Avec Samba, les réalisateurs d'Intouchables visent encore juste
Gaumont Distribution

Le drame d'Eric Tolédano et Olivier Nakache offre de beaux rôles à Omar Sy, Charlotte Gainsbourg, Tahar Rahim et Izïa Higelin.

Intouchables avait prouvé que la comédie française n’était pas forcément synonyme de dialogues putassiers, de mise en scène atterrante et de mépris du public. Le duo avait réussi ce qu’on pensait quasiment impossible, un vrai feel good movie maitrisé et digne. Accident ? Avec son titre, son sujet (les sans-papiers et la rencontre entre deux mondes) et les 20 millions du "film d'avant", Samba pouvait laisser penser que ce serait le retour de bâton. Tout faux.

Fini de rire ?

D’abord, autant prévenir ceux qui viennent le couteau entre les dents et pensent que le duo fait sa nouvelle tambouille dans les vieux pots : il n’en est rien. L’histoire vraie déguisée en comédie et l’opposition entre deux contraires (le grand bourgeois cabossé a laissé la place à la grande bourgeoise ravagée mais le black est identique) ne cache pas un Intouchables 2. C’est ici une toute autre affaire. Plutôt que de s’endormir sur ses lauriers, le duo prend tout le monde à revers. Les deux cinéastes jouent avec les attentes du public en reprenant Omar, mais pour lui donner un rôle complètement différent, tout en retenue, moins drôle mais beaucoup plus émouvant. D'ailleurs, ce n’est pas lui le potentiel comique du film et ils vont même jusqu’à lui refuser une scène de danse ! Fini de rire ? Si Intouchables était une vraie comédie, Samba est moins drôle que vraiment juste ; c'est aussi un film politique comme l’étaient les Monicelli ou Risi. La joie est grinçante, le sujet vaguement dépressif et le quadrille évite les clichés pour passer de l’émotion pure à la douleur pudique.

Eric Tolédano : "Après Intouchables, on était obligés de surpendre avec Samba. Omar le premier."

Sans-papiers et sans calcul

Comme dans Intouchables, ce que Toledano et Nakache réussissent haut la main, c’est un vrai film digne, qui fait gaffe aux détails, désamorce toutes les scènes attendues grâce à un sens du gag et de l’émotion feel good suprême…  On pourrait citer 15 séquences extraordinaires (une scène sur les toits de Paris hyper émouvante, le passage dans l’association d’aide aux sans-papiers puissant, les pétages de plomb de Charlotte Gainsbourg, le duo Omar et Tahar ou l’ouverture géniale), mais on ne gardera que la scène du café où la cadre sup se confie enfin au sans-papiers. Une scène délicate qui résume bien l’essence du film : mélanger rom com, réalisme social et fable contemporaine sans jamais sentir le préfabriqué. C’est la force du film : pas de calcul marketing, pas de raisonnement mercantile. Faire d’un sans-papiers très humain - trop humain, ambivalent et faillible - un pur héros de cinéma est plus qu’audacieux, surtout par les temps qui courent (suivez le regard qui louche). Toledano et Nakache réussissent au fond une vraie comédie sentimentale qui leur permet de plonger dans l'envers du décor pour approcher un film plus sombre sur l'immigration. On n’est pas en train de transformer Samba en pamphlet, mais le film sonde par moment l'exploitation du tiers-monde, la bonne conscience relou des associations avec, pour seule arme, un humour teigneux.

Pourquoi on ne voit pas Omar Sy danser dans Samba

Le tour de force

Evidemment, Samba ne serait rien sans ses comédiens. Sans surprise, le film appartient à Omar, qui réussit à faire oublier Intouchables et joue tout en nuance un personnage attachant, humain et complexe. Face à lui, Charlotte Gainsbourg trouve le meilleur rôle de son année surchargée et prouve (après Prête moi ta main) qu’elle excelle dans le registre de la comédie romantique et les contre-emplois. Tahar Rahim, lui, explose les compteurs, s’impose comme une vraie bête de scène et déploie une incarnation physique et comique hors-norme. Le débat fait rage à la rédac pour savoir s’il vole la vedette aux autres comédiens. Là, où il n’y a pas discussion en revanche, c’est pour louer la direction d’acteurs, le talent d’écriture et l’incroyable mise en scène du duo de cinéaste. Samba est un film qui donne envie de danser, de rire, de pleurer. Dignement. Sans jamais forcer la main. Dans le contexte industriel et artistique français, c’est un putain de tour de force.
Gaël Golhen


Charlotte Gainsbourg : "J'étais inhibée par le devoir de faire rire dans Samba"