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La série Bosch met un terme au long séjour du personnage dans l’enfer du développement Hollywoodien. Harry Bosch était la propriété de Paramount pendant quinze ans, jusqu’à ce que vous en rachetiez les droits. Que s’est-il passé pendant ces quinze années ?Le deal avec Paramount a été signé en 1994 ; il portait sur les trois premiers livres de la série. Au début, ils ont beaucoup travaillé : engagé des scénaristes, écrit une dizaine de scripts. Ils m’ont même appelé à un moment pour que j’en arrange un ou deux… Mais finalement ils ont abandonné l’idée de transposer Harry au cinéma. Une bonne décision. Dans un scénario de 110 pages, il n’y a simplement pas assez de place pour accommoder le personnage. On se retrouvait avec des intrigues de polar classiques, semblables à ce qu’on voyait à l’époque en télévision (Law and Order était sur toutes les chaînes). Paramount a donc rangé Bosch sur une étagère, laquelle a commencé à prendre la poussière. Et lorsque j’ai voulu récupérer les droits, ils ont refusé. C’est une règle tacite à Hollywood : personne ne veut voir quelqu’un d’autre transformer ses échecs en succès. Et Paramount ne voulait pas risquer de voir un studio concurrent réussir là où ils avaient échoué…  J’ai dû attendre 2009, et la fin du deal avec Paramount, pour récupérer les droits. Entre-temps, j’avais bien sûr continué d’écrire les romans, d’explorer Bosch, de lui donner de l’épaisseur, et je me retrouvai alors avec une tonne de matériel à exploiter ; Idéal pour le format épisodique d’une série télé… Au lieu d’avoir deux heures pour comprendre Harry Bosch, j’en aurai cinquante ou soixante (croisons les doigts). On vient de boucler une première saison de dix épisodes, on se prépare pour les dix prochains. Et, avec un peu de chance, on continuera de creuser, encore et encore…Quel était votre rapport à Hollywood, avant Bosch ? Que pensiez-vous des adaptations de votre oeuvre, signées Eastwood (Créance de Sang) et Brad Mirman (La défense Lincoln) ?  Je n’ai jamais eu aucune animosité envers Hollywood. Les deux films en question se sont faits sans moi. J’ai beaucoup de respect pour Clint Eastwood ; il a toujours été très honnête avec moi. Il m’a expliqué ce qu’il voulait faire, pourquoi il voulait le faire et, si je n’étais pas d’accord, il prenait le temps de m’expliquer. Il ne m’a jamais ignoré… Mais ce sont ses décisions qui imprègnent le film. Il m’a donné l’argent et est parti tourner sa version de l’histoire, qui prend énormément de libertés avec la mienne. Ce n’est pas une adaptation fidèle, mais c’est bien comme ça… La Défense Lincoln, en revanche, est très fidèle au bouquin. Et je ne s’y suis pour rien : j’ai pris leur argent et je leur ai donné mon livre. Mais j’ai eu mon mot à dire sur le choix du réalisateur. Et j’ai choisi ce type, Brad Mirman, qui connaissait le droit. Un ex-avocat pénaliste. Il m’a dit qu’il se reconnaissait dans le livre, et qu’il pourrait retranscrire à l’écran l’authenticité des salles de prétoire puisqu’il les avait lui-même fréquenté. Et il a tenu parole… Sur Bosch, c’est complètement différent. Je gagne bien ma vie avec mes bouquins, je n’avais pas besoin de faire de la télé. La seule chose qui m’intéressait, c’était d’avoir un contrôle total sur la direction artistique du show. Et c’est le deal qu’a finalement accepté Amazon… Un drôle de changement dans ma vie. Je travaille seul enfermé dans une pièce à longueur d’année et, l’espace de six semaines intensément collégiales, je me transforme en figure publique. Et Harry Bosch, d’une certaine manière, a créé une ville : deux cent personnes travaillent jour et nuit au service de ce type… Je ne suis pas le Maire de la ville (il fait référence à Eric Overmeyer, showrunner de la série, ndr), mais je suis tout là-haut, pas loin. Le chef de la police, peut-être ?Bosch, la série, est un drôle d’animal : un hybride entre le procedural classique (au hasard, Les Experts) et le grand bain romanesque type The Wire. Quelque chose, finalement, de complètement nouveau…La première personne à "caster", avant même de s’intéresser à l’acteur qui jouerait Bosch, était le showrunner. Je suis pote avec David Simon depuis l’époque où on était tous les deux journalistes d’investigation et, à travers lui, j’avais déjà rencontré Eric Overmeyer (Overmeyer, poulain de Simon, a supervisé deux saisons de The Wire et l’intégrale de Treme, ndr). J’ai découvert à l’occasion d’un dîner qu’Eric avait lu tous les Harry Bosch. Et lorsqu’on parlait de nos séries préférées avec le patron d’Amazon, on retombait tout le temps sur The Wire… Notre choix s’est immédiatement porté sur Eric. L’influence de The Wire est incontestable. Beaucoup de nos réalisateurs sont passés sur The Wire, beaucoup de nos acteurs aussi, certains de nos scénaristes (je co-signe un épisode avec George Pelecanos, par exemple)… J’aime que vous utilisiez le mot « Hybride », je le prends comme un compliment. On voulait effectivement conserver une tradition du procedural, et l’ancrer dans une réalité crue, viscérale, semblable à ce que dépeint The Wire. Puisqu’on est sur Amazon, on n’a pas à se soucier de l’intervention d’un studio ou d’une chaîne, qui nous demanderait plus de coups de feu ici, plus de poursuites en bagnole là. C’est une série à mèche lente, qui se déploie comme un roman. Entre nous, on ne parlait jamais d’épisodes. C’était : "Toi, tu écris le chapitre 3, moi le chapitre 5, etc".  La série subvertit discrètement les codes de la télé. On voit souvent Bosch ouvrir et fermer des portes, entrer et sortir de sa voiture… Des "scènes" qui font habituellement remplissage à la télé mais qui, ici, participent du rythme du personnage.Oui. Et certains spectateurs ne sont pas habitués à ça… Ça se faisait beaucoup dans les séries des seventies, mais c’est quelque chose qui s’est un peu perdu, par économie de temps. C’est la vie d’un détective en images, et une part de son rituel doit s’imprégner dans la matière séquentielle. Que vous vous en rendiez compte, ou non…Los Angeles, dans Bosch, est une révélation. C’est la ville la plus photographiée du monde mais on ne l’a jamais vu filmée comme ça : à hauteur d’homme, "en vrai" et en accès libre… C’est dingue : vous allez PARTOUT !      On a commencé par dire : L.A., à l’écran, c’est toujours à l’Ouest d’Hollywood. Venice, Santa Monica etc… Première règle, donc : ne jamais s’aventurer à l’Ouest d’Hollywood. Une règle qu’on a enfreint pour la maison de Julia Brasher (girlfriend de Bosch, jouée par Annie Wersching, ndr), puisque dans les bouquins elle habite près du canal à Venice. Mais plus personne ne tourne dans le canal, non plus. Certains des habitants de L.A qui ont vu la série pensaient qu’il n’existait plus… C’est un horrible merdier administratif pour obtenir l’autorisation de filmer là-bas. Mais le résultat à l’écran est payant.Comment avez-vous réussi ça ? Il y a deux mois, je me suis rendu sur le tournage du nouveau Shane Black, The Nice Guys, un buddy movie en t-shirt situé dans les 70’s à L.A. Sauf qu’on était à Atlanta, par moins douze degrés, les acteurs essayant d’adopter l’attitude californienne alors qu’ils grelotaient. Le producteur Joel Silver était furieux : il a bâti une carrière sur des films angelenos et ne peut plus se permettre aujourd’hui de tourner sur place. Trop cher ! Mais pas pour vous ?C’était dans mon contrat. Du jour où j’ai rencontré le patron d’Amazon, et qu’il m’a dit vouloir s’engager dans la série, je lui ai répondu : "Ok, mais au risque d’écourter cette conversation, je dois vous avouer : Je n’ai pas besoin de faire cette série. Ils vont faire une suite à La Défense Lincoln, je suis déjà très occupé avec mes bouquins… Je ne signerai aucun deal sur Bosch tant qu’il ne sera pas clairement stipulé dans le contrat que tous les plans doivent être tournés à L.A". Sa réponse a été immédiate : "Vendu !". Je crois qu’il ne savait pas exactement dans quoi il s’engageait… (rires). Même pour les intérieurs : je ne voulais pas m’envoler au Canada pour filmer les scènes de tribunal, je voulais un vrai tribunal à Downtown.Ça a vraiment fait grimper le budget de la série ? Un nouveau maire a été élu il y a deux, et l’une de ses grandes promesses de campagne était de faire revenir les tournages à L.A. Tout le monde attend ! Tout le monde en a marre de tourner des séries californiennes à la Nouvelle Orléans  ou d’habiller une rue de Toronto avec des palmiers en plastique. Ce que vous me racontez sur Joel Silver ne m’étonne pas du tout… Depuis l’élection du maire, c’est un point qui fait débat dans l’industrie. Le simple fait que j’exige dans mon contrat sur Bosch de tourner entièrement à L.A a fait l’objet d’articles dans la presse. Aux yeux de l’équipe, je suis passé pour une sorte de héros. Aux yeux de l’industrie ? Pour un gros con capricieux…Interview Benjamin RozovasLa bande-annonce de Bosch, diffusée sur Amazon :