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De Django Unchained à 12 Years a Slave : la révolution black

Lincoln

Quelques semaines après la sortie de Django Unchained, un autre cinéaste s?empare du sujet de l?esclavage. Pourtant le troisième film de Spielberg sur le « problème noir » (après La Couleur Pourpre et Amistad) est paradoxalement un film sans black. Si Spielberg prétend parler de l?abolitionnisme, ce n?est pas le véritable sujet de Lincoln? grand film sur la démocratie. Mieux : sur le prix à payer pour la démocratie et sur les coulisses d'une décision, sur le courage politique. Ce n'est pas un hasard si <em>Lincoln</em> se passe entièrement « en cuisine » : évitant le champ de bataille, la caméra investit les tribunaux, les officines, les couloirs hantés par un président déambulant et racontant des anecdotes. Contrairement aux autres films de cette « année black », <em>Lincoln</em> n?a au fond rien de militant. Théorique, conceptuel et libéral (au sens américain du terme), sérieux, presque trop compliqué à suivre dans ses dédales institutionnels, le nouveau Spielberg porte donc moins sur les Noirs que sur la grandeur humaine qui a motivé l?abolition. Mais, la coïncidence qui veut que Spielberg et Tarantino sortent en même temps un film qui tourne autour de cette question ressemble quand même à un symptôme prononcé de l?Amérique contemporaine.Et là où QT en faisait un barnum pop explosif, Spielberg livre un film classique, didactique, avec des scènes sublimes et symboliques ? comme ce moment où le républicain Thaddeus Stevens donne à sa compagne noire le 13e amendement. Elle le lit alors à voix haute, dans l'intimité de leur chambre. Comme on lit une lettre d'amour.Malgré son sérieux et sa précision, ça ne devait pas plaire à tout le monde? Et comme nous l?expliquait Lee Daniels, « Qu?un cinéaste qui s?empare de l?esclavage soit blanc ou noir, ca fait forcément une différence ! L?ADN de l?expérience afro-américaine ne peut être exprimée que par un Black. Spielberg et Tarantino n?ont pas vécu ma vie de Noir. Jamais je ne prétendrai faire La liste de Schindler parce que ce n?est pas mon expérience ; et je ne pourrai jamais parler des Italo-Américains comme Scorsese, parce que je ne connais pas cette culture de l?intérieur. Les recherches que je pourrais faire n?y changeraient rien : c?est mon expérience que je porte à l?écran ».

Django Unchained

Janvier 2013 s?ouvre sur un gros coup de fouet. Après l?Holocauste dans <strong>Inglourious Basterds</strong>, Tarantino règle son compte à l?esclavage dans Django Unchained. Finis les gangsters cool et philosophes de Reservoir Dogs, <em>Pulp Fiction</em> ou Jackie Brown. Dans <em>Django Unchained</em>, QT préfère refaire l?histoire, la grande et la petite, avec une seule arme : sa foi suprême dans le cinéma. Tout le cinéma. Pour représenter la chute du IIIe Reich, il avait inventé des soldats américains juifs, exterminant à coups de battes de base-ball Hitler et sa clique de SS. Avec <em>Django</em>, même process : il invente un esclave (Jamie Foxx) affranchi par un dentiste allemand dépositaire de la culture classique européenne (Christoph Waltz) qui lui donne un sérieux coup de main pour récupérer sa jeune et jolie femme. Formidablement rythmé, jalonné d?idées hilarantes (la scène des Blancs racistes qui se disputent à propos du port ou non de la cagoule) ou irrévérencieuses (le rôle de Samuel Jackson caricature d?Oncle Tom) et bourré ras la gueule de références et d?hommages au western,<em> Django</em> démontre la puissance de QT. Son talent à puiser dans sa malle à souvenirs pour en tirer un film moderne qui appuie là où ça fait mal.<em>Django</em> est pour le cinéaste une manière de revenir aux origines de son cinéma. L?affranchissement de Django, c?est de manière fantasmatique l?origine de Shaft, de <em>Pulp Fiction</em> et même de <em>Jackie Brown</em>. L?histoire des Blacks américains travaille le cinéma de Tarantino mais pour le cinéaste le film est aussi une manière de traiter un sujet qui ne passe pas? Résultat : aux US, de nombreux critiques et cinéastes (Spike Lee en tête) lui dénient le droit de parler de l?esclavage sur le mode pop et irrévérencieux et même d?utiliser le « N? word ».Un coup de fouet on vous dit.

De Django Unchained à 12 Years a Slave : la révolution black

De Janvier 2013 à Janvier 2014, une année et une révolution. Celle qui a vu la question black prise en main par un cinéaste blanc, pop et déjanté (Tarantino qui réécrivait l?histoire dans Django Unchained) avant d?être finalement réinvestie par un artiste noir, engagé et formaliste sulpicien (Steve McQueen qui adapte fidèlement le récit édifiant de Solomon Northup dans 12 Years a Slave). En cinq films, la question noire se sera invitée durant toute l?année comme un symptôme de l?Amérique contemporaine et une des obsessions principales du Hollywood 2013. Flashb(l)ack.Edouard Sonderborg

Le Majordome

Rupture de ton?Cecil Gaines, jeune Noir du sud des Etats-Unis va devenir le majordome de la Maison Blanche et servir pendant plus de 30 ans les présidents des Etats-Unis. Un employé modèle qui n?a qu?un problème : son fils, qui s?embarque progressivement dans la lutte radicale pour l?émancipation des Noirs. Pendant que le père fait le serviteur, le fils se révolte...Lee Daniels, cinéaste trash et provoc nous épargne ici son sens de la vulgarité et ses coup de boule tabloïds pour composer une fresque vintage, un conte social qui brosse les années de lutte pour les droits civiques d?une manière imposante. Reconstitution historique avec stars dans tous les plans (et dans tous les costumes de présidents, de Robin Williams à Alan Rickman) ; une animatrice de talk show dans le rôle principal ; un film qui a fait pleurer Obama et remportait un succès inouï aux States? Le cinéaste capable des pires excès s?aventurait sur le terrain piégeux de la fresque HBO pour s?emparer de la question noire. Mais le résultat est impressionnant, émouvant, souvent miraculeux - comme dans cette scène de montage où le père sert à dîner à la Maison Blanche pendant que le fils participe au sit-in de Woolworth. Forcément, les critiques ont pointé son académisme mais l?idée géniale de Lee Daniels est d?avoir investi le film de studio pour le subvertir. Transformer la fresque historique en cheval de Troie : précisément le sujet du film. Ne se contentant pas d?un biopic factuel, ce qu?il montre c?est comment les Noirs ont été déchirés, torturés ? obligés de montrer leur soumission aux Blancs dans l?univers public et en privé se laver comme on peut de cette hypocrisie sociale.Daniels prend un malin plaisir à respecter tous les codes de l?épopée historique bien calibrée pour mieux faire passer son message. Avec une violence parfois hallucinante, un regard énervé, frontal et sans concession, comme s?il voulait reprendre l?histoire des Blacks pour la laver de la vision blanche ; pour se la réapproprier. On est loin du Django pop et cool de Tarantino ; loin du Lincoln théorique de Spielberg. Daniels joue les codes de l?entertainment, du drame historique, pour imposer finalement une vision plus « noire » de l?histoire américaine. Plus énervée. Plus juste ?

12 Years A Slave

Le meilleur pour la fin ? Le plus brutal, le plus viscéral, le plus fou en tout cas. Les cinéphiles connaissent Steve McQueen depuis l?inouï Hunger, mais ce cinéaste surdoué passe aujourd?hui à la vitesse supérieure en s?emparant du récit autobiographique de Solomon Northup, un Noir libre, intégré qui, après avoir été kidnappé, va vivre une odyssée de souffrance, connaître le fouet, les champs de coton par 45° et les humiliations à répétition. Sans équivoque, il signe ici le plus grand (au sens de « douloureux », « beau », « poignant ») film sur l?esclavage jamais réalisé. <em>12 Years a Slave</em> nous emmène dans une plantation qui rappelle Tara (la propriété d?Autant en emporte le vent), la sentimentalité et le kitsch en moins. Parfait antidote à l?extravagance et à la folie de Tarantino, <em>12 years</em> est en fait conçu - comme ses deux précédents films - comme l?histoire d?une désintégration physique et mentale, une étude du sentiment de culpabilité des victimes, la manière paradoxale dont Northup, étranglé par son instinct de survie, va tenter de plaire à ses maîtres, oublier sa liberté, taire ses différents savoirs (lire, écrire, jouer de la musique) pour rester en vie. Edifiant, d?une beauté à couper le souffle, parfois insoutenable (une scène de pendaison s?avère extrêmement difficile à regarder), le film de Steve McQueen ne nous épargne rien de l?horreur de l?esclavagisme physique ET psychique et le cinéaste conduit son récit vers des climax de sauvagerie et de barbarie qui ne donnent qu?un tout petit aperçu de la complexité du sujet? Le vrai (très) grand film sur l?esclavage débarque dans les salles fin janvier et on en reparlera très vite.

Fruitvale Station

Fruitvale aura marqué toute l?année 2013? Buzzé à Sundance en janvier, le film est sorti en plein été aux US et arrive en France dans quelques jours. <em>Fruitvale station</em> s?inspire d?un fait divers qui a eu lieu dans la nuit du 1er janvier 2009, alors que des fêtards rentraient chez eux par le train de banlieue après avoir assisté aux feux d?artifice à San Francisco. A la station Fruitvale, à Oakland, une bagarre a éclaté, la police est intervenue, et dans la confusion, un flic a tué un des interpellés en lui tirant dans le dos. Le flic dit avoir confondu son taser avec son vrai pistolet.Pour son premier long-métrage, Ryan Coogler a donc choisi d?évoquer cette histoire en racontant la dernière journée de la victime, Oscar Grant, un jeune chômeur de 22 ans. Oscar est un bon père, un bon fils, un bon mari. Il n?a que des bonnes résolutions, à la veille du nouvel an. Il est tellement sympathique qu?on ne peut que ressentir de la colère lorsqu?il est victime de brutalités policières. Ryan Coogler s?y entend pour toucher le spectateur avec des scènes bien senties. Personne ne reste insensible aux liens qui unissent Oscar et sa mère, surtout que les interprètes sont tous excellents, notamment Michael B. Jordan dans le rôle principal (on l?avait repéré dans Sur écoute). Passionnant dans son sujet, le film témoigne surtout d?un renouveau d?une scène black. Dans la lignée de Spike Lee, une myriade de cinéastes blacks, jeunes et indépendants, s?empare actuellement de sujets sociaux brûlants pour les porter au cinéma, dont Coogler n?est qu?un des représentants?Mais si on a autant parlé de <em>Fruitvale Station</em>, c?est aussi à cause du triste hasard qui a entouré sa sortie américaine. Aux US, une affaire étonnamment similaire à celle racontée par Coogler, trouvait son dénouement le week end même de la sortie du film. George Zimmerman, vigile d'une milice de quartier, était acquitté du meurtre de Trayvon Martin, un lycéen noir de 17 ans abattu le 23 mars 2012 dans le lotissement où vivait son père. S'il n'avait pas nié les faits, l'accusé a plaidé non coupable et le jury tranchait pour la légitime défense, au terme de trois semaines d'un procès retransmis à la télé. Coogler et son film remettaient sur le devant de la scène un des vieux démons de l'Amérique : la question raciale.

De Janvier 2013 à Janvier 2014, une année et une révolution. Celle qui a vu la question black prise en main par un cinéaste blanc, pop et déjanté (Tarantino qui réécrivait l’histoire dans Django Unchained) avant d’être finalement réinvestie par un artiste noir, engagé et formaliste sulpicien (Steve McQueen qui adapte fidèlement le récit édifiant de Solomon Northup dans 12 Years a Slave). En cinq films, la question noire se sera invitée durant toute l’année comme un symptôme de l’Amérique contemporaine et une des obsessions principales du Hollywood 2013. Flashb(l)ack.Edouard Sonderborg