Avec Karim Leklou, Isabelle Adjani forme un tandem mère-fils déjanté dans Le monde est à toi de Romain Gavras. Nous les avons rencontrés.
Elle est impériale en mère indigne, voleuse de haut vol, qui n’hésite pas à spolier son fils, désireux de vivre une vie normale et obligée de replonger pour financer un business honnête. Isabelle Adjani, outrageusement perruquée, très show off, sort le grand jeu face à Karim Leklou dans Le Monde est à toi, plus low profile mais tout aussi impeccable en underdog plein de bonne volonté. Dans la réalité, Isabelle materne Karim avec une tendresse évidente. A l'occasion de la première diffusion en clair du film de Romain Gavras, ce soir sur CStar, nous republions notre interview des deux comédiens, rencontrés lors du festival de Cannes 2018.
Première : Comment vont maman et fiston ?
Isabelle Adjani : Très bien. Quand je le vois, je lui dis « bonjour mon grand ». (rires)
Ca fait quoi d’avoir Isabelle Adjani comme maman, Karim ?
Isabelle : Ouh là, vous n’avez plus de voix, vous ?
Karim Leklou : Vous avez fait la fête ?
Un peu... Alors, Karim ?
Isabelle : Le pauvre, que peut-il vous répondre ? (rires) Vous le coincez dans un tout petit coin, là, il n’a franchement pas le choix. Ne dis pas du mal de ta mère, sinon tu vas t’en prendre une !
Mère un peu indigne dans le film.
Karim : Elle est un peu barrée, disons.
Isabelle : Elle le piège en permanence comme dans cette scène aux Galeries Lafayette où elle l’oblige à faire un scandale pour pouvoir commettre son larcin. Il faut tout un film pour qu’il arrive à tuer symboliquement cette mère quand même ! Et encore, il tombe fou d’une fille qui a déjà les mêmes réflexes maternels...
Karim : Sur le plateau, l’entente était merveilleuse. Comme c’était très plaisant de jouer avec Isabelle, j’ai pu me concentrer à 100% sur mon personnage.
Vous apportez tous les deux des couleurs différentes : Isabelle est l’ancrage graphique et BD du film, Karim, l’ancrage réaliste.
Isabelle : Mon personnage crée du “disruptif”. C’est ce que voulait Romain : des ruptures de ton entre nos deux personnages. Danny a toujours un plan d’avance sur son fils.
Karim : C’est un film sur ce que font subir les parents à leurs enfants.
Isabelle : Mais non...
Karim : Mais si, dans le film, tu me fais subir des choses ! (rires)
Isabelle : Cette manipulation, déjouée par la caméra de Romain, est hilarante. Danny veut que son fils soit non seulement un voyou mais le chef des voyous. C’est la caricature d’une manipulation qui ne prend pas.
Elle est horrible et attachante à la fois.
Isabelle : Elle est attachante parce que Romain l’aime et qu’elle lui évoque un peu sa maman à lui –le productrice Michèle Ray-Gavras, ndlr. Je parle beaucoup à ta place, non ?
Karim : Mais non, voyons.
Tout était-il très écrit ou avez-vous improvisé comme lors de cette scène de danse du ventre, Karim ?
Karim : Ca ne se voit pas mais ça a été très bossé avec une chorégraphe !
Isabelle : Personne ne remue son bidon comme toi... Il y a du soleil qui rentre dans ce café lors de cette scène. Ca montre un visage positif de la banlieue. Ca l’euphorise.
Karim : C’est même l’une des rares scènes de communion du film.
Isabelle : « de communion », tu exagères... Le moteur de mon personnage, c’est quand même le tiroir-caisse.
Diriez-vous que c’est un film à l’anglo-saxonne, cool, décalé, formaliste ?
Isabelle : Totalement. La seule chose qui lui manque, c’est d’être en anglais.
Karim : On pense aux films de Guy Ritchie, type Snatch. C’est chouette de voir une comédie pop comme ça en France.
Isabelle : Tout en étant le produit d’une grande cinéphilie et d’un esprit français. Ce qui est très anglo-saxon aussi, c’est cette capacité à nous créer des personnages extravagants. A part toi, mon grand ! (rires) Quand tu la vois au début avec son peignoir Gucci, sa choucroute de rappeuse sur la tête et ses énormes lunettes... Dire que des journalistes français ont écrit que je jouais avec mon image ! Mais enfin, c’est ouf, comment me perçoivent-ils ? (rires)
Karim, vous les jalousiez ces seconds rôles baroques ? Votre personnage est beaucoup plus terre-à-terre, il est moins “payant”.
Karim : J’admire chez François son aspiration à la normalité. Son ambition consiste à vouloir s’échapper d’un film de voyou. Ce n’est pas vraiment ce qui caractérise l’époque.
Isabelle : Il voit grand en pensant petit. Il veut faire partie du monde en passant inaperçu. “Enfoncer le clou”.
Karim : Ouah, je me prends une punchline, là ! (rires) Tu l’assumes ?
Qu’est-ce-qui vous guide aujourd’hui Isabelle dans vos choix ? On sait que vous tournez peu.
Isabelle : J’aimerais que se présente à moi plus de projets ambitieux, c’est tout. Ce qui m’importe avant tout, c’est la rencontre avec le metteur en scène. Si vous avez affaire à un vrai cinéaste, le scénario ne peut pas exister par défaut. Je veux travaillez avec des gens dont la pointure est indiscutable. Je ne l’ai sans doute pas assez fait au cours de ma carrière. Pas de quoi craindre non plus la proposition inconnue, incongrue comme ça a été le cas avec Le monde est à toi. Je me suis vraiment demandé si j’étais taillée pour le rôle. Romain a vu en moi quelque chose qui m’échappait, que je ne soupçonnais pas. J’ai de plus en plus besoin d’être surprise.
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