Interview cannoise avec le réalisateur américain, récompensé pour son conte de fées trash autour d’une strip-teaseuse new-yorkaise et d’un gosse de riches russe.
Mercredi 22 mai, au lendemain de la projection d'Anora, le réalisateur de Tangerine, The Florida Project et Red Rocket, explorateur empathique de l'Amérique des marginaux, nous débriefait son nouveau film, finalement lauréat de la Palme d'or quelques jours plus tard.
Première : Sean, à la projection d’Anora, on a pu voir dans la salle Abel Ferrara, Gaspar Noé… Ce sont des fans de votre travail ? Des copains ?
Sean Baker : Maintenant, ce sont des copains, oui ! Mais ce qui est vraiment génial, c’est que ce sont des influences. Je suis sûr qu’Abel voit son ADN partout dans Anora. Quand je filme le personnage de Toros au volant de sa voiture, par exemple, ça vient tout droit de Harvey Keitel dans Bad Lieutenant. C’est surréaliste d’imaginer que ces gars qui ont exercé une telle influence sur moi sont là, à Cannes, en train de regarder mon film… J’espère qu’ils ont aimé !
Vous avez écrit le film pour l’actrice Mikey Madison, qu’on a vue dans la série Better Things, le cinquième Scream ou encore Once upon a time… in Hollywood. C’était elle sinon rien ?
Absolument. J’ai vraiment pu l’impliquer dans le processus de création d’Anora. Nous vivons pas très loin l’un de l’autre à Los Angeles. Quand on a fait connaissance, elle m’a dit que son film préféré est Possession, ce qui m’a tout de suite fait comprendre qu’on avait des sensibilités proches. Je n’avais jamais travaillé avec une actrice aussi impliquée. Rendez-vous compte : elle a fait trois mois d’entraînement de pole-dance pour 20 secondes à l’écran. 20 secondes ! C’est dingue. Elle a appris le russe, et à parler avec un accent new-yorkais…
Pourquoi elle ?
Je l’ai découverte dans Once upon a time… in Hollywood . Elle volait toutes les scènes dans lesquelles elle était. J’aimais le film, mais quand elle est apparue, vers la fin, je me suis dit : "Qui est cette fille ?" Je suis retourné voir le film deux fois d’affilée, juste pour revoir ses scènes à elle. Puis, avec ma femme (Samantha Quan, productrice d’Anora), nous l’avons vue dans Scream, et pu constater qu’elle avait vraiment une palette très large.
Notre critique d'AnoraElle a l’air très différente dans la vraie vie de ce qu’elle projette à l’écran, ce côté féroce et explosif que vous exploitez à fond dans Anora...
Oui, elle est très réservée, très polie. C’est une observatrice. Elle n’a pas cette New York attitude… mais elle la comprend. Quand il s’agit de se bagarrer dans un film, elle y va !
Dans le générique de fin, vous saluez le réalisateur espagnol Jesus Franco et l’actrice Soledad Miranda…
Oui, je pensais en particulier aux deux films qu’ils ont fait ensemble, Vampyros Lesbos et Crimes dans l’extase. La façon dont Soledad Miranda y était filmée, dont elle inspirait chaque plan, voilà ce que je voulais faire avec Mikey. En fait, c’est Mikey qui a dicté le style du film. Je lui ai montré ces deux films très tôt lors de la préparation. D’autres choses, aussi, comme La Femme Scorpion ou certains Maurice Pialat.
Vous étiez à la Quinzaine des Réalisateurs il y a quelques années avec The Florida Project et, depuis Red Rocket, vous êtes un cinéaste qui montre ses films en compétition… Vous vivez ça comme une progression ?
Absolument ! Encore avant ça, j’ai mis du temps à me faire accepter dans les festivals américains. J’ai commencé avec des films faits dans mon coin, il m’a fallu un moment pour être sélectionné à Sundance. Ça a été une trèèèèèès lente ascension. Mais être en compétition à Cannes ? Concourir avec des gens comme Coppola et Cronenberg ? Wow ! C’est un rêve devenu réalité.
On pense parfois au cinéma des frères Safdie devant Anora. Vous avez le sentiment de faire partie d’une génération de cinéastes américains, ou vous tracez votre route en solitaire ?
C’est bizarre, parce que tous mes pairs ont dix ans de moins que moi. Les Safdie, Ari Aster… Il faut dire que j’ai complètement foiré ma vingtaine à cause des drogues ! Je suis toujours sous drogue, cela dit, mais ce ne sont plus des drogues dures… Il m’a fallu dix ans de plus que les autres pour me faire une place. En réalité, je suis de la génération de PTA et Tarantino. Mais c’est moins d’une génération dont il s’agit ici que d’une culture. Je ne veux pas rester seul dans mon coin, je veux rester connecté à cette cuture. Il y a par exemple toute une veine d’autofiction à New York en ce moment qui est bouillonnante, très indé. Et ça bouge aussi à Los Angeles. Je dois dire que Quentin a beaucoup fait pour moi, il a soutenu mes films en les montrant dans son cinéma, le New Beverly. J’espère qu’il aimera Anora. Il y a beaucoup de pulp dedans.
Anora, de Sean Baker, avec Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yura Borisov… Prochainement au cinéma.
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