Cette adaptation d’un roman de Don DeLillo, avec Adam Driver et Greta Gerwig, a fait l’ouverture de la 79ème Mostra.
Noah Baumbach vieillit bien. Il a commencé sa carrière dans les années 90, a désormais la cinquantaine, une quinzaine de longs-métrages au compteur. Soit le moment où beaucoup de ses confrères s’assoupissent et commencent à tourner en rond. Mais Marriage Story, son précédent, était l’un de ses meilleurs, et donnait l’impression que le cinéaste, spécialiste des comédies new-yorkaises en chambre, avait décidé d’exploser le cadre, de voir plus grand. White Noise, toujours sous pavillon Netflix, témoigne à nouveau de cet excitant désir de réinvention. A Venise, où il lançait les festivités, le film a été accueilli par des critiques mitigées et une standing-ovation de "seulement 150 secondes" selon Variety (la durée des standing-ovations étant sur le point de devenir une discipline sportive dans les festivals de cinéma). C’est pourtant l’un de ses films les plus ambitieux, les plus débridés, les plus amusants. Un vrai film de « mid-life crisis » : le portrait d’un quinqua (et d’une civilisation) en crise, par un cinéaste lui-même manifestement fatigué de toujours voir le même visage dans son miroir le matin, et qui aurait décidé de changer de look.
White Noise est adapté de Bruit de fond, l’un des plus fameux romans de Don DeLillo, et l’un des livres de chevet du père de Baumbach, que le réalisateur a relu pendant le confinement. En voyant le film, et bien que celui-ci soit situé en 1985 (année de la parution du livre), on a très clairement l’impression de regarder une fable satirique inspirée par la crise du Covid. Mais toute ressemblance avec la pandémie qui a frappé la planète ces dernières années ne serait en réalité que la preuve du génie visionnaire de DeLillo. Un génie auquel le film rend hommage avec ferveur. L’histoire commence le jour de la rentrée universitaire, dans une ville du Midwest, alors que le professeur Jack Gladney (Adam Driver, vieilli, de faux airs de Steve Coogan) se réjouit de retrouver sa chaire d’études hitlériennes – une discipline dans laquelle il excelle (malgré son ignorance de la langue allemande), et qu’il enseigne dans un style théâtral et flamboyant, habillé de lunettes teintées et d’une cape lui donnant l’allure d’un vampire d’opérette. Lui, sa femme Babette (Greta Gerwig) et leurs quatre enfants semblent apprécier la routine joyeuse de ces « jours sans but ».
Mais leur vie tranquille, regardée à travers le filtre d’une nostalgie eighties outrancière (acteurs surlookés, objets vintage dans tous les coins, K 2000 à la télé, etc.), va être bouleversée par le déraillement d’un train de marchandise, qui met les habitants de la région sous la menace d’une pluie toxique. Du jour au lendemain, le "monde d’avant", et les certitudes qui vont avec, sont atomisés. La petite communauté part aussitôt en vrille, avec son cortège de complotistes, de faux prophètes, de scientifiques autoproclamés, sa majorité silencieuse médusée. Baumbach malaxe les thèmes de DeLillo : la désintégration de la famille par la saturation médiatique, l’angoisse de la mort, l’appétit de la société du spectacle pour le chaos et la destruction (tiens, une pensée pour Nope). Du sérieux, donc, mais traité sur le ton d’une farce sauvage.
La puissance comique et la fureur poétique de Bruit de fond offrent à Baumbach l’occasion de faire exploser les coutures de son cinéma. On pense par moments aux comédies azimutées de David O. Russell, avec lesquelles White Noise partage ce goût pour les ruptures de ton, le mélange des genres, les comédiens moumoutés, la zinzinerie cartoon. Où l’on se souvient que Noah Baumbach est aussi le co-scénariste de Madagascar 3 : Bons baisers d’Europe. Le film, qui commence comme une comédie intello, tourne à mi-parcours à la variation indie sur La Guerre des Mondes de Spielberg (oui, oui), avant de se la jouer thriller 80’s, citations visuelles de Brian De Palma à l’appui. C’est beaucoup, sans doute trop, pour un seul film, mais Baumbach fait ici le portrait d’un homme qui compte les jours qui lui restent à vivre, et c’est comme s’il comptait lui-même les films qu’il lui reste à faire. Et qu’il profitait de celui-ci pour en tourner plusieurs à la fois, mettre dedans les polars et les aventures SF qu’il n’a jamais fait, et ne fera sans doute jamais. Certains trouveront sans doute ça un peu indigeste. Les autres hocheront la tête en souriant pendant l’amusant générique de fin (d’autant plus amusant qu’on est sur Netflix, qui d’habitude ne veut pas que vous regardiez les génériques de fin jusqu’au bout), rythmé par une chanson inédite de LCD Soundsystem, « New Rumba Body ». Noah Baumbach a demandé au musicien James Murphy d’écrire "une chanson joyeuse sur la mort". C’est également une bonne façon de décrire le film.
White Noise, de Noah Baumbach, avec Adam Driver, Greta Gerwig, Don Cheadle… Bientôt sur Netflix.
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