A quelques minutes du palmares, retour sur la journée de vendredi avec la présentation de Si j'étais un homme et Alibi.com.
« L’Alpe d’Huez c’est le Cannes de la comédie. » Au Chamois d’or, entre deux verres de vin chaud (pour nous seulement qui sortons du bar - lui sort de sa chambre), Franck Gastambide n’en revient toujours pas d’être jury du festival. Il connaît pourtant bien les lieux pour avoir présenté des films en tant qu’acteur et surtout montré ici même, l’année dernière, son Pattaya. Du coup, quand en pleine interview, Franck nous dit que L’Alpe d’Huez c’est le Cannes du rire, on s’interroge. La comparaison semble excessive. Coincidence, Thierry Frémaux, le patron de Cannes, sera présent à la cérémonie de clôture pour présenter des extraits de film des frères Lumière (trop souvent ramenés à une fibre documentaire du cinéma et dont certains sont de vrais bijoux de comédie). Deuxième coincidence on lit en ce moment même Sélection Officielle de Thierry Frémaux (entre la tartiflette du soir au 37 et les vodka pommes au Chamois d’or) ; et là, on ne peut que constater que la machinerie hallucinante du FIF est à des années lumières du festival de l’Alpe d’Huez. Pas de marché du film, pas de sélection parallèle, pas de stars intouchables, présence bienveillante du public dans la salle… hmmm. Et on attend toujours le film roumain de 3h12 installé dans un deux-pièces cuisines ou le film sudaméricain avec brulage de testicule et visions mystiques... en salle Philippe de Broca ça serait marrant ceci dit.
Bon. Ca ne marche pas. Sauf à se dire que comme Cannes offre un panorama du cinéma mondial chaque année au mois de mai, L’Alpe d’Huez donne une idée de l’état de la comédie française à l’ombre du Pic Blanc. Par -15 contre 27 degrés au soleil. Et vu comme ça, la comparaison devient intéressante. Gastambide encore : « il y a une variété folle dans la sélection cette année ; on passe par tous les genres et surtout on n’a vu aucun film nul. Tous étaient drôles et disaient des choses vraiment intéressantes ». Un large spectre de la comédie française était effectivement représenté en compète cette année. Aucun vrai blockbuster (sauf l’ouverture avec le Dany Boon), mais en trois jours on a pu voir une fable sur la situation politique de l’Afrique (Bienvenue au Gondwana) ; une comédie d’action qui partait sur le toit du monde (L’Ascension) ; une romcom avec Alexandra Lamy en tête d’affiche (qui faisait plus que le job dans L'Embarras du choix) ; une comédie sociale un peu trash (Sous le même toit, du Joachim Lafosse rigolo) et rien qu'hier on Passait d'un gros délire à la Farrelly (avec une Nathalie Baye en surchauffe) à un film concept à la Blake Edwards. Si ça c’est pas de la variété et de la richesse…
Le Blake Edwards, c’est Si j’étais un homme d’Audrey Dana. Après Souchon (et Sous les jupes des filles), la réalisatrice pique un vers de Diane Tell pour le titre de son deuxième film. Si j’étais un homme (je serais capitaine etc…) c’est d’abord un pitch : un matin, après une nuit d’orage violent, Jeanne, mère célibataire, se réveille avec une bite entre les jambes. Progressivement elle va apprivoiser cet outil, découvrir ce que c’est que de vivre avec un cet étrange appendice. Au début la cohabitation semble difficile (comment pisser debout ? Comment marcher ou faire du vélib sans se la coincer ?) Mais Jeanne va petit à petit jouer avec, se transformer en « mec » et mettre à l’épreuve tous les clichés sur lesquels reposent l’opposition homme/femme. Comédie gender ? Satire à la Marivaux où l’on va de déguisements en quiproquos ? Délire social ? C’est un peu tout ça. L’inversion des sexes, l’ambiguité et le mirage de l’identité sexuelle : vous aurez compris que la vraie grosse référence de la cinéaste c’est pourtant Blake Edwards, et les plus cinéphiles auront même reconnu le principe de Victor Victoria (clairement cité, tout comme Certains l’aiment chaud de Wilder). Mais Audrey Dana est mue par une autre énergie que Blake Edwards : plus introspectif, moins théorique aussi, et ce qui l’intéresse au fond c’est de répondre à la question que toutes les femmes se seraient un jour posée : qu’est-ce que ça fait d’en avoir une ? Parce que comme le disait la cinéaste en interview, cette bite c'est aussi un pont tissé entre les hommes et les femmes, car le film n'oppose pas mecs et filles, mais se veut réconciliatoire. Et sur ce plan-là, malgré quelques faiblesses (la partie "magique" pas suffisament claire peut-être), le film fonctionne vraiment. Et fait rire. A l’image de la scène du supermarché où l’héroïne et sa meilleure amie s’engueulent sur le fait de savoir ce qui définit vraiment un homme… Si ça marche, c’est que la magie du film réside aussi dans ses personnages secondaires qui accompagnent l’héroïne sur le chemin du retour (pas de la norme, attention). Christian Clavier en gynéco affable et stupéfait trouve l’un de ses meilleurs rôles depuis très longtemps. Il suffit de l’entendre prononcer des dialogues comme « Arrêtez de dire bite à tout bout de champ », accompagner Jeanne pour sa première masturbation ou le voir trouver le surnom du braquemart mystérieux (« pinpin ») pour se rappeler à quel point Clavier est un génie du tempo et de la diction comique. Mais l’arme fatale c’est Alice Belaidi, la confidente, la bonne copine. Extraordinaire d’énergie et de précision, elle déploie sa grâce et sa vivacité dans un rôle à la hauteur de ses multiples facettes. Sa grande scène sur le toit où elle découvre enfin « pinpin » et se lance dans un monologue (qui ressemble beaucoup à la tirade « du nez » de Cyrano) est stupéfiante. Emouvante, drôle, naturelle et sophistiquée en même temps… cette fille-là est une bombe.
Quelques heures après, on changeait donc de registre : on quittait Blake Edwards pour les Farrelly. Après les deux Babysitting, coréalisés avec Nicolas Benamou, Philippe Lacheau se lance en solo. Comme le Dana, c’est un film ultra « pitché » : Greg a fondé une société spécialisée dans tout type d’alibi pour personnes indélicates. Le jour où il s’amourache de Flo, qui déteste les menteurs, il se retrouve dans une impasse d’autant que le père volage de la jeune femme fait partie de ses clients… Lacheau sort une fois de plus l’artillerie lourde et ça marche : en tout cas le public a plusieurs fois applaudi pendant la projection - ce qui parait-il est un bon signe. Il faut dire qu’entre les cameos de Michèle Laroque, Kad Merad, Joey Starr (en rappeur gay honteux) et Hollande (si, si), les clins d’œil aux 80’s (références à Mad Max et à Retour vers le futur) et l’humour régressif typique de la bande à fifi (un chat bouffeur de testicules), il y avait de quoi rendre la salle hilare. De fait le film est quand même mieux construit, plus maîtrisé du point de vue cinéma et narratif, et les effets comiques se sont affinés. Et puis, il faut voir ce film pour Nathalie Baye qui s’en donne à cœur joie dans un rôle dingue. Vous ne pourrez pas oublier de sitôt la scène où elle se fait "prendre" sauvagement par Didier Bourdon face à la porte vitrée de la salle de bain alors que sa fille se noie d'embarras dans la baignoire... Elle donne vraiment de sa personne et entraîne le film à un haut niveau de délire.
Hier, il ne restait en compétition que Babyphone. Mais on savait déjà que le boulot du jury (et de Gastambide entre autres) serait compliqué.
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