Plus qu’un hommage aux pompiers, le film de Frédéric Tellier est surtout le portrait bouleversant d’un homme et d’un couple en reconstruction.
Sauver ou périr, le drame de Frédéric Tellier porté par Pierre Niney et Anaïs Demoustier et sorti fin 2018 au cinéma, arrive en clair, ce dimanche sur France 2. Première vous le conseille. Notez qu'il est d'ailleurs à voir aussi sur Première Max.
L’affaire SK1, le précédent film de Frédéric Tellier qui relatait la traque de Guy Georges, s’inscrivait dans le genre très américain du film de flics « comme si on y était », avec ses limiers ordinaires obsédés par les grands criminels, en conflit avec leurs supérieurs psychorigides et leurs épouses dépressives. Comme pour mieux afficher sa prétention de polar réaliste post-Lumet, Tellier glissait à l’image, dans les locaux du 36, une affiche de L.627 de Bertrand Tavernier, boussole esthétique de L’Affaire SK1 – titre cryptique, lui aussi. Si l’aspect documentaire était soigné et la tension par moments maximale, l’émotion, déléguée à l’inévitable compagne du héros en souffrance, affleurait peu. On ne sait pas si Tellier a retenu la leçon, toujours est-il que le programmatique Sauver ou périr s’articule autour de deux idées fortes : l’héroïsme et l’acceptation. Du film de superhéros au film de monstre, de l’action à l’immobilité, du geste à la parole, le réalisateur assemble méthodiquement les éléments d’une véritable tragédie antique, nourrie de sa lecture scrupuleuse du Livre de Job. Ou comment rester fidèle à soi-même et aux autres dans un cas de souffrance extrême.
LA VIE EST SON MÉTIER
Franck est un sapeur-pompier toujours prêt dont la vie est rythmée par les rituels de la caserne, où il loge avec sa femme : lever des couleurs, exercices, briefings, interventions, débriefings, hommages solennels aux collègues morts sur le terrain... Dans cette première partie au montage enlevé, Frédéric Tellier établit le portrait-robot d’un homme investi dans son travail qu’il vit comme un sacerdoce, d’un leader né (il est déjà gradé et étudie pour devenir soldat du feu, couronnement attendu de sa jeune carrière) qui ne supporte pas d’être soupçonné de la moindre faiblesse. Une séquence édifiante le montre ainsi taper victorieusement un foot au lieu d’aller réviser après la provocation amicale d’un collègue. Franck est un homme d’action et de devoir, mais pas d’écoute. Par touches fugitives, Tellier révèle chez son épouse (Cécile, enceinte de leurs futures jumelles) une frustration et une impatience que seul le spectateur relève. Paradoxal pour un sauveur de vies, ce manque d’attention envers ses proches (il néglige aussi son meilleur ami, victime d’un accident) s’applique aussi à lui-même : il en paiera le prix fort lors d’une intervention sur un incendie où, au mépris des règles élémentaires de sécurité, il se sacrifiera. Tellier filme cette séquence éprouvante au plus près de Franck qui, tel un superhéros, est persuadé de maîtriser la situation avant d’en perdre le contrôle et de s’écrouler, vaincu par plus fort que lui.
MORT-VIVANT
Un nouveau film commence dans la lumière tamisée d’un établissement spécialisé où Franck a échoué, à l’article de la mort. Avec le même réalisme documentaire qu’il apportait aux scènes de caserne, Tellier se penche sur une autre administration dont l’objectif est similaire (déjouer la Faucheuse) et l’excellence, une qualité partagée. L’empathie du personnel médical envers les grands brûlés est joliment rendue par la mise en scène, qui ajuste son tempo à ses gestes délicats et à ses paroles rassurantes. Sauver ou périr passe de la cinquième à la seconde en un plan, remettant tous les compteurs à zéro. Il ne s’agit plus d’aller de l’avant et de planifier des choses mais de se remettre debout et de parler. L’obsession n’est plus la vie mais la mort, comme l’incarnent les peintures effrayantes de James Ensor, objets de fascination pour Franck. Caché derrière un masque cicatrisant, agité de pulsions suicidaires, l’ancien pompier virevoltant n’est plus que l’ombre de lui-même (la photo clair-obscur est au passage magnifique) et doit entamer sa rééducation sous l’œil fatigué de Cécile et celui, pudique, de la caméra. L’épouse courage gagnée par le découragement devient centrale dans ce récit épique et multiple, qui se recentre progressivement sur le couple et le dialogue comme moteurs d’une reconstruction réciproque et sur le regard comme vecteur de tensions –Les Yeux sans visage rencontre Scènes de la vie conjugale. Cécile a ainsi droit à la meilleure scène du film, au cours de laquelle elle confie son désamour au médecin de Franck, qui trouve les mots justes non pas pour lui faire la morale, mais pour lui donner des raisons d’espérer. Qui aurait cru qu’après L’Affaire SK1 Frédéric Tellier réhabiliterait le mélodrame avec un tel brio ?
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