Affiches sorties de films du 31 août 2022
Pathé Live/ Haut et Court/ Bac Films

Ce qu’il faut voir en salles.

L’ÉVÉNEMENT
EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE ★★★★☆

De Dan Kwan et Daniel Scheinert

L’essentiel

Grosse surprise du box-office américain précédée d’un bouche-à-oreille assez dément, la nouvelle production A24 tient toutes ses promesses. Un OVNI fascinant, avec Michelle Yeoh au coeur du multivers… et en quête d’elle-même.

Everything Everywhere All at Once commence comme un drama familial de poche : immigrée chinoise propriétaire d’une laverie, Evelyn Wang (Michelle Yeoh) semble à bout, incapable dialoguer avec sa fille et son mari , saoulée par son travail… On sent la dépression sous-jacente quand soudain, première rupture de ton. Lors d’un rendez-vous avec une inspectrice des impôts qui a décidé de lui mener la vie dure (Jamie Lee Curtis, épatante), un alter ego de son époux lui apparaît, et lui confie qu’elle est la seule en capacité de sauver le multivers d’une étrange entité venue semer le chaos. Evelyn devient alors capable, à travers des mouvements improbables, de convoquer les compétences de ses « doubles » issus d’univers parallèles, autant de mondes où sa vie aurait été totalement différente. À partir de là, il est très tentant de résumer EEAAO à la liste de ses ingrédients : « Peut contenir des traces de cinéma hongkongais (les arts martiaux seront centraux), de Cloud Atlas, d’Un jour sans fin, de Matrix , de Michel Gondry, d’In the mood for Love » Mais ce serait faire bien peu de cas de la minutie avec laquelle Daniel Scheinert et Daniel Kwan détournent toutes ces citations assumées pour raconter la quête d’identité de leur protagoniste. Avec une idée démente toutes les cinq minutes, leur grande réussite tient à l’exploration de l’extraordinairement grand - le multivers tout entier - pour régler une affaire a priori infiniment petite - la crise existentielle d’une mère de famille d’origine étrangère, engoncée dans sa vie. De quoi, au passage, mettre une sacrée claque à Marvel et son très frileux Doctor Strange in the multiverse of madness.

François Léger

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PREMIÈRE A ADORE

FLEE ★★★★★

De Jonas Poher Rasmussen

Un témoignage, mais pas d’images. Il y a quelques années, le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen réussit enfin à faire parler son ami d’enfance, Amin, sur son trouble passé. À une condition : son anonymat devra rester total. Pendant ces longs entretiens, seule la voix d’Amin est enregistrée. Il raconte comment il s’est inventé une autre vie, cachant à son entourage avoir fui l’Afghanistan à la fin des années 80 alors qu'il n'était qu'un môme. À 36 ans, Amin est désormais un universitaire reconnu au Danemark, et en couple avec un homme. Trajectoire dingue que Rasmussen retrace sous la forme d'un documentaire d’animation : Flee comble visuellement les trous en alternant entre dessins semi-réalistes (la plupart du film), griffonnés et brouillons (les instants les plus vaporeux dans l’esprit d’Amin, ou bien les pires passages de son existence) et images d'archives en prises de vue réelles. Un dispositif troublant, qui accentue la dureté du réel en insufflant de la fiction. Tour à tour film de survie déchirant et récit d'émancipation, Flee évoque aussi bien la crise des réfugiés que le traumatisme de grandir en se découvrant gay dans un pays qui ne tolère pas l’homosexualité. Rarement l’introspection aura  été aussi universelle.

François Léger

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PREMIÈRE A AIME

REBEL ★★★☆☆

De Adil El Arbi et Bilall Fallah

Parti de Molenbeek, Kamal se rend en Syrie pour venir en aide aux victimes de la guerre, mais l’État islamique prend possession du territoire et l’enrôle de force. En parallèle, les recruteurs de Daech endoctrinent son petit frère, resté en Belgique… Sujet brûlant, traité à 360 degrés par El Arbi et Fallah (Bad boys for life), qui s’intéressent à toute la chaîne alimentaire du terrorisme. Le film s’impose par sa mise en scène virtuose qui, sans démonstration de force ostensible, raconte comment le venin idéologique fait son chemin dans les têtes et les corps. Les ambitions hautement dramatiques de Rebel le rendent parfois un peu branlant mais le duo de réalisateurs parvient à mélanger horreur totale et grand spectacle, chaos guerrier et poésie chimiquement pure. Plans- séquence léchés au milieu des fusillades, exécutions d’otages répétées ad nauseam : la fiction n’aura jamais approché d’aussi près les méthodes de cet Hollywood de la terreur.

François Léger

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AVEC AMOUR ET ACHARNEMENT ★★★☆☆

De Claire Denis

Avec amour et acharnement prend aux tripes de sa première image paradisiaque – Sarah et Jean, un couple en vacances dans une passion amoureuse sans nuage – au temps des déchirements. Car avant de se connaître, Sarah et Jean ont vécu d’autres vies, d’autres amours. François, son précédent amant, a même présenté Jean à Sarah. Et c’est le jour où elle recroise ce même Jean que les certitudes sur son couple deviennent doutes. Pour leurs retrouvailles après Un beau soleil intérieur, Claire Denis et Christine Angot racontent avec une précision chirurgicale les cris du corps qui divergent avec les cris du cœur, la façon dont les feux mal éteints du passé viennent embraser le présent et condamner tout futur. Le tout dans un parfait équilibre entre cérébralité et traduction physique de ces tourments, porté par un trio majeur : Vincent Lindon, Juliette Binoche et Grégoire Colin.

Thierry Cheze

THE PRINCESS ★★★☆☆

De Ed Perkins

Comment raconter sans bégayer Lady Di, dont les moindres secrets semblent avoir été exposés au grand jour ? En trouvant de bons angles et en jouant avec son aspect iconique. Côté fiction, Pablo Larrain y est parvenu avec Spencer, conte de fées perverti centré sur quelques jours avant la fin de son couple avec Charles. Côté documentaire, Ed Perkins se montre tout aussi convaincant en prenant au pied de la lettre le surnom qui lui a été très tôt donné, celui de Princesse du peuple. Son film raconte en effet Diana à travers la manière dont les médias et par ricochet le grand public l’ont perçue, jugée puis adorée. Le tout avec un travail de recherche d’archives et de montage emballant qui lui permet de transcender son sujet et de raconter, par- delà la figure de Diana, la relation fascinante de rebondissements d’amour- haine qui lie la Cour britannique et ses sujets.

Thierry Cheze

SHABU ★★★☆☆

De Shamira Raphaela

Dans un quartier coloré du sud de Rotterdam, un été des années 2020, une famille, un ado et une mission, une seule. Shabu, quatorze ans, doit trouver 1200 euros pour réparer la voiture de sa grand-mère qu'il a subtilisée, puis endommagée. L'enjeu ? Se racheter une conscience et « retrouver la fierté » des siens. Le trublion grassouillet, aussi arrogant que touchant, lunettes de star sur le nez et sourire farceur, essaie d'abord de vendre des glaces maison, puis tue le temps avec son pote, un maigre chétif, flirte avec sa « petite femme », s'enfonce, presque fier. Jusqu'à être rattrapé par les remords et avoir soudain l'idée d'organiser une grande fête musicale au milieu des barres d'immeuble. Un portrait d'un gentil caïd de la banlieue hollandaise, débrouillard et débonnaire, peu à peu prêt à grandir. Prendre conscience de ses actes, demander pardon, choisir, agir. Serait-ce l'âge adulte ? Le tout, dans une mise en scène aérienne, pop. Magnifique.

Estelle Aubin

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PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME

LA PAGE BLANCHE ★★☆☆☆

De Murielle Magellan

C’est l’histoire d’un black- out. Quand Eloïse se réveille assise sur un banc parisien, elle ne se souvient ni de pourquoi elle s’y trouve, ni de qui elle est et se lance dans une enquête pour retrouver le fil de son identité. Pour son premier long (produit par Partners in crime, du groupe Hildegarde, éditeur de Première), Murielle Magellan adapte la BD de Pénélope Bagieu et Boulet, en restitue le charme mais bute sur le même écueil : une dernière ligne droite fade par rapport aux méandres ludiques qui y conduisent. Un regret que vient corriger la composition épatante de Sara Giraudeau.

Thierry Cheze

 

PREMIÈRE N'A PAS AIME

LES CINQ DIABLES ★☆☆☆☆

De Léa Mysius

Il est question de brûlures et de blessures, plus sûrement d’un drame qui se voudrait originel et expliquerait que les êtres, pris dans les filets d’un présent où nous les trouvons, aient l’allure de spectres. Au milieu des montagnes environnantes, il y a Joanne (Adèle Exarchopoulos) qui nage malgré le froid. Une façon comme un autre de rester en vie. Les premières minutes du nouveau film de Léa Mysius (Ava) intriguent. Les frontières entre les territoires sont floues, les liens entre les personnages aussi. Et puis, à mesure que le mystère s’évapore, notre attention aussi. Le voile devant nos yeux n’était qu’un écran de fumée. On nous dit, par exemple, que les odeurs ont d’étranges pouvoirs et permettent des voyages spatio-temporels. Belle idée. Encore faut-il parvenir à l’incarner pour qu’elle remonte jusqu’à nous.

Thomas Baurez

MY NAME IS GULPILIL ★☆☆☆☆

De Molly Reynolds

Le pari était ambitieux : retracer la vie (l’odyssée) d’un légendaire acteur australien, aborigène qui plus est, David Gulpilil (Walkabout). Le choix de la forme, des aller-retours entre le David d'aujourd’hui, au crépuscule de sa vie, et le David acteur, dans ses plus grands rôles, était lui aussi audacieux. Mais le résultat final manque de saveur, ne trouvant jamais le bon ton, ni le bon rythme. Trop décousu et trop redondant. À l’écran, on y voit David, la soixantaine consommée, lutter contre un cancer des poumons, passer entre les machines ronflantes de l’hôpital, regretter sa terre natale, rencontrer un vieux camarade. Bref couler une vie tranquille, quoiqu’un peu nostalgique et déclinante, dans un quartier cossu de Murray Bridge. Mais le film balaie trop vite plusieurs épisodes de sa vie (moins reluisants), son alcoolisme notamment, ses déboires avec la justice, les violences contre sa femme. Et l’on finit par avoir l’impression que David radote. Ou pire encore, s’enorgueillit. 

Estelle Aubin

MEMORY HOUSE ★☆☆☆☆

De Joao Paulo Miranda Maria

De très longs plans-séquences répétitifs, souvent agrémentés de zooms tout aussi lents, sur le drame d’un pauvre employé d’une usine de lait tenue par des Allemands dans le Nordeste brésilien… Dès son entame, impossible de ne pas penser en permanence, devant ce premier long-métrage, aux premiers films de Carlos Reygadas (un cunnilingus nocturne et fantasque pratiqué par le héros rappellera de bons souvenirs aux fans hardcore des galipettes arty et conscientes politiquement de Bataille dans le ciel) ? Bon, c’est histoire de trouver une référence, parce que cette métaphore très appuyée du colonialisme brésilien a beau produire quelques belles visions nocturnes (les yeux d’une prostituée qui brille dans la nuit comme ceux d’un chat), le film utilise en fin de compte une symbolique ultra lourde et des moyens de cinéma trop « art et essai » pour provoquer autre chose qu’un ennui poli.

Sylvestre Picard

 

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