A l'heure où se jouent simultanément sur deux scènes parisiennes deux versions dépecées et remaniées du Macbeth de Shakespeare (Macbeth Kanaval à la Cartoucherie-Théâtre du Soleil et L'Odeur du Sang humain ne me quitte pas des yeux au Monfort), tragédie réputée maudite si on en prononce le titre sur un plateau ou même si l'on s'avise de la représenter, on vous a concocté un petit traité des superstitions qui courent dans le monde du théâtre, sur les plateaux et en coulisse. Des petites histoires auxquelles les gens du métier accordent plus ou moins de crédit, mais qui nourrissent le rituel de la scène depuis des siècles. Ces histoires irrationnelles que l'on se transmet de génération en génération tiennent souvent leur origine d'une raison concrète, d'une logique esthétique ou d'un fait historique.Le mot maudit : cordeIl est à bannir sur scène sous peine de malheur ou d'amende à payer. Pourtant, des cordes, il y en a des tas pour faire fonctionner la machinerie technique. Raison de plus pour utiliser la diversité du vocabulaire du cordage ou bien se rabattre sur "ficelle" qui peut toujours faire l'affaire, surtout s'il s'agit de s'éviter une tuile. Cette croyance insolite aurait été directement importée du milieu de la marine où la corde était considérée comme instrument de supplice. En effet, il fut une période où beaucoup de machinistes de théâtre étaient d'anciens marins reconvertis. La transmission de la superstition a donc du se faire dans le passage d'un milieu à un autre.La couleur porte malheur : le vertA chaque pays sa superstition, car si le vert a la réputation de porter malheur en France, en Italie il s'agit du violet, en Angleterre, du vert et du bleu et en Espagne du jaune. Une superstition pourvue de plusieurs origines. La première serait liée aux dispositifs d'éclairage de scène au XIXème siècle, qui ne mettaient pas en valeur la couleur verte. La deuxième proviendrait de la toxicité des composants utilisés pour la teinture verte (en l'occurrence l'oxyde de cuivre) à l'époque, qui avait coûté la vie à quelques acteurs. La troisième viendrait du fait que Molière portait un costume vert (dit-on) lors de sa mort en scène pendant une représentation du Malade Imaginaire.Une mauvaise habitude : sifflerSiffler sur scène ou en coulisse attirerait les sifflets du public. En fait, cette superstition tiendrait également son origine lointaine de la marine à voile car les régisseurs de théâtre étaient souvent recrutés dans le milieu naval et en avaient gardé l'habitude de communiquer par sifflements codés pour se prévenir des changements de décors. Un comédien sifflant risquait alors de semer la confusion dans le bon déroulement technique du spectacle.A éviter : se croiser sur le plateauOn appelle cela "Faire les ciseaux". Au même titre que croiser des couverts sur une table porte malheur, deux acteurs qui se croisent dans une mise en scène est vecteur de mauvais sort. Allez savoir pourquoi, parfois les superstitions semblent dénuées de sens mais n'est-ce pas le propre des superstitions finalement ? Avoir un petit goût d'absurdité, de folie douce.Une action prohibée : poser son chapeau là où il ne faut pasSi vous êtes comédien, ne vous risquez pas à poser votre chapeau sur le canapé de la loge ou sur le lit du décor, vous vous attireriez les foudres des superstitieux qui y verraient un sinistre présage. Pourquoi ? Autrefois, les médecins, appelés dans des situations extrêmes, avaient l'habitude de poser leur chapeau sur le lit du mourant.Les fleurs : le langage des espècesPour féliciter et témoigner de son admiration (voire plus) à une comédienne, toujours préférer la rose à l'œillet, de mauvais augure. La raison de cette malédiction associée à l'œillet daterait du XIXème siècle, époque où les comédiens étaient engagés à l'année dans les théâtres. En fin de contrat, quand le directeur envoyait des roses à une comédienne, cela signifiait qu'il renouvelait son engagement. En revanche, si la comédienne recevait des œillets, cela sous-entendait qu'elle était remerciée. Le langage des fleurs peut être cruel.Les traditions : le fameux "Merde"Au théâtre, juste avant une première, on ne se dit pas gentiment "bonne chance", surtout pas, mais un "merde" bien sonore et enthousiaste qui tient son origine du crottin que les chevaux déposaient en même temps que le spectateur venu en calèche, devant l'entrée du théâtre. Le nombre de spectateurs était donc proportionnel à la masse d'excrément jonchant l'entrée du public. Plus il y avait de "merde", meilleur signe c'était quant au remplissage de la salle. C'est bien le seul endroit où l'on peut allégrement balancer du "merde" en veux-tu en voilà à ses partenaires de jeu, sans que ledit mot soit un juron.Ainsi, on remarque, le sourire en coin, que le milieu du théâtre est pétri de superstitions poussiéreuses, de sources plus ou moins sûres, parfois même obscures, datant souvent d'une époque où l'électricité n'existait pas encore. Des croyances en forme d'anecdotes amusantes ou de référence historique qui innervent le plateau et ses coulisses mais n'affectent plus désormais de leurs contraintes désuètes (et c'est heureux) la création théâtrale. Les comédiens n'ont rien à craindre, ce n'est pas demain que le ciel leur tombera sur la tête s'ils omettent les préceptes et prescriptions détaillées ci-dessus.Par Marie Plantin
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Retour sur des siècles de superstitions théâtrales
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