En avril 2010 comme en toute saison, D' de Kabal montre tout : du rap, du slam, de la chanson, mais aussi de la danse, du théâtre... D'une main, il remplit quatre salles de concert durant cinq soirs d'affilée avec... cinq projets différents, associant des artistes armés de rap, de slam, de basse, guitare, batterie, d'un violon ou de machines.... L'événement s'appelle « D' de Kabal colonise la chanson française » (du 13 au 17 avril). Il propose une contribution musicale au Débat - trop tôt disparu... - sur l'Identité nationale. Et il rappelle que D' reste fidèle à ses premières amours, le rap, à travers tout ce qu'il entreprend : au théâtre notamment, que son autre main alimente depuis quelques années en textes dont le vocabulaire, la scansion, « l'urgence à dire » contrastent avec « le vide » de la production actuelle... C'est du moins l'avis d'Astrid Cathala, des éditions L'Œil du Souffleur, qui publie fin avril le premier recueil de textes théâtraux de D' de Kabal : Chants barbares. « J'ai douze vies en parallèle. Oui, c'est ça ! », lance D' de Kabal, 36 ans, « chercheur » en tout et « autour principalement des mots, du sens et du son. ». Avec, au centre de la plupart de ses « vies », la compagnie R.I.P.O.S.T.E créée en 2005. Comme son nom l'indique (Réactions Inspirées par les Propos Outrageux et Sécuritaires Théorisés chez l'Elite), cet « espace de création pluridisciplinaire » manie volontiers les grands mots et les grands remèdes (organisateur des Universités Hip Hop depuis 2008). C'est avec R.I.P.O.S.T.E que D' de Kabal crée ses spectacles, ses événements, produit ses albums solo en téléchargement livre et gratuit, ou s'implique dans divers festivals. Ces trajectoires multiples doivent beaucoup, dit D' de Kabal, à des rencontres « avec des gens que je n'étais pas censé rencontrer ». Elles lui ont permis de se forger non pas un, mais plusieurs clans, car il refuse de ne « passer (sa) vie qu'avec des Antillais ou qu'avec des rappeurs. » Un sens du décalage qui s'est manifesté très tôt... D' de claque en claqueAu début, cet enfant de Bobigny en Seine-Saint-Denis - où il habite encore - fait « comme tout le monde » : il écoute IAM, NTM... Assassin. Assassin, ce groupe de pionniers qui évolue aux marges du hip hop français, lui donne sa première claque. Alors il s'engouffre dans le rap, pour « passer à l'oral ce que j'écrivais. » En 1993, D' cofonde Kabal avec Djamal, l'autre rappeur du groupe, et les frères Cardenas (Timour et Adrien, alias Professeur K). L'aventure durera jusqu'en 2000, et laisse un héritage que certains amateurs old school ne sont pas près d'oublier.Musicalement, Djamal rappelle avoir été « taxés de "punks du rap" » pour avoir osé se mélanger avec le rock métal fusion de Lofofora... D' lui, le futur slammeur et comédien, parle d'abord de son apprentissage de « la scène, que le rap connaissait peu. Pour nous, elle devient une évidence. » Grâce notamment à la rencontre avec Assassin, qui emmène Kabal dans l'Homicide Tour de 1995-96. C'est en enregistrant « Fou à nier » avec Kabal que D' a trouvé « sa voix ». Unique et indéfinissable, elle s'obtient techniquement par une compression de l'oesophage. Mais « en vrai, complète D', c'est mon style. Comme si les différentes voix de moi-même se superposaient. Et je l'ai prise, à la base, parce qu'elle n'était pas là où on l'attendait...» Plus de dix ans après, cette voix reste l'élément perturbateur qui saisit l'auditeur où qu'elle passe : sur un album-concept de rap, dans les soirées slam d'un café populaire, dans une mise en scène expérimentale du Timon d'Athènes de william shakespeare qui tourne jusqu'en mai 2010... Car en 1998, D' de Kabal prend une deuxième « gifle, au moins aussi forte que quand je suis allé à ma première scène slam » : il joue pour la première fois sur une scène de théâtre, avec Mohamed Rouabhi qui cherchait deux rappeurs pour son spectacle Malcolm X. C'est à ce moment que D' devient D' de Kabal. Et qu'il commence à s'intéresser aux possibilités de ce nouveau média. Mais son premier spectacle, Ecorces de peine, ne verra le jour qu'en 2006. En attendant, D' de Kabal continue le rap en solo et découvre le slam en 2001 avec Félix Jousserand, futur acolyte du collectif Spoke Orkestra. Pris par sa nouvelle passion, il crée en 2004 la première soirée slam Bouchazoreill' dans le cadre du festival Sons d'Hiver (« si le hip hop est mon père, Sons d'Hiver est ma mère ! »). Bouchazoreill' devient très vite un rendez-vous hebdomadaire des slammeurs, DJ et musiciens parisiens. Résultat ? « Aujourd'hui, s'amuse D' de Kabal, on me considère plus comme un slammeur que comme un rappeur. On m'a donné une étiquette. Et moi, je m'en défais tous les jours ! » Son terrain à lui, rappelle-t-il, ce sont les rencontres, grâce auxquelles il propose un regard et un discours particulier sur le monde. Il cite l'exemple de son clip Don Juan Les Pins, où il rappe au beau milieu d'un délire gay. Il parle de Solimour, le spectacle qu'il vient de créer avec le guitariste Marc Ducret, le danseur et chorégraphe Didier Firmin, et le metteur en scène Mathieu Bauer venu des Sentimental Bourreau. S'il a déjà beaucoup travaillé avec les deux premiers, il pouvait sembler, a priori, plus éloigné de Mathieu Bauer. Mais seulement si on s'arrête à la surface : l'un vient du hip hop, l'autre met le rock à toutes les sauces... D' de Kabal le souligne : à ses yeux, peu d'autres metteurs en scène « savent comme Mathieu Bauer donner une belle place à la musique. » [mediabox id_media="126079" align="null" width="500" height="333"][/mediabox] Pulsion de mots...Avec tous ces mélanges, on peut néanmoins perdre le fil. Et une lecture trop rapide de son CV peut égarer les « naïfs ». Il ne faut pas oublier que derrière la presse élogieuse et les nombreux soutiens publics (Conseil général de Seine-Saint-Denis, de la Région Île-de-France, DRAC...), le propos de D' de Kabal reste violemment subversif et n'a jamais peur de s'attaquer nommément à une Fadela Amara, un Eric Besson ou une Carla-Cilia. Ce qui fait qu'une fois au moins, D' de Kabal a failli déclencher une crise d'apoplexie générale dans une émission culturelle de France 2 : il était invité à interpréter un extrait de son album Autopsie d'une sous-France, mais on n'avait visiblement pas pensé à écouter les paroles avant l'enregistrement.La seule chose qui compte pour D' de Kabal, dans tout ça, c'est que lui voit la « cohérence » qui le fait passer d'un univers à l'autre. Cette cohérence, serait-ce la quête d'une reconnaissance pour lui, R.I.P.O.S.T.E. et les mouvements qu'ils représentent ? Visiblement, ce mot de « reconnaissance » le stupéfie et il corrige : « je cours après la performance ! » Organiser la série de concerts du 13 au 17 avril sans avoir de tournée en cours ni d'album à promouvoir, voilà l'exploit ! Dans un autre registre, il raconte encore sa bataille « pour être considéré comme un homme de théâtre. Parce que j'en ai pas la dégaine, et que je viens d'ailleurs, etc. » Mais bizarrement, le milieu théâtral est aussi celui où D' de Kabal a fini par trouver « des gens qui étaient les seuls, dans mon entourage, à prendre soin de moi. Et ça, c'est précieux. » Il concentre donc son énergie sur ce média, et s'annonce fermement décidé à y rester un bon moment. Car malgré plus de quinze ans de prestations verbales intensives, le D' qui joue Solimour au printemps 2010 souffre toujours du même mal. Il en gémit : « trop de mots... »Marie PainonIllustration, de haut en bas :D' de Kabal © Alex LebonD' de Kabal © Pascal Quinquempoix
Genre | Homme |
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