C’est une naissance au (ou de) cinéma comme on en voit rarement. Naomi Watts dans Mulholland Drive est la seule équivalence qui vienne à l’esprit. En filmant la jeune Freya Mavor, Sfar ne se contente pas de shooter une belle femme, miroir des angoisses et de la culpabilité française. Il crée une star. Une empreinte. Une aura. Certains l’avaient aperçue dans la série Skins, mais là elle éclabousse tout et s’impose naturellement. Rencontre avec une jeune comédienne dont il va falloir apprendre à écrire le nom. Freya, c’est ton premier leading role au ciné. Mais tu as fait de la télé…Oui, en Angleterre. Dans Skins. C’était une expérience super excitante mais un peu bizarre. Je ne sais pas si tu connais la série : de vrais ados jouaient leurs rôles - le rôle de gamins qui finissent leur jeunesse et flirte avec le monde adulte. C’est une série très populaire là-bas parce que les jeunes y sont montrés de façon crue, extremeEt tu apparaissais dans 2 saisons…Oui… Ce qui est marrant c’est que j’étais fan de la série avant d’être castée. Je regardais ça avec mon frère et on interdisait même à nos parents de regarder les épisodes avec nous tellement ce qui était montré était embarrassant (du cul, des scènes chocs avec de la drogue et du sexe…)… C’était dingue à l’époqueTu jouais quel rôle ?Je jouais la bitch de l’école, la vraie salope. J’avais très peur d’ailleurs. D’abord parce que j’étais tellement investi dansSkinsque je ne voulais pas me foirer, mais aussi parce que je redoutais que les gens pensent que j’étais cette fille horrible, la grande blonde méchante… Et puis elle a évolué ; on se rendait compte qu’elle venait d’une famille brisée avec des couches de traumas… C’était assez bien fait.Et comment tu arrives sur le tournage de La Dame dans l’auto ?De manière classique : des auditions. J’en fais en France depuis trois ans, depuis que je vis à Paris, mais ca a été longtemps compliqué. Les gens ne me prenaient pas au sérieux. Avant même de me rencontrer les directeurs de casting se disaient qu’ils ne voulaient pas d’une écossaise avec un nom imprononçable. Donc on ne me voyait même pas…« Freya », ca vient d’où ? C’est une déesse norvégienne. La déesse de la contradiction, de l’amour, de la mort, de la guerre et de la fertilité… Un beau bordel ! mais qui me correspond bien. L’amour et la guerre, les contrastes quoi !Je comprends que ça fasse flipper les mecs des castings…Oui ! Mais je crois que c'est l'une des choses qui a plu à Joann. Pas que ça j’espère (rires)… Il a pris beaucoup de risques, il m’a fait confiance surtout A l’origine, je passais des essais pour le rôle d’Anita (finalement tenu par Stacy Martin). Et puis il m’a vite dit qu’il pensait à moi pour Dany. Et dès qu’il a eu ça dans la tête, il n’a pas pu revenir en arrière. Pourquoi ? Je veux dire qu’est-ce qu’il fait qu’il t’a vu dans le rôle de Dany ? Je ne sais pas… Mais c’est un truc typique d’actrice de se demander pourquoi on est choisie. C’est même un peu niais… Un truc est sûr : Joann a privilégié un casting éclectique et bizarre (tu trouves une écossaise, une anglaise, un italien, un chanteur). Je crois qu’il aimais bien le fait que ce soit décalé. Et que je sois inconnue en France lui plaisait aussi, par rapport au rôle à l’idée de l’éclosion, de la naissance d’une femme… Ma manière de travailler un peu différente a du jouer aussi.C’est à dire ?On parle des 70’s. Une époque qui n’avait rien à voir avec aujourd’hui (question sexualité, façon de parler, de bouger…). Tout est décalé. Je viens du jeu anglais où les acteurs sont de bons élèves. Là-bas, tout est sévère, très travaillé. Incroyablement documenté. Je suis une geek, j’adore lire des bouquins, faire beaucoup de recherches et je crois que ce coté british, awkward et studieux correspondait bien au personnage.Tu as lu le livre de Japrisot ?Dès que j’ai reçu le scénario ! Il y a tout dedans. Le livre a été la driving force du film…Et comment tu la vois cette Dame dans l’auto ?Pour moi l’essentiel c’est le jugement intérieur. La voix off du livre, avec cette mère supérieure qui représente la culpabilité, la voix de la raison et de la religion… C’était fascinant d’avoir à jouer ce personnage névrosé, avec tellement de défaut. J’aime bien ses défauts : ce n’est pas une femme forte, elle est même un peu ridicule, un peu maladroite.Au point qu’on se demande si elle n’est pas un peu conne…Je vois ce que tu veux dire, mais ce n’est pas vraiment ça. Elle est au contraire très intelligente, mais elle fait croire qu’elle est un peu conne pour se protéger.A un moment donné Japrisot dit que sa dame dans l'auto est « une femme qui laisse croire à un homme qu’il est intelligent, c’est rare »C’est génial. C’est exactement ça et c’est la raison pour laquelle j’adore cet auteur. Le livre date des années 60-70. On ne veut pas voir de femme intelligente à cette époque. C’est inconcevable et son roman est beau pour ça ! Du coup, elle, Dany, se rabaisse, essaie d’être la petite secrétaire qui fait tout bien, ferme sa gueule, mais a un caractère incroyable et ne peut pas s’exprimer. C’est bien symptomatique de la place des femmes. Et pas que dans les 70’s. Encore aujourd’hui… on mais bon, je ne vais pas faire ma féministe… Le film parle très bien de ca.>>> "Le sous-texte de La Dame dans l'auto, c'est la révolution sexuelle"Ce qui frappe dans le film, c’est la manière dont tu joues ta progressive descente aux enfers avec ambivalence. Tu souffres, mais tu sembles y prendre plaisir.Pour moi elle vit un cauchemar dont elle ne veut pas s’extraire. Il y a quelque chose de l’ordre du sado-masochisme. Elle a conscience de ce qui se passe, elle est lucide et plonge consciemment dans la folie. Elle se complait là-dedans parce qu’elle a enfin la sensation de vivre. En souffrant, elle se libère.Qu’est ce qui a été le plus dur ?Le look. Travailler son look. Les talons surtout ! Quel cauchemar ! Je suis grande et je ne porte jamais de talons. J’ai dû m’entraîner. Je me souviens marcher dans Bruxelles sur les pavés et me casser la gueule… Mais progressivement, ca a fonctionné. Les talons m’ont rendu plus fragile. On a l’air d’être fébrile, plus fragile, comme un petit animal. C’est bizarre et sadique les talons pour une femme, j’ai l’impression. Mais j’adorais l’idée qu’il se passe plein de choses dans le film, mais elle garde ses talons jusqu’au boutC’est marrant tu la décris exactement comme Japrisot : « un animal fragile »Ah oui, quand il adopte le regard du garagiste, c’est ça ?Oui !Tu as remarqué qu’il parle constamment de sa démarche, de la façon dont elle parle ! Elle est décalée, un peu bizarre. Elle n’arrive pas à se mélanger avec le reste du monde, même si elle veut être regardée, désirée. Et puis la langue... Le français. Les dialogues du livre et du film étaient... bizarres, étranges. Et je m’écoutais beaucoup pour ne pas avoir d’accent. Ca créait une sorte d’analyse constante de ce que je disais. Comme Dany presque. Je me disais toujours, intérieurement, « non dis pas ça comme ça ! Non ! » et je me suis rendu compte que j’épousais sa manière de pensée très analytique.Ca pose la question de la voix off du livre. Comment avez-vous travaillé ça dans le film ? Elles ont disparu, mais... ... mais pas complètement. On a beaucoup travaillé sur les voix avec Joann. Ces voix off qu’on a rendu in. On a travaillé pour savoir jusqu’où on emmenait son rapport à elle-même. Est-ce que c’est dans sa tête ? Est-ce que c’est à haute voix ? Son côté enfantin, le moment où elle divague entre réalité et fantasme. Au fond, elle veut être adulte mais dans ses gestes, dans son attitude c’est une gamine.La scène d’ouverture où tu danses est sublime !Tu sais que ça n'était pas prévu. Ca a été filmé à la fin. Au bout de 4 ou 5 semaines de tournage, on s’est rendu compte que l'on avait tout fait subir à Dany. On l’a fait rire, baiser, chanter, tuer… mais on s’est dit qu’elle n’avait jamais dansé. Et on a pensé que c’était fort de la montrer danser, parce qu’elle prenait enfin une décision lui appartenant. C’est la première fois qu’elle s’autorise à être elle-même. C’est cheesy, mais c’est vrai. Elle décide d’être coupable, c’est une condamnation, mais c’est elle qui prend sa revanche sur son destin. Et ce lâchage physique pouvait être le beau symbole de cette décision. Elle est en transe. C’est chouette non ? Ca résume bien le personnage.>>> 5 Films à voir avant La Dame dans l'auto
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- Freya Mavor : "La dame dans l'auto vit un cauchemar dont elle ne veut pas s'extraire !"
Freya Mavor : "La dame dans l'auto vit un cauchemar dont elle ne veut pas s'extraire !"
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