- Fluctuat
Mark Chopper, le héros du film d'Andrew Dominik, existe réellement. Il eut, paraît-il, tout jeune, la ferme ambition de devenir un célèbre tueur et fut enfermé dès 16 ans, suite à l'assassinat manqué d'un juge, pendant 8 ans.
Peu après sa sortie de prison, il sera de nouveau condamné pour des meurtres réussis, cette fois, et enfermé. Il se met alors à écrire son histoire, à l'écrire et à l'inventer, dans des romans publiés qui connaissent un immense succès en Australie. Ainsi, Mark Chopper aura-t-il réalisé son rêve. Pour le cinéaste, ce personnage qui réunit, en un paradoxal mélange, les trajectoires de l'ambition, de la réussite, et de l'asocialité la plus radicale, est le sujet royal d'un premier film qui sera paradoxal, lui aussi, par le mélange permis, au titre de la description et de l'élucidation, du réalisme et du fantasme. On est tout près d'Orange mécanique, à distance du Silence des agneaux, qui fait tout de même signe en arrière plan, et on croise en chemin Le voleur de bicyclette.Chopper c'est un titre, et c'est un prénom. C'est donc l'annonce d'une incarnation. Toute une mécanique du sens tient, non pas seulement, au fait que le nom renvoie à du corps, du réel et de la présence, mais aussi, à ce qu'il soit lui-même producteur de corps. Produire un corps selon ce processus d'incarnation du Verbe, c'est donc ce que fait Chopper. Et c'est en cela qu'il dérange, parce que, à l'exemple du superbe portrait d'Henry sérial killer, de John McNaughton, le corps mis en gloire sur la scène du film est privé de mots. Il est même d'autant plus présent et dense à l'image, son incarnation est d'autant plus réussie que son silence ou sa pensée inarticulée referme sur lui la chair comme une carapace hermétique. Dans un montage heurté, vif, qui s'adapte et maîtrise l'espace des environnements les plus différents, chaque plan contribue à faire émerger une unique stature, géante, brutale, par tous les pores de laquelle s'échappent la sauvagerie et la passivité, la violence instinctive et l'inertie ruminante des bêtes. L'interprétation, dans le rôle principal, d'Eric Bana, est un éblouissement qui suffit à tenir l'ensemble du film.Quand il frappe, Chopper effraie. Quand il est immobile, on croit qu'il pense. Tout arrive par l'intervalle que créent les deux attitudes. Dans la pensée qui se produit, en nous, de ce qu'on croit qu'il pense quand il est immobile, pour agir ainsi de manière ultraviolente et sanguinaire quand il s'anime. Autre intervalle déterminant du film, celui qu'il y a entre l'espace carcéral et l'espace civil. Aucune transition temporelle ou géographique n'est ménagée de l'un à l'autre bien qu'à l'image, et précisément par elle, tout les sépare l'un de l'autre. Autant la prison, les quartiers de haute sécurité, sont blancs et vides, silencieux. Autant la ville et les habitations sont surchargées de décors, de signes, de sons. Dans l'un comme dans l'autre, les déplacements des personnages restent les mêmes. C'est le même continuel abattement, qui assoit Neville Bartos (Vince Colosomo), l'ami de Chopper, sur les bancs de la prison et dans les sièges défoncés de son appartement. Andrew Dominik, par un jeu de court-circuit, met en place des jonctions problématiques et, plus qu'à une démonstration, ou qu'à une leçon de morale, il nous invite au travail d'élucidation qu'il entreprend, par la mise en scène et par la médiation des images, du mystère que constitue Mark Chopper. La question n'est pas : "Comment une société en vient-elle à produire des tueurs psychopathes ?", car on admet que la pulsion de mort et le désir de la donner à autrui soit, à la racine hélas, un nerf irréductible du fonctionnement humain. La question est plutôt : "qu'en est-il pour nous des images autour, avec et sur le tueur psychopathe ?".Un film réflexif donc, pendant lequel, cependant, on n'a pas à craindre l'ennui de plans trop longs ou trop méditatifs. C'est dans l'action, dans la peur fantasmée de la souffrance physique que provoquent les scènes gores très réussies, de meurtre ou d'automutilation, et enfin dans l'absence de sens, de cause valable à tout cela : à l'énergumène qu'est Mark Chopper, comme au monde qu'il traverse et qui finira par voir en lui, un de ses héros, qu'il faut chercher le vide transcendantal duquel il nous parle, au fond.Chopper
Réal. : Andrew Dominik
Avec : Eric Bana, Vince Colosimo, David Field.
USA, 2001, 1h34.
Sagittaire Films
Sortie en France : 30 mai 2001
Chopper