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Depuis septembre 2012, le film Tomboy est inscrit au programme Ecole et cinéma, conçu en accord avec le Centre national de la cinématographie, et fait partie d'une liste de films destinés à être projetés aux élèves d'école primaire, de la grande section de maternelle au CM2 (entre 6 et 10 ans). Il y a La Ruée vers l'or de Chaplin, Princess Bride de Rob Reiner, Le Signe de Zorro avec Tyrone Power, Ponyo sur la falaise de Miyazaki… Et Tomboy, le dernier film de Céline Sciamma (réalisatrice de Naissance des pieuvres en 2007).

Sorti en avril 2011, Tomboy raconte l'histoire de Laure (jouée par Zoé Héran), une fille de dix ans garçon manqué (tomboy en anglais) qui vient d'emménager dans une nouvelle ville. Elle fait croire à ses nouveaux amis qu'elle est un garçon qui s'appelle Michaël. Tomboy a également reçu le Teddy Award au Festival de Berlin en février 2011, qui récompense un film qui "traite de thèmes homosexuels, et contribue à plus de tolérance, d'acceptation et de solidarité dans la société".

Mais Tomboy semble poser depuis peu de sérieux problèmes à certains parents. Des protestations curieuses puisque le film est projeté à des enfants depuis septembre 2012 et qu'il n'y a pas eu jusqu'ici de réaction suffisamment importante pour être médiatisée. Depuis cet automne des lettres de protestations de parents inquiets ont été publiées dans différents quotidiens, avant qu'une pétition destinée au Ministre de l'Education nationale ne soit lancée en novembre par le site CitizenGO sous le titre "Non à la diffusion du film Tomboy dans les écoles !". Son crime : il nous "plonge dans le monde de l'homosexualité" en montrant Laure/Michaël en train d'embrasser une fille. A leurs yeux, Tomboy participe au "prosélytisme en faveur de la théorie du genre". De plus, la pétition souligne que l'héroïne choisit le surnom de Michaël en référence à Michael Jackson, "le chanteur pop androgyne", ce qui semble être assez grave aux yeux des auteurs de cette pétition, qui, à l'heure où nous écrivons, a récolté 20 089 signatures.

Alors, le film Tomboy est-il un affreux agent de propagande de la "théorie du genre" ? Déjà, "théorie du genre" est un terme dépréciatif -on parle d'études de genre entre spécialistes- utilisé généralement par ceux qui dénoncent aussi bien les chercheurs qui démontrent que le sexe d'une personne est d'abord une construction plus sociale que biologique, que ceux en faveur de l'égalité des droits pour les homosexuels. L'épouvantail de la "théorie du genre" a déjà été utilisé par les manifestants contre l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, qui reprochaient déjà en mai dernier au ministre Vincent Peillon de vouloir enseigner la "théorie du genre" aux élèves et de l'inclure dans la loi de refondation de l'Education nationale. Celle-ci se contentait pourtant de rappeler qu'il fallait lutter contre toutes les discriminations, et de promouvoir "l'égalité entre filles et garçons"

CitizenGO se définit comme une "fondation espagnole" qui défend "une conception chrétienne de la personne et de l'ordre social", et définit le mariage comme "l'union d'un homme et d'une femme".  CitizenGO, qui relaie également des pétitions contre l'euthanasie et l'avortement semble plutôt proche de l'idéologie conservatrice  prônée par la Manif pour tous.

En montrant une fille se comporter comme un garçon, Tomboy est pourtant un film subtil subtil, "feutré, solaire et juste", comme l'écrivait la critique de Première à sa sortie. "Tomboy rappelle une évidence : on ne choisit pas son sexe à la naissance, on en hérite, tout comme son prénom", peut-on lire dans le cahier de notes autour du film destiné aux enseignants et proposant des pistes d'études et de réflexions. "À partir de là, chacun se construit son identité entre sexualité biologique et sexualité psychique, avec les variantes selon les apparences (vêtements, coupe de cheveux) et le comportement (manières, attitude), distribué selon les codes et les convenances de cette répartition. Là aussi, entre le sexe organique ou génétique et la distribution des rôles entre masculin et féminin, il y a une latitude, une marge de jeu, modulée par l’éducation, l’environnement, les modèles qui vous inspirent et qu’on désire imiter." Le cahier propose aussi d'étudier les mécanismes cinématographiques du suspense (le secret de Laure sera-t-il découvert ?), du jeu (le film se passe pendant les vacances et montre des enfants qui s'amusent) et des couleurs. Mais ça, CitizenGO n'en parle pas.