Le film d'Abdellatif Kechiche, Palme d'or 2013, revient ce soir sur Arte.
Alors que le 71e festival de Cannes bat son plein, Arte diffusera ce soir La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche, avec Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, la Palme d'Or 2013. Voici la critique publiée dans Première à sa sortie.
Léa Seydoux : "On en a bavé sur La Vie d’Adèle, mais ça valait la peine"
Kechiche aime les mots et ses héros mettent souvent autant d’énergie à parler qu’à bouffer. Dans La Vie d’Adèle pourtant, les mots ne sont plus que le bruit de fond d’une oeuvre physique, quasi sauvage, traversée par des émotions d’autant plus puissantes qu’elles sont souvent silencieuses. D’une histoire d’amour brûlante (et peu importe qu’elle soit homo ou hétéro) vécue avec l’intensité folle des premières fois. Une histoire d’amour charnelle surtout, mais pas seulement parce que les deux héroïnes baisent plus qu’elles ne parlent. On a déjà beaucoup évoqué ces scènes de sexe frontales, que le réalisateur justifie simplement par l’importance que tient le cul dans une histoire d’amour qu’il a voulu la plus réaliste possible. Mais là n’est pas l’essentiel, ni même le « choc ».
Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos et des prothèses vaginales
En collant l’objectif aux yeux, aux bouches et aux corps de ses actrices, le réalisateur de L’Esquive et Vénus noire capte tout, la brûlure du désir, le premier trouble, le moindre émoi, tout ce qui rythme et secoue une relation amoureuse jusque dans ses plus infimes soubresauts. La rencontre entre Adèle et Emma donne littéralement le vertige, la rupture tord les tripes, le manque est suffoquant. Un réalisme constamment bouleversant que Kechiche atteint avec une économie de mots déconcertante, la sincérité de ses actrices (stupéfiantes) et une intelligence inouïe de la mise en scène.
Qu'est-ce qui excite Kechiche ?
Car si Kechiche fait du naturalisme, c’est en retravaillant le réel comme un forcené. La première rencontre entre Adèle et Emma, deux passantes qui se retournent l’une sur l’autre avant de poursuivre leur chemin ? Il aura fallu une journée entière pour tourner ces quelques secondes, au terme de laquelle Adèle Exarchopoulos confiait avoir eu le vertige à force de se retourner. Le résultat, c’est qu’on ressent physiquement ce premier trouble, une sensation pourtant presque imperceptible car encore incomprise, qui n’est autre que le coup de foudre. Cette maîtrise de la mise en scène trouve sa plus belle illustration dans une séquence paroxystique de retrouvailles, un échange bouleversant dans un café, au cours duquel Kechiche suspend le temps et efface le reste du monde en resserrant sa caméra sur Adèle et Emma. Quand Emma s’en va, un simple plan large remet de la vie autour d’Adèle, qui vient d’éprouver - et le spectateur avec - la force exclusive du sentiment amoureux, celle qui peut abolir le temps et le monde.
Et le « choc » est là : au terme de ses trois heures qui montrent en gros plan l’amour et la naissance d’une femme qui grandit à son épreuve, La Vie d’Adèle, on l’a aussi vécue.
Vanina Arrighi de Casanova
Commentaires