Le cinéaste chilien Sebastián Lelio offre à Julianne Moore l’un de ses plus beaux rôles.
Gloria, quatrième long métrage de Sebastián Lelio, est le portrait d’une quinquagénaire vibrionnante et lumineuse qui avait révélé le cinéaste aux yeux du monde en 2013 au festival de Berlin. Son interprète, Paulina García, y avait d’ailleurs remporté l’Ours d’argent de la meilleure actrice. Quatre ans plus tard, Lelio recevait l’Oscar du meilleur film étranger avec Une femme fantastique. Il n’en fallait pas plus pour attirer l’attention de Julianne Moore, qui a vu dans le personnage de Gloria une occasion en or de célébrer la femme de 50 ans dans toute sa vitalité. Et qui, par sa présence en tête d’affiche du remake Gloria Bell, va logiquement donner envie à un plus large public de découvrir cette œuvre du cinéaste chilien. Les chanceux qui ont vu l’original ne seront pas dépaysés. L’intrigue ne change pas d’un iota : Gloria, divorcée, rencontre Arnold (ici interprété par John Turturro) qui tombe follement amoureux d’elle. Sauf que ce dernier reste dépendant de son « ex-femme » et de ses filles dont il exauce les moindres demandes. En suivant à ce point la même trame, le risque était forcément grand que ce Gloria Bell américain ne soit qu’une pâle copie aseptisée du Gloria chilien. Il n’en est heureusement rien. Car, en transposant son histoire en Amérique, Sebastián Lelio lui a donné une force singulière. Celle, d’abord, de son interprète : Julianne Moore, éblouissante dans un des rôles les plus passionnants d’une carrière pourtant bien remplie. Loin de la composition pesante de Still Alice, qui lui a cependant valu l’Oscar de la meilleure actrice, la comédienne se montre ici tout en lâcher-prise. Elle est de chaque plan et, malgré cela, jamais sa présence ne s’impose. On a le sentiment de la voir à nu comme jamais, laissant la caméra la détailler, la regarder rire, chanter, danser, aimer et vieillir sans filtre.
SENSIBILITÉ
Elle le prouve une fois encore avec superbe : Julianne Moore est l’une des comédiennes les plus libres de sa génération. La plus intrépide et la plus émouvante aussi. La caméra de Lelio épouse son interprète. Portée à l’épaule, elle se trémousse avec elle sur les standards des années 70-80. Dans l’intimité de son appartement, elle vient frôler son visage. Et puis, il y a cette scène emblématique de l’extrême sensibilité de ce film et de sa mise en scène. Celle du repas où Gloria présente son nouveau compagnon à sa famille. Comme la promesse d’une nouvelle vie... très vite tuée dans l’oeuf par des petits détails que Lelio distille savamment. D’abord, une banale chamaillerie entre Gloria et son ex qui en dit long sur leur complicité intacte malgré leur séparation de longue date. Puis, un long moment où les anciens amants réconciliés – comme seuls au monde – commentent leur album photo familial, tandis que Lelio détourne sa caméra pour cadrer le regard mélancolique et désabusé de John Turturro, devenu soudain invisible. Ce qu’il vit évidemment comme une humiliation, mais sans qu’aucun dialogue redondant ne vienne le marteler.
RENAISSANCE
Mais à travers le portrait de Gloria Bell, Lelio nous parle aussi de l’Amérique et plus largement de l’Occident d’aujourd’hui, ce monde où la femme mûre est souvent seule. Divorcée comme 50 % de ses congénères. Ses enfants ont quitté le bercail. Son travail ne la passionne pas plus que ça, pourtant elle craint d’être virée du jour au lendemain. Mais à l’inverse d’un banal constat amer, Gloria Bell nous offre le récit d’une renaissance. Et si la solution était de ne pas dépendre des autres ? Telle est la grande leçon que nous offre ce film. Une leçon à retenir à 50 comme à 20 ans.
Gloria Bell, en salles le 1er mai 2019.
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