Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
LE GARCON ET LE HERON ★★★★☆
De Hayao Miyazaki
L’essentiel
Après dix ans d’absence, Hayao Miyazaki revient avec un film splendide . Soit l’épopée spirituelle d’un jeune garçon endeuillé, qui fascine le regard autant qu’elle interroge l’avenir et l’héritage que laissera le maître japonais.
Dix ans après Le Vent se lève, accompagné d’une hâtive rumeur de retraite artistique d’Hayao Miyazaki, l’arrivée du nouveau film de l’immense cinéaste japonais constitue un événement majeur. Tout débute par un vaste incendie qui pousse le jeune Mahito à courir au milieu des rues pour tenter de rejoindre l’hôpital où sa mère trouve la mort puis, marqué par le deuil à quitter Tokyo avec son père pour s’installer dans le village où sa mère avait grandi. Là où il va rencontrer un étrange héron qui va le guider dans un monde peuplé de fantômes et de secrets magiques.
Le cheminement du jeune héros convoque Alice au pays des merveilles ou Le Labyrinthe de Pan, mais le magistral déploiement de l’inconscient miyazakien ne ressemble décidément à nul autre. Le Garçon et le Héron s’interroge sur l’avenir réservé à la planète et se demande s’il est possible de réenchanter le monde. Miyazaki questionne par là sa propre destinée : trouvera-t-il des héritiers ou l’univers filmique qu’il a créé disparaîtra-t-il avec lui ? Habité par ces puissantes questions, cette fable qui traite de survivance en devient follement grisante.
Damien Leblanc
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
ZORN I, II ET III ★★★★☆
De Mathieu Amalric
C’est le pape du jazz avant-gardiste. Un extraterrestre musical qui passe sans vergogne du plus radical exercice noise à la plus fluide des mélodies lounges. Zorn I, Zorn II et Zorn III réalisés par Mathieu Almaric, ami et admirateur du musicien, sont trois documentaires puzzles qui captent sur le vif des morceaux de quotidiens et de concerts du saxophoniste fou. Composés à l’origine comme des respirations filmiques diffusées au milieu de ses concerts marathon, ils ont enfin le droit à une sortie salle et rappellent au fond que ce qui lie le cinéma d’Amalric et la musique de Zorn : une même obsession pour le rythme, une énergie tellurique et débordante entièrement dévouée à l’art, et un appétit d’ogre pour la vie.
Gaël Golhen
MARX PEUT ATTENDRE ★★★★☆
De Marco Bellocchio
La même semaine que son nouveau film L’Enlèvement, voici surgir ce documentaire de Marco Bellocchio, découvert au Festival de Cannes en 2021 et qu’on se languissait de revoir tant il nous avait ému. Mieux encore, ce Marx peut attendre s’envisage comme une pierre angulaire de l’œuvre de l’Italien tant il l’éclaire au plus profond de ses entrailles. C’est l’histoire de Camillo, frère jumeau de Marco, suicidé à l’âge de 29 ans, héros rimbaldien que les tourments politiques de l’époque (1968) et les désillusions qui vont avec, auront eu raison de sa foi et de sa raison. Bellocchio réunit sa famille, brise une omerta, et s’interroge sur ce double manquant dont le fantôme plane au-dessus d’une filmographie qui ne cesse de confronter : conscience et inconscience, engagement et renoncement, intimité blessée et émancipation torturée. Essentiel.
Thomas Baurez
PREMIÈRE A AIME
L’ENLEVEMENT ★★★☆☆
De Marco Bellocchio
L’Enlèvement est le récit d’une lente agonie, celle des Etats pontificaux et leur rattachement progressif au royaume d’Italie à partir de la mort de l’inflexible Pie IX en 1878. Avec, au milieu de cet inévitable chaos, un enfant né dans une famille juive de Bologne dans l’Italie du 19e siècle, baptisé à l’insu de ses parents par sa nourrice, puis arraché aux siens par l’Inquisition, son sort devenant rapidement pour l’église un enjeu de pouvoir. Bellocchio baigne ses cadres d’une magnifique lumière vespérale. Tout est en place, magnifiquement composé et pourtant sourd cette sensation que l’essentiel manque. Sa mise en scène n’atteint la transcendance que par à coup. On aurait aimé voir Bellocchio signer un grand film sur la brutalité du monde adulte vue à travers les yeux d’un enfant effaré et tourmentée. Le cinéaste impose une volontairement une distance.
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéA L’INTERIEUR ★★★☆☆
De Vasilis Katsoupis
UN voleur d’œuvres d’art surdoué, se retrouve coincé dans un luxueux penthouse new-yorkais quand le système de sécurité se met à dérailler. Piégé dans cette prison dorée, le cambrioleur va devoir survivre avec le peu d’eau et de nourriture disponibles. Survival psychologique non dénué d’humour, À l’intérieur aimerait beaucoup dépasser son postulat de départ pour raconter l’inanité des riches collectionneurs et l’écrasement social des faibles par les puissants. Mais le film reste bloqué au premier niveau. La faute à la mise en scène solide mais sans génie de Vasilis Katsoupis qui n’empêche cependant pas À l’intérieur de fonctionner comme un pur plaisir pervers de spectateur, où le visage buriné et malléable de Willem Dafoe - de plus en plus fascinant - devient une sorte de toile projetant tour à tour l’angoisse, la folie et l’euphorie, avec une intensité renversante.
François Léger
Lire la critique en intégralitéLE THEOREME DE MARGUERITE ★★★☆☆
De Anna Novion
Avec ce troisième long métrage en quinze ans (après Les Grandes personnes et Rendez-vous à Kiruna), Anna Novion réussit à nous passionner avec un personnage de mathématicienne dont la trajectoire semble pourtant au départ balisée. Marguerite - jouée à la perfection par Ella Rumpf - est ainsi en train de terminer une thèse de maths à l’ENS quand elle renonce soudain à ses études pour expérimenter une vie plus aventureuse au cœur de Paris. Rivé aux émotions d’une héroïne qui se sent en décalage avec le monde, ce récit d’apprentissage passe par différentes atmosphères (la timide mathématicienne deviendra notamment une redoutable joueuse de Mah-jong dans des salles obscures) et s’appuie sur une mise en scène énergisante grâce à laquelle ce théorème filmique, intellectuel et sentimental est résolu haut la main.
Damien Leblanc
PORTRAITS FANTÔMES ★★★☆☆
De Kleber Mendonça Filho
L’intime est universel. On ne le sait que trop bien. L’intime est politique, géographique, architectural, nostalgique ou mélancolique. Il est aussi cinéphile. C’est ce que nous dit en substance Kleber Mendonça Filho (Aquarius et Bacurau) avec ce long métrage documentaire. Le Brésilien de 54 ans revient à Recife, sa ville de naissance et capitale brésilienne de l’état du Pernambouc. Il observe sa maison d’enfance, ses souvenirs, ses voisins, leurs clôtures, ses rues, son cinéma. Déambule de visage en visage. Mêle images d’archives, extraits de films et impressions personnelles. Il filme, tout en poésie, l’émotion des lieux et le temps qui se déplie. Et on retrouve presque quelque chose de rohmérien dans cette navigation hasardeuse à travers la cité colorée qui nous montre que l’identité est géographique, ou “géo-sociale”.
Estelle Aubin
LE REPAIRE DES CONTRAIRES ★★★☆☆
De Léa Rinaldi
Sous les airs d’un épisode de 90’ enquêtes, la Compagnie des Contraires, plante son chapiteau à Chanteloup les Vignes, une commune située en banlieue parisienne, où règne le vandalisme. Neusa Thomasi, une vaillante Brésilienne sans papier est à l'initiative de ce projet solidaire. Cette battante accorde une parenthèse enchantée à une jeunesse en perte d’élévation. Les enfants s’extraient de la tension qui les environne en verbalisant les tirades d’intemporelles pièces de théâtres. Bien consciente du contexte, Neusa n’infantilise pas cette jeunesse confrontée prématurément à un environnement hostile à l’innocence. Les représentations théâtrales rassemblent une tendresse désarmante où les acteurs en herbe exercent le grand écart culturel au sein de ce dôme qui fige le temps et marque les esprits de manière bouleversante. Un documentaire, tourné sur 3 ans, comme une lueur d’espoir.
Manon Bellahcene
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIERE A MOYENNEMENT AIME
FLO ★★☆☆☆
De Géraldine Danon
Florence Arthaud tombe à l’eau, se débat… et sa vie remonte à la surface. Tout est là : l’accident de bagnole inaugural, son baptême de mer à Newport en 76, les marins, la drague, le courage et la liberté. Mais il y a aussi des divagations, entre vérités chuchotées et reconstructions fantasmées, comme cette histoire d’amour avec Kersauson culminant dans une scène de mariage bigger than life. Le récit puzzle est un peu décousu, parfois trop épais. Mais le film bénéficie de deux atouts imparables. Les scènes de mer, filmées avec un sens du vertige et de l’aventure, sont époustouflantes - sa Route du Rhum 90 rendra dingue n’importe quel fan de Virtual Regata. Et puis il y a Stéphane Caillard. Coiffure de lionne, voix qui grasseye et charisme soufflant, elle rend justice à cette femme qui, plus qu’une sportive, était au fond une vraie rock-star.
Pierre Lunn
MMXX ★★☆☆☆
De Cristi Puiu
MMXX soit 2020, année zéro du Covid. Cristi Puiu nous sort donc son film « masqué », divisé en quatre chapitres, à priori distincts dramatiquement, si ce n’est la redondance d’un personnage assurant un semblant de lien. C’est d’abord une psy qui reçoit une patiente imbue d’elle-même, puis une jeune femme – entourée de deux gros cons - essayant péniblement d’avoir des nouvelles d’une amie admise à la hâte dans une maternité. On enchaîne avec deux infirmiers qui évoquent une mafia albanaise. Ladite mafia dont on verra l’extrême brutalité dans une dernière partie plus aérée. A chaque fois, la mise en scène, à la précision démoniaque, rend compte d’une inquiétude. Autant de palabres ne font pas pour autant une épopée, fût- elle immobile. Puiu prend une nouvelle fois les habits de l’entomologiste d’une espèce humaine menacée et pas franchement glorieuse.
Thomas Baurez
Et aussi
Complètement cramé, de Gilles Legardinier
Inestimable, de Eric Fraticelli
Monsieur le maire, de Karine Blanc et Michel Tavares
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