Dans son deuxième long-métrage, Rachel Lang imagine Louis Garrel en officier de Légion étrangère. Rencontre.
Au Festival de Cannes où le film était présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en juillet dernier, une brise venue du large soufflait sur la terrasse du palace où l’équipe de Mon Légionnaire s’était installée pour l’incontournable marathon promotionnel. En détournant un peu le regard pour n’embrasser que la grande bleue, on pouvait faire un raccord avec les décors du film. L’action se passe alternativement en Corse près de Calvi où est basée la Légion étrangère et le désert malien où les militaires sont engagés dans l’opération Barkhane. L’arrière et le front. Les femmes et les hommes. L’intime et le groupe. Le deuxième long-métrage de Rachel Lang après Baden Baden (2016) raconte ce va-et-vient constant entre ces mondes. On suit principalement le parcours de Maxime (Louis Garrel), un officier de la Légion très impliqué, et sa femme, Céline (Camille Cottin), une avocate qui a dû sacrifier en partie, sa vie professionnelle pour suivre son mari. Le couple installé dans un appartement de fonction partage le quotidien d’autres hommes et femmes, dont la vie est également rythmée par cette vie militaire singulière. La réalisatrice française interroge avec acuité la solidité du couple à l’épreuve d’une vie militaire marquée par les absences, le manque et la violence du terrain. On laisse l’immensité de la mer méditerranée peuplée de yachts rutilants en ces temps d’agapes croisette pour fixer enfin le regard de Rachel Lang.
Quand et comment est né ce projet ?
Le point de départ remonte à 2004 quand je me suis engagée dans l’armée comme réserviste. Je faisais alors des études de philosophie et parallèlement, je réalisais des petits films. Pour l’un d’entre eux, je devais me rendre au Brésil. Or il me manquait plusieurs centaines d’euros pour boucler mon budget. Un ami me lance alors comme une boutade : « Si tu t’engages dans l’armée, tu vas toucher 700 euros ! » Naïvement, j’envisageais ça comme un job d’été. Je n’avais pas conscience que c’était un engagement sur deux ans. Bref, j’ai d’abord fait deux semaines de classes, rythmées par des manœuvres, des simulations, il fallait montrer une cohésion très forte. L’expérience a été tellement intense que je me suis demandée comment faisaient les soldats une fois de retour à la vie civile au sein de leurs familles... Comment des « frères d’arme » peuvent se réadapter ? Est-ce que la vie à l’extérieure de l’armée sera à la hauteur de celle qu’ils ont vécu à l’armée ?
Qu’est-ce qui était particulièrement « intense » ?
L’armée vous oblige à sortir de votre milieu, quel qu’il soit. J’ai ainsi fait la connaissance de jeunes de mon âge qui ne savaient ni lire ni écrire, d’autres étaient fans d’armes blanches par exemple... Je ne les aurais jamais rencontrés en dehors de l’armée. Un monde s’est ouvert à moi... J’ai développé des relations inédites... Durant deux semaines, il fallait faire bloc, prendre soin de l’autre...
La Légion étrangère est univers encore à part, uniquement réservé aux hommes ?
Derrière ce nom, il y a un mythe, des fantasmes, un monde... La Légion c’est plus de 150 nationalités différentes, des parcours de vie très différents... Grâce à un ami commun, j’ai pu rencontrer un légionnaire qui m’a ensuite présenté sa femme... Si le film questionne la façon dont les soldats parviennent à se réadapter ou non, une fois rentrés à la maison, à l’inverse, je m’interroge aussi sur la place de ces femmes restées à l’arrière. Elles aussi sont en attente de quelque chose. Leur homme sera-t-il à la hauteur ?
Louis Garrel dans le rôle de cet officier, propose un jeu inédit, tout en tension...
Ce rôle impliquait un travail physique en amont et une formation avec des vrais militaires. Est-ce que Louis allait accepter de s’investir autant ? C’était tout l’enjeu. Nous avons d’abord fait une lecture du scénario ensemble. Le résultat était brillant. Louis s’est engagé à 200%... Il est devenu un vrai militaire. J’aimais ce côté transfuge. Un corps « étranger » qui intègre un groupe, une institution.
Et Camille Cottin ?
Une fois que Louis s’est engagé, il fallait lui adjoindre quelqu’un de charismatique, capable de lui renvoyer une même force. Camille s’est vite imposée. Cet équilibre qui pouvait aussi se retrouver dans l’humour, devait permettre de faire tenir ce couple debout : d’un côté Maxime, un officier responsable du bien-être de ces hommes sur le terrain, de l’autre, Céline, une avocate qui a sacrifié sa carrière pour lui.
Ce couple incarne de fait, une certaine solidité... Il a une responsabilité vis-à-vis des plus fragiles ?
Un infirmier de la Légion m’a dit un jour : « Personne ne revient indemne d’un théâtre d’opérations, un soldat y laisse forcément un bout de son âme. » Cette phrase ne m’a jamais quitté. Les hommes, au-delà des blessures physiques, reviennent très impactés... Le personnage de Vlad, par exemple, a du mal à partager ses traumatismes. Or cette incapacité à se décharger entraîne un traumatisme... Son couple s’en retrouve fragilisé...
Ce qui frappe dans Mon Légionnaire est aussi votre gestion des territoires que vous filmez, au point que la sphère privée et le théâtre des opérations finissent par se confondre...
... Le désert malien où combattent les soldats et les montagnes corses où sont logés les familles partagent, en effet, une même dureté. C’était voulu. Les hommes qui reviennent de la guerre ramènent avec eux une humeur grave, une pesanteur. Je tenais à ce que cela se ressente dans les décors. Ainsi, le cadre d’abord très coloré de la Corse devient de plus en plus rocailleux, terne et renvoie directement au caractère du désert malien. La difficulté quand vous tournez dans le désert, c’est que rien n’excite l’œil, il n’y pas de joie sensorielle, tout a un peu la même couleur. Ce côté monochrome devait contaminer tout le reste pour créer la porosité des frontières, terrestres et bien-sûr mentales.
C’est d’ailleurs la question centrale de votre film : « Comment un couple survit-il à une telle situation ? »
La guerre oblige les hommes à combattre un ennemi le plus souvent invisible. Ils ne peuvent pas répliquer face à cette menace permanente. Pour les femmes, logées en Corse par la Légion étrangère, elles doivent s’adapter à une culture et un environnement qu’elles ne connaissent pas pour la plupart. Beaucoup d’entre elles viennent de l’étranger et ne connaissent donc rien de la culture française. Cette adaptation est aussi très difficile. Dans les deux cas, il y a une forme de combat à mener. L’hostilité se retrouve à tous les niveaux.
Mon Légionnaire de : Rachel Lang. Avec : Louis Garrel, Camille Cottin... Bac Films. Sortie le 6 octobre.
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