Les inspirations d'Animale par sa réalisatrice Emma Benestan
The WB/Wild Bunch/Metropolitan FilmExport

La jeune cinéaste adore le cinéma et les séries de genre.

Sorti cette semaine au cinéma, Animale marque les retrouvailles entre Oulaya Amamra et Emma Benestan : cette dernière l'avait déjà dirigée dans son court Belle Gueule (2015) et son premier long, Fragile (2021). La réalisatrice franco-algérienne signe ici un film de genre au féminin, tout en mettant en avant la Camargue où elle a grandi. Rencontrée au festival de Sarlat, elle nous a détaillé toutes ses inspirations pour ce deuxième long métrage très réussi. Mais attention aux spoilers : dans Animale, elle joue avec les attentes des spectateurs, alors nous avons préféré classer toutes ces références de la moins précise à la plus détaillée.


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It Follows, de David Robert Mitchell (2014)

"C'est une grande référence pour le fait de suivre une héroïne dans son mental, et dans le fait que le monde autour d'elle bascule. C'est un film super fort, et la temporalité de certains plans, j'avais trouvé ça incroyable. C'est vraiment la violence sourde qui m'a inspirée pour développer l'histoire de Nejma."

Aux frontières de l'aube, de Kathryn Bigelow (1987)

"S'il y a un film de genre que j'adore, c'est celui-ci, principalement pour son mélange des genres : c'est un western, à la fois un peu à la Mad Max, mais en plus horrifique, avec de l'action comme dans les autres films de Bigelow, mais aussi des scènes assez tristes, et qui joue en même temps avec tous les codes des films de vampires. J'adore l'hybridité des genres, et ça marche vraiment bien dans cette oeuvre."

Le Minotaure

"Avant Animale, j'avais voulu appeler le film Amazone, pas vraiment en lien avec les héroïnes de la mythologie grecque, mais parce que Marie Ségrétier, la femme que je suivais dans le documentaire qui m'a inspiré cette fiction, sa jument s'appelait comme ça. Et que cet animal avait un rôle bien plus important dans le scénario d'origine. On a changé pour deux raisons : déjà parce que dans Rodéo (2002), le super film de Lola Quivoron, il y a aussi un cheval qui s'appelle comme ça, et surtout parce que ça renvoyait à un autre mythe que celui du minotaure, ça risquait d'embrouiller les spectateurs. C'était une évidence qu'il fallait le changer. J'aimais aussi beaucoup De sable et de sang (Jeanne Labrune, 1988), mais c'est le titre d'un film qui parle de corrida, ce qui n'est pas notre cas."

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Le Loup-garou de Londres, de John Landis (1981) et Ginger Snaps, de John Fawcett (2000)

"Il y a bien sûr des inspirations qui viennent des métamorphoses, du genre du body horror. Moi, j'adore Le Loup-garou de Londres, une référence inévitable, évidemment, et aussi Ginger Snaps, qui ressemble beaucoup à Grave (Julia Ducournau, 2016). Ca suit deux sœurs : il y en a une qui devient loup-garou et l'autre essaie de la sauver, et c'est super fort. Il y a une scène de métamorphose, ainsi qu' un copain, un peu comme mon Tony (Damien Rebattel), qui assiste aux trucs, qui est au courant... C'est un très beau film, avec un côté un peu kitsch des années 90, qui est en même temps assez dingue."

Buffy contre les vampires, de Joss Whedon (1997-2003)

"J'ai été biberonnée à cette série dans laquelle tout a un double sens. Bon, déjà il y a le vampire comme métaphore du viol pour les jeunes femmes, à qui on dit clairement : 'Venez prendre un pieu et le tuer avant qu'il ne vous mordre.' Mais en plus, chaque épisode de Buffy traitait d'un trauma différent de l'adolescence, à travers toutes sortes de monstres, et comme ça abordait la famille au sens large, ça me parlait énormément. Perte de l'amour, non-acceptation de soi, incapacité à faire son deuil, peur de la mort... Cette métaphore constante des problématiques intimes, souvent adolescentes, faire de tout cela des sujets cathartiques... ça m'a énormément nourrie."

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S'inspirer de la beauté de la Camargue

"Je ne sais pas si c'est parce que mon chef opérateur, Ruben Impens, est d'origine flamande, mais je trouve qu'il a ramené un peu du nord dans le sud sur ce film. On a travaillé sur l'idée de proposer quelque chose de très lumineux, de bien accentuer les jaunes, les verts... et au final, j'ai eu l'impression que le résultat était moins provençal que ce qu'on a vécu pendant le tournage. J'avais envie qu'on s'attarde dans ce monde de la course camarguaise, avec Nejma, pour comprendre tous les attachements que mon héroïne y avait, et ses règles aussi, avant de basculer vers quelque chose de plus sombre. Ca aurait été trop violent sinon. Pour moi, la ferrade, c'est vraiment magique, on y est un peu hors du temps. Les gens y sont très proches des bêtes, ils ne les tuent pas, c'est très très différent de la corrida.

En plus, c'est comme s'il y avait déjà une direction artistique existante quand on tourne en Camargue. Les lumières sont dingues, alors travailler sur les textures, les chemises à motifs fleuris, les chapeaux de tous ces hommes à cheval... Il y avait un côté flamboyant. Personnellement, la couleur, c'est quelque chose qui me touche particulièrement. Je viens du Sud, j'adore Matisse, je suis très couleurs primaires. Même pour ma comédie romantique, j'avais le cinéma de Spike Lee en tête, c'était vraiment coloré. Là, on partait forcément sur quelque chose de différent, parce que la nuit prenait beaucoup de place. Il fallait trouver la bonne luminosité, même dans les scènes nocturnes. Trouver le bon rouge, aussi, qu'il ne soit pas trop criard, mais qu'il soit marquant en même temps. Pour les scènes choc, évidemment, mais aussi plus simplement pour les scènes de l'arène, il ne fallait pas se louper sur notre rouge. Le parti pris, c'était de monter progressivement avec elle dans l'horreur. Et ça, ça passait aussi par la lumière, les couleurs."

Oulaya Amamra dans Animale
Wild Bunch

Attention aux spoilers ! A partir d'ici, Emma Benestan détaille plus spécifiquement les scènes clés de son film.

Marie Ségrétier

"Ma principale source d'inspiration, au-delà des films, séries ou mythes, c'est Marie Ségrétier, la femme que j'avais suivie dans mon documentaire sur les courses camarguaises. Elle m'avait dit : 'Un taureau, quand je vais dans l'arène, il ne voit pas l'homme ou la femme, il voit un animal. Je suis juste un animal face à lui.' J'avais trouvé ça très fort de se mettre à la place du taureau. Je trouvais ça beau que l'animalité, c'est ce qu'elle se racontait dans l'arène, ce qu'il a caractérisait davantage que son rapport aux gens. Je crois bien que c'est à partir de cette conversation que j'ai pensé : mon héroïne, ça va être une femme et dans sa métamorphose, elle va avoir des poils, avoir de la puissance. Parce que le taureau, ça peut vite être énorme. C'est pas La Féline (Jacques Tourneur, 1942), ni la louve, ce n'est pas quelque chose qui peut être érotisé. Même si on joue aussi avec les codes des films de loups-garous, bien sûr : il y a la pleine lune sur l'affiche, à la fin elle est entourée de sa meute... que je vois plus comme sa famille, personnellement."

La Mouche, de David Cronenberg (1986)

"C'est une des grandes références, évidemment. Surtout pour la manière dont on suit progressivement la transformation. Et puis, il y a une très belle scène avec Geena Davis, quand elle vient voir Jeff Goldblum et qu'elle lui dit : 'Je suis là.' J'y ai pensé en développant le personnage de Tony.

La grande idée de la métamorphose dans Animale, c'était de ne pas perdre la violence pour elle, dans l'horreur de son corps. Je n'avais pas envie qu'on se dise : 'C'est une transformation spectaculaire, une libération.' L'objectif, c'était plus de montrer cette femme qui se rend compte de ce qui se passe au fur et à mesure et qui se dit : 'Je suis complètement consciente de tout ce qui m'arrive, et de l'impact que cela a tout autour de moi.' C'était écrit comme ça.

Il y a un spectateur qui m'a demandé : 'Pourquoi mettre cette transformation ? Le film aurait pu marcher sans.' Peut-être, mais moi, j'avais trop envie d'aller au bout de mon idée. C'était tellement nécessaire d'aller au bout de ce fantastique. Sans cela, le public aurait pu se dire que, peut être, elle les a tués 'poétiquement', mais qu'elle n'a pas été vraiment taureau... Moi, je voulais faire exister nos bêtes. Affirmer que oui, elle les a tués, tout en posant la question du monstre-victime.

On aurait pu aussi aller vers l'idée qu'elle contrôlait les taureaux pour tuer à sa place, Faire une histoire où elle comprend qu'elle a un lien particulier avec eux, montrer que c'est elle qui va retrouver le taureau sanguinaire... Mais je sais pas, c'était moins 'choc'."

Black Hole Charles Burns
Delcourt

Black Hole, BD de Charles Burns (1995-2005)

"Le rapport au corps de la femme, c'était un élément central dans mon scénario. On a fini par couper une scène très explicite sur le fait que sa transformation soit d'une certaine manière assez masculine, avec les poils, la masse musculaire... Au départ, on aurait dû la voir, un matin, avec queue de taureau, mais ça, ça a déjà été fait dans cette BD de Charles Burns, que j'adore, qui suit une nana qui a une petite queue de cochon. Ca donne quelque chose d'assez bizarre parce que c'est un élément physique tellement masculin. En l'occurrence, c'était compliqué à tourner pour nous, on a fini par abandonner l'idée, mais en tout cas, j'ai vraiment essayé de travailler une transformation au féminin en un animal qui est le summum du masculin. Ce concept me plaisait énormément, associé au fait de créer quelque chose d'hybride. Dans le film, je ne dis pas du tout qu'elle prend la puissance masculine du taureau. Je me dis plutôt : 'Le taureau est un animal, et elle devient un animal.'"

Jouer avec les attentes des spectateurs

"J'aimais beaucoup le fait d'être dans le trouble à des moments sur ce qu'elle comprenait, ce qu'elle ressentait, d'avoir un personnage qui lui même ne capte pas bien ce qui lui arrive. J'ai joué sur le fait que parfois, le spectateur peut avoir un peu d'avance sur elle, et je trouvais ça intéressant de travailler surtout sur la question du rapport au corps dans mon personnage de femme. Il y en a évidemment des très forts dans le cinéma d'horreur, mais bon, j'en regarde beaucoup et il y a quand même cette idée que beaucoup de femmes sont des victimes. On les voit trucidées, assassinées dans d'atroces souffrances. J'aimais bien le fait de contrebalancer, de montrer ici plutôt des hommes retrouvés morts, de façon violente, et se poser la question suivante : 'Qu'est ce que ça ferait d'être avec cette fille pendant une heure, une heure et demie, et d'essayer de ressentir un peu ce qu'elle ressent et ce qu'elle n'aura pas à se raconter sur elle-même ou sur son corps ?'

Même si tu te doutes de l'évolution de l'histoire dès le début, on a quand même donné des masses de fausses pistes : montrer ses rêves de taureau, des bouts de transformation puis revenir dessus et la filmer de nouveau sans aucune trace de changement sur son corps... On a fait en sorte que les spectateurs se posent longtemps des questions, se disent : 'Elle a été blessée par un taureau et a maintenant une connexion avec eux ? Ah, nan, c'est elle qui les tue, en fait ? Oh, je n'avais pas du tout vu l'abus venir...' Bien sûr, ça dépend de la perception de chacun, certains le comprennent tout de suite. Il y a même un spectateur qui m'a dit qu'il avait 'souffert avec elle', tant il avait senti dès le départ de quoi il retournait. On est contents de voir autant de réactions diverses. Et puis on a l'impression d'avoir réussi à filmer quelqu'un dans le déni, un angle très intéressant, je trouve. En tant que spectateur, c'est assez beau d'observer quelqu'un qui se rend compte de ce qui lui arrive petit à petit."

Carrie au bal du diable
Splendor Films

Carrie au bal du Diable (Brian de Palma, 1976)

"Ce cri final, c'est une forme de parole, mais très primitive et animale. C'est aussi un cri politique, qui permet de dire : 'Stop, j'en ai marre.' Je trouvais ça bien de l'inscrire dans une diversité dans les personnages féminins qui crient, qui sont des guerrières... Pas dans le genre de Wonder Woman avec des super-pouvoirs, non. Ni en prenant un genre masculin pour le mettre au féminin comme il en est aujourd'hui question avec James Bond, par exemple, ce n'était pas ça l'idée. On cherchait plus une forme de subversion... J'ai vu peu de cris aussi riches au cinéma, qui ont plusieurs sens, comme ça. Il y a ceux de Furiosa ou de Carrie, mais trop souvent on demande aux actrices de jouer l'hystérie, par exemple, et nous, on ne voulait pas de ça. Ca me tenait à coeur de finir sur ce cri qui dit : 'Stop !'"

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