L'édition mise sur le sexe : la preuve par 9
8. Hollywood Babylone – Kenneth Anger
<strong>Note littéraire : 7/10</strong><strong>Note érotique : 9/10</strong>Tristram, dans sa belle collection souple, sort une première traduction française de cet ouvrage mythique signé dans les années 70 du pape du cinéma queer <strong>Kenneth Anger</strong>. <em>Hollywood Babylone</em> n?est pas directement un livre sur le cul, mais comme il s?intéresse aux scandales hollywoodiens de la 1ère moitié du XXème siècle, il en est pas mal question. Le livre est incroyablement riche en anecdotes remarquables et en épisodes succulents. On y suit les frasques de <strong>Charlie Chaplin</strong> et de ses admiratrices mais aussi des histoires qu?on ne connaissait pas comme celle du comique <strong>Fatty</strong>, ancien plombier qui fit fortune dans le muet, avant de disparaître après avoir tué (accidentellement ?) une jeune actrice lors d?un jeu sexuel? à l?aide d?une bouteille ! <em>Hollywood Babylone</em> produit <strong>le même effet que la <em>France Orange Mécanique</em></strong> : il vous émoustille au-delà de toute mesure et vous donne envie de quitter le pays. L?attrait des grands d?Hollywood (<strong>Errol Flynn</strong>, magnifique, en amateur de jeunes filles) ajoute au charme du tout qui est affreux et érotique à la fois, dans la lignée de <em>Crash</em> (en moins bandant) ou de <em>The Atrocity Exhibition</em> (en plus glamour). Parmi nos préférées, on aura une pensée pour l?histoire de Frances Farmer, l?ange tombé du ciel qui finira ses jours en hôpital psychiatrique. <em>Hollywood Babylone</em> est, par temps de crise, l?un des achats les plus rentables (11,95 euros) pour s?évader et chercher le soulagement. C?est beau comme un Closer vintage ou une galerie de monstres en 3D et en noir et blanc.
9. Orgasme à Moscou – Edgar Hilsenrath
<strong>Note littéraire : 8/10</strong><strong>Note érotique : 6/10</strong>On reviendra très vite sur cet <em>Orgasme à Moscou</em> qui sort ces jours ci chez Attila. Le livre a quasiment 35 ans et a été écrit par <strong>Hilsenrath</strong> entre le <em>Nazi et le Barbier</em> et <em>Fuck America</em>. Autant dire que l?auteur était dans une excellente période. <em>Orgasme à Moscou</em> raconte l?histoire d?un mafioso américain qui veut exfiltrer un dissident russe (ayant procuré un orgasme cosmique à sa fille et l?ayant peut-être mise en enceinte) pour qu?il épouse sa fille. Nous sommes en plein guerre froide et le seul passeur susceptible de réussir un tel coup de force, est un dégénéré sexuel homosexuel qu?il va falloir préalablement castrer parce qu?il a une tendance marquée à couper des bites et à les conserver au réfrigérateur. L?histoire de Hilsenrath fait penser à un scénario de <strong>Russ Meyer</strong>, sexy et politique à la fois, ayant pris du rab d?amphétamines. On le redira plus longuement à une autre occasion, mais ce livre est parmi les plus loufoques et stimulants qu?on a lus ces dernières années. La langue est alerte comme du <strong>Vonnegut Jr</strong>, intelligente et caustique. Le bouquin est en plus vachement bien illustré, ce qui ne gâte rien au plaisir. Côté "érotisme", c?est plus drôle que bandant évidemment mais il y a de quoi faire tout de même.
2. Cinquante nuances plus claires - EL James
<strong>Note littéraire : 4/10</strong><strong>Note érotique : 6/10</strong>Il faut bien en parler parce qu?elle constitue la face émergée et la plus populaire de cette énième libération sexuelle en littérature. La Trilogie d?<strong>EL James</strong> est une purge, l?équivalent du légendaire téléfilm érotique de M6 sans la pub et les images, dans une version de 3 ou 4 heures et filmée par les <strong>Straub</strong>. D?où qu?on le prenne (ou la prenne en l?occurrence), les aventures de Grey et sa jeune soumise (on s?en est tenu au tome 2, parce qu?on imaginait que ce serait là le c?ur ardent du délit) sont assez difficiles à considérer autrement qu?en phénomène (de foire) littéraire. Le style est au mieux décent, au pire aussi vide et expressif qu?un gant de nouilles à demi refroidi. Imaginer que des femmes, même désespérées et/ou consentantes (puisque c?est ainsi que la chose est présentée), s?excitent véritablement et puissent se masturber efficacement en lisant ce genre d?inepties, qui plus est anti-féministes, bourgeoises et SM (beurk), est à la fois surprenant et déprimant cinquante ans après la libération sexuelle. Ceci étant dit, les Nuances sont là, claires, sombres et grises, comme un étendard de l?onanisme triste, décoloré et palot du libertinage.
3. Emmanuelle Arsan – Emmanuelle (La leçon d’homme)
<strong>Note littéraire : 6/10</strong><strong>Note érotique : 8/10</strong>Les éditions Belfond se collent à la réédition en 6 volumes (bon sang) du chef d??uvre historique d?Emmanuelle Arsan qui, avant d?être un film à succès et une révélation pour beaucoup de Français quant à l?évolution des m?urs contemporaines, aura été une série de romans à succès relatif. Le premier volume (le deuxième sort en même temps) nous plonge dans ce qu?on connaissait déjà : les pérégrinations asiatiques de la belle en rotin, et de son amant Marc.Une chose est certaine, c?est qu?à rebours la lecture du roman bénéficie de la charge érotique qu?a su véhiculer <strong>Sylvia Kristel</strong> à travers l?adaptation cinématographique. Pour ceux qui n?ont pas vu les films depuis longtemps et pour les autres, <em>Emmanuelle</em> (le livre) est une sorte de madeleine érotique qui permet de se retrouver plongé dans une histoire magnifique et réellement excitante, en même temps qu?on redécouvre son propre souvenir (excité, rajeuni et masturbatoire) de l??uvre. Le style est clair, sans fioritures, voire parfois pauvre en effets. L?époque a un peu pâli jusque dans la chair et les positions qu?on imagine depuis l?audace crasse des productions d?aujourd?hui. Des années de porno et d?une approche sexuelle plus crue sont passées par là pour ôter le caractère vaguement spectaculaire de l?ouvrage. Emmanuelle se lit presque avec poésie (on rigole) et nostalgie d?un sexe libéré (on rigole encore), comme on s?amuse à revoir un film de <strong>De Funès</strong>, avec ses décors des années 60-70 et ses passages obligés. On n?est pas certain de mériter (ou de supporter) la lecture des ?uvres complètes, faute d?y trouver la littérature suffisante. Malgré cela, il y a des leçons d?histoire sociale plus rébarbatives que celles qui se mènent avec le pantalon sur les genoux.
4. Sans Nuances de Barbara Santa Monica
<strong>Note littéraire : 7/10</strong><strong>Note érotique :</strong> <strong>5/10</strong>Il fallait bien s?y attendre. Après <strong>Jane Austen</strong> et les zombies, après Harry Potter sous toutes les coutures, <em>Sans Aucune Nuance</em> propose une variation comique sur les 50 nuances évoquées précédemment. On répondra franchement aux trois questions qui se posent en pareil cas. Est-ce que c?est drôle ? Oui, assez, et cela l?est d?autant plus qu?on s?est fadé la trilogie d?origine. <strong>Barbara de Santa Monica</strong> (Lewisky ?) raconte l?histoire d?un couple normal (enfin presque) qui "revisite" (le terme est à la mode chez <em>Top Chef</em> et on y est vraiment) les scénarios érotiques de 50 Nuances pour dynamiser sa routine sexuelle. Comme lorsqu?on compare un film américain et une production française, les moyens ne sont pas les mêmes. Le mari est gras et con. La femme déterminée mais n?y croit pas vraiment. Deuxième question : est-ce que ça se lit ? Là encore, la réponse est oui, même si on ne classera pas, après ça, Barbara SM parmi nos stylistes préférées. Le style est appliqué, sans trop d?irrégularités mais il ne faut pas trop s?y attarder. La proximité avec l?histoire d?origine aide beaucoup les effets comiques qui s?établissent, souvent en pleine montée orgasmique, autour de redescentes prosaïques au réel ou ironiques quant à la situation originale. <em>Last but not least</em>, est-ce que ça fait son petit effet ? Joker. Comme on le sait, l?humour et l?excitation ne font pas bon ménage. Le comique l?emporte ici nettement sur l?érotisme, même si on peut trouver (ce qui est notre cas) que le rapatriement de l?intrigue à l?eau de rose et des idées idiotes et désincarnées de James dans une sphère domestique (hollandienne) faite de normalité et de poil aux fesses est tout aussi stimulant que des histoires de prince dégénérées. Barbara SM laisse suffisamment d?espace à son propre récit, par rapport à la parodie, pour qu?on profite à fond du pouvoir érotique du vocabulaire qu?elle emploie : ça mouille, ça bande et ça remue sous la jaquette, et ce n?est pas si mal.
5. Robert Desnos – De l’Érotisme
<strong>Note littéraire : 8/10</strong><strong>Note érotique : 4/10</strong>Histoire de ne pas passer complètement pour des cons ou des obsédés de la quenelle, on signale pour l?honneur cette réédition à l?Imaginaire d?un essai (bref, n?exagérons pas) de <strong>Robert Desnos</strong> écrit en 1923. Texte de commande écrit pour un collectionneur, Desnos y fait une sorte de panorama ou d?état des lieux de la littérature érotique depuis l?Antiquité jusqu?au début du XXème siècle. Dans son entreprise, il fait partie de ceux qui placent <strong>Sade</strong> au sommet de l?évolution érotique, le Divin Marquis représentant à lui tout seul une sorte de cassure révolutionnaire majeure entre l?ancien monde sexuel et ce qu?on peut considérer comme la vraie modernité du cul.Comme Desnos est aux manettes, soit un vrai écrivain ce qui ne gâte rien, l?auteur fait une large place au déclenchement du mécanisme d?excitation par l?écrit et s?embourbe (ou étincelle) en rendant une place de choix à la dimension imaginaire (ou poétique) dans l?escalade du désir. Vu de notre fenêtre actuelle, la démonstration est encore pleine d?énergie et de bons sentiments. L?ouvrage est prolongé par un passionnant essai qui resitue le texte de Desnos dans l?histoire personnelle de l?écrivain et tente de donner une profondeur (entendre une profondeur ténébreuse) à un texte plus technique que véritablement dans son sujet.Pour ceux qui voudraient vraiment s?y coller, <em>De l?Érotisme</em> reste un texte important d?analyse et un vrai beau morceau de réflexion sur le sujet. Avec un peu d?imagination, on peut aussi y trouver son compte si on est un vrai cérébral. Le potentiel érotique vaut surtout parce qu?il permet d?ouvrir sur des dizaines d?ouvrages incontournables de l?Antiquité à nos jours.
6. Osez devenir une femme multiorgasmique de Servane Vergy
<strong>Note littéraire : 5/10</strong><strong>Note érotique : 6/10</strong>La pochette a pourtant de quoi plaire, sexy en diable et rousse comme le feu. <em>Osez devenir une femme multiorgasmique</em> fait partie d?une série de livres "pratiques" (comme on dit sûrement) chez la Musardine destinés à améliorer notre jouissance au quotidien (ou ce qu?il en reste). Celui-ci, bien enrobé par <strong>Servane Vergy</strong> (déjà auteur de <em>Osez devenir une cougar</em> ou <em>Osez devenir l?amant parfait</em>, etc), semble assez vite la répétition de tous les autres. On y parle 100% de fesse et de cul sur un mode direct et sympathique mais sans qu?on puisse en retenir grand-chose, ni véritablement ressentir un élan irrépressible vers l?application des conseils qui nous sont prodigués ici. Le multi-orgasme est sûrement un truc chouette et qui s?atteint par l?auto-affirmation de soi et la multiplication des tentatives. Il faut OSER (c?est bien sûr le grand mot de la collection) et serrer les cuisses très fort en espérant que son partenaire aura lu les autres volumes de la série. Alterner masturbation et toutes sortes de coïts, mettre en scène ses fantasmes et blablabla. La jouissance sexuelle n?est de toute façon qu?un des visages de l?individualisme triomphant, c?est-à-dire une manière de se récompenser en se montrant à la fois humain (sucer l?autre) et égoïste (si chacun se concentre sur son plaisir, <em>warum nicht ?</em>). Pris ainsi, c?est-à-dire page à page, le livre reste une célébration stimulante de ce dont il parle. On aime les anecdotes, le style enjoué (la chair est triste et moche) et cette espèce de facilité qu?il y a à parler de progrès dans une sphère où chacun se débat comme il peut. Comme il paraît que certains livres de la série se sont écoulés à plus de 50 000 exemplaires, on imagine que c?est mieux que ce qu?on en dit.
7. Pour vivre heureux, vivons couchés de Pierre Ménard
<strong>Note littéraire : 4/10</strong><strong>Note érotique : 4/10</strong>Étrange de découvrir que ce livre est en réalité écrit par un jeune étudiant de HEC de 20 ans. En voilà qui n?attend pas des années pour entrer dans le vif du sujet. Pour vivre heureux, vivons couchés est un essai libre qui n?a d?autre ambition que de nous raconter l?histoire du sexe à travers les âges autour d?une thèse originale (on plaisante) qui est de démontrer que la liberté sexuelle a toujours existé. Le problème est évidemment qu?on confond comme souvent liberté sexuelle et liberté des pratiques sexuelles. Ménard mélange des dieux, des rois satrapes, des humoristes, des philosophes. Le livre n?est pas inintéressant et rivalise presque avec les <em>Petites Histoires Sexy</em> dont on a parlé pour son caractère encyclopédique (mini-mini-encyclopédie). C?est à la fois amusant, distrayant mais vraiment trop désordonné pour qu?on y voie autre chose qu?un exercice compilatoire tourné vers le business. Ménard a beau revenir aux textes originaux, on continue à se demander à quoi exactement servent ces anthologies et qui peut bien les lire.
1. Petites Histoires Sexy de l’Histoire de France – Margaux Guyon
<strong>Note littéraire : 5/10</strong><strong>Note érotique : 7/10</strong>On n?y a pas trop cru d?abord mais il faut avouer que ce livre se lit sans déplaisir. Ni trop long, ni trop court, bien composé et dynamique, sans trop sombrer dans le glauque ou le répétitif. Les anecdotes sont savoureuses et la balade historique a du charme, en plus de resituer les bacchanales strauss-kahniennes (qui ne fait pas partie du panorama) dans une longue lignée de bêtes (couronnées) en rut. La plume de l?auteur est alerte et sert parfaitement son sujet, ne cherchant pas à émouvoir outre mesure et à déclencher des effets où il ne saurait y en avoir. <em>Petites histoires sexy de l?Histoire de France</em> pose évidemment le problème de son objectif comme tous les rapports d?anecdotes : il émoustille certes, met en appétit mais n?a pas vocation à nous mener aussi loin qu?on l?aurait voulu parfois. On reprochera à l?auteur peut-être d?avoir tendance à raconter selon nos codes la sexualité d?époques lointaines. Ainsi en est-il des gang bangs de la tour de Nesle qu?on imagine assez mal comme des <em>bukkake</em> de banlieue ou de Diane de Poitiers en cougar. Pour le reste, c?est un sans faute qui se joue sur 200 et quelques pages avec une mention pour les histoires qu?on connaît moins comme celle du révolutionnaire Carrier ou la relation entre la jolie Léonie et Léon Gambetta.
C’est la crise et comme à chaque fois, pour tromper le sort, les Français choisissent de s’en remettre aux valeurs sûres : la pierre et la fesse. Le marché de l’édition s’adapte en conséquence et profite de la fin de l’hiver pour proposer une multitude d’ouvrages plus ou moins affriolants et littéraires qui s’ajoutent au tropisme romanesque qu’on avait déjà noté à la rentrée de septembre 2012.Du coup, nos compteurs marquent 8 sur l’échelle d’Onan (qui en compte 9, rappelons le). On ressort le fouet à flanc (bi-, bien sûr) et le battoir à cul. Entre les Nuances de choses, les rééditions en rotin et les anecdotes de l’Histoire avec un grand H, c’est la fête à la quenouille (ou à ce qu’on veut). La littérature, souvent, n’en sort pas grandie mais à voir ce qu’on nous vend maintenant en guise d’aphrodisiaques littéraires, la petite sélection qu’on propose ici n’est pas la pire. On y a même glissé quelques livres de haut rang.Le marché du sexe est en ce moment saturé de "livres de scénarios" qui vous invitent à vous déguiser en soubrette ou à vous faire prendre par votre mari déguisé en flic à Miami. Louez une chambre d’hôtel, pensez au fouet, à la crème chantilly. Plus le sexe s’ouvre et plus la misère augmente, la littérature (de supermarché) ayant une tendance obscène à vous vendre toujours les mêmes choses : des scénarios bourgeois et usés jusqu’à l’élastique (du string), des conseils vaguement libertaires vous invitant à tenter la sodomie à sec (pour l’épanouissement des masses) et à croire en vos fantasmes.Naviguer dans l’univers des livres sur le sexe est à peu près aussi excitant que de jouir en trois coups avec votre épouse le jour de votre anniversaire : il y a une dimension rigolote qui transparaît dans les couvertures colorées et l’affichage gaillard et ouvert des intentions, en même temps qu’une forme de manque d’originalité et d’audace, un sentiment de déjà vu tenace qui plombe un peu le moral. Ce n’est pas un hasard si la leçon de choses la plus percutante (et qui nous fait mouiller/bander) nous vient doublement avec Kenneth Anger et Edgar Hilsenrath des années 70. Sans doute y a-t-il eu un instant, après le mouvement hippie, où la contamination du (sexe) quotidien par les soubresauts de la contre-culture (minoritaire) a vraiment tapé dans le mille (ou le G). Car le cul, d’où qu’on le prenne, comme la chanson français, c’était bien mieux avant. La jouissance n’est jamais qu’un truc qui vous permet de retrouver l’espace d’un instant le bonheur et l’excitation du temps où vous ne la connaissiez pas. C’est dit.Par Benjamin Berton
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