Non, une suite de Gladiator n’est pas une hérésie. Ça risque même de donner un bon film.
Gladiator 2 : Ridley Scott vient de le promettre. Après Kitbag, son film sur Napoléon et Joséphine, le réalisateur repartira pour Rome et tournera une suite à Gladiator. Sir Ridley a l’air très optimiste, et le public… euh, nettement moins, si l’on se fie aux réactions sur les réseaux sociaux. D’accord, ce n’est jamais l’endroit pour une discussion calme et argumentée, mais on lit des choses spontanées comme "Idée complètement débile", "va te faire foutre Ridley" (sic), des gifs de Michael Scott qui crie "No ! God ! Please ! No !"… Bref, en résumé, ce n’est pas très bien accueilli, non. Du calme : non seulement ce n’est pas une hérésie ou un blasphème, mais c’est plutôt une bonne idée. Déjà, Ridley Scott le prouve avec son fabuleux Le Dernier duel : il est, à bientôt 84 ans, en pleine possession de ses moyens. Il tourne vite des films ambitieux à gros budget, dirigeant ses fidèles collaborateurs comme Napoléon commandait à ses maréchaux. Le chef op Dariusz Wolski, la costumière Janty Yates, le chef décorateur Arthur Max capable de faire pousser la Jérusalem des Croisades ou l’Egypte antique orientaliste dans les studios de Pinewood… Scott, grand cinéaste classique, envisage chacun de ses films comme des batailles à livrer suivant son art de la guerre bien réglé et ordonné, en mettant le maximum de moyens et d’énergie afin de livrer le meilleur résultat possible. Après Le Dernier duel, Scott a enchaîné avec House of Gucci, emballé à la vitesse de l’éclair, et les deux films sortent à un mois d’écart.
"J'ai lancé l'écriture de Gladiator 2" : Ridley Scott tournera la suite après son film sur NapoléonEnsuite, ce futur Gladiator 2 ne sera pas une suite directe répétant la recette du premier film. Certes, on ne sait presque rien sur le script du film, qui pourrait être signé Peter Craig (The Town, Hunger Games : La Révolte, Top Gun : Maverick et The Batman de Matt Reeves), sinon qu’il devrait suivre Lucius, le fils de Lucilla (Connie Nielsen), devenu adulte. On devrait échapper à un prequel. Même si l’Histoire romaine est aussi maltraitée dans Gladiator 2 que dans Gladiator, elle ne s’arrête pas après Commode, et regorge de trucs potentiellement surexcitants à l’écran : des complots, des usurpations, des trahisons, des massacres et des batailles, de quoi remplir bien des scénarios. Après Commode, c’est le bordel et quatre empereurs s’affrontent pour prendre la tête de l’Empire (désolé Maximus, pas de nouvelle République). Le vainqueur, Septime Sévère, prend le pouvoir à l’aide d’une légion et régnera 17 ans, son successeur Caracalla -qui règne à la période potentielle de Gladiator 2- fut un tyran belliqueux ordonnant de massacrer la population d’Alexandrie avant de mourir assassiné… Imaginez un peu, le Nil devenu rouge par le sang versé par les innocents massacrés (vision cousine et perverse des fléaux d'Egypte d'Exodus) ? Voilà de la matière à scénario, et matière à faire un péplum radical, violent et spectaculaire. Dans la lignée du Dernier duel.
Pas la peine de croire que Gladiator 2 pourra ressembler à Prometheus ou Alien : Covenant. Non, Scott n’a pas besoin de refaire à l’identique Gladiator. D’accord, s’il n’y avait pas eu Gladiator, évidemment que la carrière de Ridley Scott aurait pris une toute autre direction, mais le film est arrivé à un moment charnière pour le réalisateur qui avait enchaîné les échecs de Lame de fond, G.I. Jane et son projet de Je suis une légende avec Schwarzenegger. Dans son recueil de nouvelles Roma Aeterna, l’auteur de science-fiction Robert Silverberg imagine une Terre où l’Empire romain ne s’effondre pas et perdure jusqu’à nos jours. Le point de départ de son uchronie : la mort de Jésus, exécuté prématurément par les Romains, empêchant la naissance du christianisme, et, de fil en aiguille, préservant l’Empire de la chute.
Justement : est-ce que lorsque l’on parle d’une suite de Gladiator, on n’aurait pas tendance à imaginer un nanar en DTV façon Le Roi Scorpion 2 ? penser qu’elle utilisera le script rejeté de Nick Cave, où Maximus au Royaume des morts est chargé par les dieux antiques et mourant de remonter le temps et tuer Jésus pour empêcher l’avènement du christianisme ? Christ Killer (sic) a été très vite mis au panier. Aucune chance que le nouveau Gladiator fasse revenir Maximus en version Kratos de God of War, doté du look actuel de Russell Crowe, plus proche d’un papa Noël Kiwi que de Maximus Decimus Meridius, "commandant en chef des armées du nord, général des légions Félix, fidèle serviteur du vrai empereur Marc Aurèle, père d'un fils assassiné, époux d'une femme assassinée…" Le premier Gladiator est là, intouchable et figé dans la légende -la version longue étant, de l’aveu même de Scott, un moins bon film, conçu exprès pour vendre de nouveaux DVD (dans une scène supplémentaire, Maximus y croise un prêcheur chrétien, d’ailleurs. Tirez-en les conclusions que vous voulez).
Christ Killer : Le scénario délirant (et refusé) de Gladiator 2 écrit par Nick CaveLe Ridley de Gladiator 2 ne sera pas le même que lorsqu’on lui donnait l’Oscar du Meilleur film il y a vingt ans. Qu’est-ce qui l’empêche de nouveau de revisiter le péplum romain ? D’autant que l’heure n’est plus pour lui à l’héroïsme pompier, aux longues tirades martiales légionnaires signées John Logan. Plus d’idéalisme guerrier. Après Gladiator, Scott a cherché à doter ses héros de guerre et d’épée d’un évident radicalisme politique : Balian dans Kingdom of Heaven, Robin l’imposteur dans Robin des bois, Moïse dans Exodus : Gods and Kings. "La nature du héros se trouve au cœur de toute culture", comme l’affirme le diamantaire juif (Bruno Ganz) dans une scène démente de Cartel (director’s cut), et le héros est souvent chez Scott un tueur brutal se battant dans une société qui l’engendre, l’accepte et le nourrit. Non, décidément, la perspective de voir le Ridley Scott des années 2020 commander de nouveau son armée de cinéma dans l’Empire romain est une vision des plus excitantes : dans cette vie, ou dans l’autre.
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