement complexe d’une limpidité totale avec ce ton un brin ironique qui mettra forcément en fureur les défenseurs corps et âme de Nicolas Sarkozy. On regrette d’ailleurs que ceux- ci – à qui la demande a pourtant été faite – n’aient pas souhaité donner leur version des faits. Alors que – et c’est l’autre limite du film – Fabrice Arfi de Mediapart (auteur de l’enquête avec son confrère Karl Laske) s’y pousse lui au contraire, un peu trop du col. Quand on connaît les relations houleuses entre Nicolas Sarkozy et Mediapart (co- producteur de Personne n’y comprend rien), cette attitude pourrait avoir tendance à entraîner le documentaire vers un pur règlement de comptes ou un procès à charge anti- sarkozyste, ce dont il se défend dès les premières minutes. Mais heureusement le travail de Kergoat et la sidération qu’on éprouve devant les ramifications de ce qui pourrait être l’un des plus grands scandales de la Vème République l’en empêchent. C’est désormais à la Justice de s’exprimer et de trancher.

De Yannick Kergoat. Durée 1h44. Sortie le 8 janvier 2025