Derrière le portrait de femme, Joachim Trier ausculte son époque dans une comédie vive portée par une actrice impressionnante
On le savait. Avec Julie (en 12 chapitres) c’est officiel : Joachim Trier est un cinéaste majeur. Et définitivement l’un des meilleurs de sa génération. Par génération, on pense à ce groupe de cinéastes sensibles qui a décidé d’ausculter notre génération angoissée, et de fouiller les plis de cette crise existentielle. Ce groupe informel déploie sa mélancolie douce sur des bandes-sons impec (le plus souvent de la new-wave) et cache son érudition sous une mise en scène très moderne. On pense beaucoup à Baumbach, à Mia Hansen Love ou à Mikhael Hers - et on pourrait aller jusqu'à Damien Chazelle. La manière dont Trier filme Oslo rappelle parfois le L.A. de Chazelle et la scène de la rencontre hier faisait écho à la séquence du planétarium de La La Land...
Après Oslo, 31 aout, présenté à Cannes il y a 10 ans en Un Certain Regard, Julie son œuvre la plus aboutie, prouve en tout cas que dans ce registre, Trier est l'un des meilleurs. A partir d’un collage d'éclats intimes, il signe une grande fresque contemporaine, la radiographie sensible des tremblements collectifs. Julie, l’héroïne, est une jeune femme qui (se) cherche. Un mec, une vocation, un métier, des réponses. D’un lever de soleil sur Oslo à un autre, d’une fête à un rendez-vous à l’hosto, d’une étreinte amoureuse à un dernier baiser, le film colle en 12 moments aux Converse de cette trentenaire insouciante. Elle traverse cette période de la vie où l’avenir peine à dessiner ses possibles. Et, c’est là que ce portrait de femme hébétée devient la chronique de l’époque. Les titres des disent bien l'ambition : Julie parle des relations amoureuses à l’ère #Metoo, de la responsabilité de l’art face la société, de la fidélité à soi-même ou de l’engagement écologique.
Ca pourrait être ennuyeux, voire lénifiant et répétitif. C’est au contraire merveilleux, drôle, subtil et touchant. Comme Rousseau qui inventait une nouvelle manière de dire le sentiment amoureux dans sa Julie, ou la Nouvelle Héloïse, Trier avec un sens absolu de la mise en scène raconte de manière neuve la relation amoureuse. Il y a par exemple une scène de fantasme à la poésie sidérante où le cinéaste arrête le temps pour suivre la rencontre de ses deux solitudes. Il y a des séquences au réalisme blafard ou à l’énergie pop et on passe d’une romcom lumineuse et triviale au drame suédois (ou norvégien) dépressif avec une même facilité. Cela ne serait rien s’il n’y avait pas quelqu’un pour incarner ce projet. Renate Reinsve, inconnue jusqu’ici, est une Julie phénoménale, qui apporte ce qu’il faut d’aspérité, de spontanéité et de puissance. Elle confère au film son arme absolue : l’extraordinaire authenticité et justesse de son héroïne et de sa quête.
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