Bilan quotidien de la 16ème édition du festival du film francophone d’Angoulême
Le film du jour : La Fiancée du poète de Yolande Moreau
Un film comme une parenthèse enchantée dans un monde de chaos. Un film toujours sur le fil, à la poésie infinie. Un film comme une déclaration d’amour à celles et ceux qui préfèrent les chemins de traverse aux grands axes. Dix ans après Henri, Yolande Moreau (César du premier long en 2004 pour Quand la mer monte…, co- mis en scène par Gilles Porte) s’essaie pour la deuxième fois à la réalisation en solo. Et elle en tient le rôle central : une femme amoureuse de peinture et de poésie qui, tout en travaillant comme serveuse à la cafétéria des Beaux- Arts de Charleville, vit surtout de petits larcins et trafics. Une source de revenus qui ne suffit plus quand elle hérite de la grande maison familiale des bords de Meuse (qu'elle avait quitté à 20 ans) et doit l’entretenir. Ce qui explique qu’elle décide de prendre trois locataires (un étudiant, un Turc qui se fait passer... pour un Américain et un habitant du village adepte du travestissement), bientôt rejoints par un quatrième homme, son amour de jeunesse qu’elle n’a plus depuis des années, faux poète mais vrai escroc. La Fiancée du poète raconte ce drôle d’attelage avec une empathie et une finesse infinies. Nulle place ici pour les clichés ou le pittoresque facile. Par son écriture (en tandem avec Frédérique Moreau qui a co- signé les scénarios des derniers Xavier Beauvois), Yolande Moreau va au plus profond de ses personnages, met à jour leurs contradictions, les limites de cette vie en dehors des clous où l’utopie vient régulièrement se fracasser sur la réalité. Mais il y a un ton, une manière singulière de raconter ce petit coin de province qui ne ressemblent qu’à elle. Une poésie qu’on ressent autant dans les silences que dans les mots. Et une bande de comédiens irrésistibles, de Sergi Lopez à Gregory Gadebois en passant par Esteban… et les débuts au cinéma de William Sheller en prêtre là encore pas comme les autres qui, à ses heures perdues, joue du ABBA sur l’orgue de son Eglise ! Une sacrée équipe.
En salles le 11 octobre
L’actrice du jour : Laetitia Casta dans Le bonheur est pour demain
En 2024, Laetitia Casta (présidente du jury de cette édition 2023 du festival d’Angoulême) fêtera les 25 ans de sa première apparition sur un plateau de cinéma : l’Astérix de Claude Zidi où elle campait Falbala. Un quart de siècle pour une montée en puissance aussi discrète qu’irrésistible qui en fait aujourd’hui – quiconque a eu la chance de l’admirer sur scène dans Scènes de la vie conjugale en 2018 et surtout, récemment, dans Clara Haskil peut en témoigner – une des comédiennes françaises les plus passionnantes. La voici ici héroïne du troisième long métrage de Brigitte Sy : Sophie, la femme d’un petit voyou dont le quotidien morne va soudain s’éclairer grâce à un coup de foudre. Sauf que le nouvel élu de son cœur (incarné par Damien Bonnard) n’a rien d’un prince charmant. C’est un braqueur qui, dans la foulée va être condamné à une lourde peine de prison. Brigitte Sy connaît bien l’univers carcéral. Elle l’avait déjà mis en scène dans son premier long, Les Mains libres, inspiré par sa propre vie : elle s’est mariée avec un détenu qu’elle a rencontré en animant des ateliers de théâtre en cellule, une histoire que son fils Louis Garrel a mis au cœur de L’Innocent à travers le personnage d’Anouk Grinberg. La maîtrise du sujet offre un écrin parfait à cette histoire d’amour passionnelle. Mais Laetitia Casta, par sa crédibilité immédiate dans la peau de ce personnage, par sa capacité à jouer les femmes amoureuses à qui aucun obstacle ne fait peur sans que jamais on voit les coutures de son interprétation, emmène le film encore plus loin. Son naturel désarmant permet de vivre cette histoire au dénouement incertain au rythme des battements de son cœur et de faire vivre le suspense jusqu’au bout
En salles le 17 janvier
Le réalisateur du jour : Nathan Ambrosioni avec Toni en famille
C’est en 2019 qu’on a vu Nathan Ambrosioni débouler dans le paysage cinématographique. A seulement 19 ans, il signait avec Les Drapeaux de papier, un premier long métrage (dont il était aussi le scénariste et le monteur) d’une maîtrise et d’une maturité saisissantes mettant en scène un trentenaire redébarquant non sans fracas dans la vie de sa petite sœur, après 12 ans d’absence passés derrière les barreaux d’une prison. Mais on le sait, pour un réalisateur, le deuxième long est souvent bien plus que le premier celui de tous les dangers. Et là encore Nathan Ambrosioni épate. Arpentant de nouveau le terrain de la famille, il met cette fois- ci en scène une quadra, jadis vedette de la chanson grâce à un single qui a cartonné il y a déjà plus de 20 ans, et sa progéniture, cinq ados remuants qui s’apprêtent à quitter peu à peu le nid du foyer. Et de ce pitch qu’on pourrait croire usé jusqu’à la corde, le cinéaste parvient à faire entendre sa petite musique à lui. Grâce à la qualité de son écriture où en 96 minutes, il parvient à faire exister tout à la fois les individus et le collectif, creusant les préoccupations de chacun de ses six personnages principaux, leurs envies d’émancipation sans jamais perdre de vue ce qui fait famille chez eux, l’ADN de cette tribu. Ce faisant, il n’enferme aucun d’entre eux dans le moindre archétype. Et par ricochet ce qui les meut – le passage à l’adulte avec ce que cela peut avoir d’excitant et d’angoissant pour les ados, le désir de renouer avec sa vie de femme pour Toni – ne paraît jamais artificiel et crée une empathie naturelle, facilitée par la qualité de sa direction d’acteurs. En la sortant de son emploi habituel – comme Christophe Honoré et Sarah Suco avaient déjà si bien su le faire dans Chambre 212 et Les Eblouis - Nathan Ambrosioni permet à Camille Cottin de montrer l’étendue de sa palette de jeu dans ce qui constitue sans doute son plus beau rôle sur grand écran à ce jour.
En salles le 6 septembre
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