Zorro (2024)
Paramount+

Connu comme scénariste pour Pierre Salvadori (En liberté !) ou Bertrand Bonello (La Bête), Benjamin Charbit débriefe son Zorro comique et psychanalytique, taillé sur mesure pour Jean Dujardin.

Première : Jean Dujardin a souvent dit qu’il rêvait d’incarner Zorro. Mais avait-il une idée très précise de ce à quoi pouvait ressembler sa version du personnage ?

Benjamin Charbit : Je ne le sais pas vraiment car nous n’en avons pas parlé en amont. C’est son frère, Marc Dujardin, qui est venu nous trouver, Noé Debré et moi, pour qu’on conçoive un Zorro pour Jean, sans que celui soit associé au projet dans un premier temps. L’intuition de Marc était que ça pouvait être une version politique de Zorro, mettant en scène deux figures du politique : un Don Diego technocrate et un peu à la peine et un Zorro plus populiste, qui apporte des réponses faciles à des problèmes compliqués, avec la violence et son épée. C’était l’intuition de départ.

Et ça vous a parlé…

Oui ! J’ai tout de suite voulu y mettre mes obsessions. J’ai eu une sorte de flash du pilote : un vaudeville où le mari et l’amant sont la même personne. Je voulais rendre hommage à Lubitsch et Billy Wilder, avec une saveur de comédie de situation. C’est donc devenu un vaudeville politique d’action ! Voilà comment on pourrait résumer l’ADN de la série. C’est aussi la beauté de ces projets un peu multiformes, où un désir de producteur rencontre un désir d’auteur : ça crée un objet plus riche que quand on est tout seul à sa table.

Avant ça, que représentait Zorro pour vous ?

Je n’avais pas d’idée préconçue. On m’a apporté un jouet magnifique, en même temps qu’une énorme responsabilité, parce qu’il ne faut pas décevoir les fans de Zorro. Il fallait respecter les éléments de base du personnage : c’est un justicier qui se bat pour la bonne cause, pour la veuve et l’orphelin ; c’est un héros solaire, à la différence de pas mal de super héros américains aujourd’hui ; c’est un héros qui se bat mais qui n’est pas violent ; il est rusé – "zorro" veut dire renard en espagnol – et intelligent. J’ai cherché à déterminer ce qu’était la quintessence du personnage, quitte à m’en amuser, mais sans chercher à casser la statue.

Zorro (2024)
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Et en tant que spectateur, quels Zorro ont compté pour vous ?

J’ai bien sûr aimé la série avec Guy Williams, que je regardais colorisée sur la 3 quand j’étais enfant. J’avais la cape de Zorro... J’ai redécouvert le personnage dans les films de Martin Campbell avec Antonio Banderas, des films très réussis, très grand public, sans esprit de sérieux. Zorro, c’est énorme ! Pour autant, je ne suis pas un fan de la première heure pour qui il y aurait quelque chose d’intouchable dans le personnage.

Vous avez tout revu, tout relu ?

Oui, je me suis vraiment plongé dans l’archéologie des Zorro, à partir des premiers livres parus dans les années 1910. Il y a des BD, les films avec Douglas Fairbanks, une première série en noir et blanc dans les années 30… Il y a aussi les Zorro un peu "rogue", comme The Gay Blade (La Grande Zorro, 1981, avec George Hamilton), des Zorro qui n’ont pas la licence. Et ce livre super intéressant d’Isabel Allende, qui imagine la mythologie de la naissance de Zorro.

Qu’avez-vous conclu de cette archéologie ?

En fait, ça m’a emmené vers une autre archéologie, qui est celle de l’époque. Je me suis intéressé à l’histoire de la Nouvelle-Espagne, dans les années 1800-1820, ça m’a donné envie d’ancrer l’intrigue de manière réaliste, de prendre au sérieux ce qu’était ce territoire, toutes les tensions politiques qui existaient alors. J’ai réalisé que les différents Zorro servaient différents projets idéologiques, notamment chez les Américains. Au fond, leur Zorro sert à raconter que la conquête de l’Ouest et la guerre américano-mexicaine sont bonnes, parce que les Américains ont défait un pouvoir espagnol corrompu pour amener la justice. Le Zorro américain sert un projet idéologique. Et j’avais envie de lui donner une autre perspective historique.

Notre critique de Zorro

Votre Don Diego est un peu paumé politiquement…

Oui, politiquement, Don Diego est empêtré : il aimerait être progressiste mais il ne l’est pas vraiment. Il ne se rend pas compte qu’il a beaucoup de privilèges et qu’il en jouit. Mais il croit aux idées des Lumières. Je me suis demandé en quoi Zorro pouvait être français, j’ai donc imaginé une sorte de backstory dans laquelle Don Diego serait venu en France au détour des années 1790, aurait été au contact des idées des Lumières et serait revenu aux Etats-Unis en voulant imposer cet universalisme. Voilà mon idée politique de Don Diego. Zorro, lui, est plus naïf, il a une pulsion de justice et une pulsion de plaisir, il apporte des solutions court-termistes, il veut soulager la douleur.

Ecrire un rôle politique pour Jean Dujardin, ça nécessite de réfléchir à qui est Jean Dujardin politiquement ?

C’est une question que je me suis posée mais, au final, comme Jean est assez pudique sur ses engagements, je ne saurais pas dire qui il est politiquement, même après l’avoir côtoyé pendant des mois.

C’est une question que les Français adorent se poser, de la cérémonie d’ouverture de la coupe du monde de rugby à l’héritage d’OSS 117…

Peut-être que la série prendra le contrepied de ce que les gens croient savoir de lui. Concernant OSS en tout cas, on avait clairement envie d’un contrepied. Diego, c’est une espèce de reflet inversé d’OSS 117. Aussi intelligent et gentil que l’autre est bête et paternaliste.  

La série s’inscrit dans cette vogue de déconstructions des grandes figures pop du 20ème siècle, type James Bond ou Batman, mais sans le côté cafardeux qui va souvent avec…

Je n’avais pas envie d’un Zorro noir, violent, à la Batman, ça ne m’intéressait pas. La psychanalyse, oui, mais sur un versant comique. En tant qu’auteur, on met parfois des petits sous-titres à ce qu’on fait, et cette série, je la surnommais Zorro, journal intime. On plonge dans sa psyché, c’est docteur Jekyll et mister Hyde. Et ça, ça a plu à Jean. J’avais envie qu’il se dise à la lecture : je vais m’amuser dans toutes les scènes. Ne serait-ce que parce qu’il avait deux personnages à jouer.

Zorro (2024)
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Ce Zorro quinquagénaire, sur le retour, il s’adresse à tous les publics ? Les plus jeunes vont-ils avoir besoin de l’aide des nostalgiques de la série Disney pour s’y retrouver ?

J’ai en effet l’impression qu’il y une génération, les 15-25 ans, pour qui Zorro est très lointain. Parce qu’il y a un trou : ils n’ont pas vu la série et les films avec Banderas ne sont sans doute pas assez culte. Dans notre série, on réinvente les figures, de Bernardo au sergent. Il leur faudra donc peut-être une explication de texte. Mais on a quand même essayé de faire une série qui tient sur ses deux jambes.

Obtenir les droits de Zorro, c’est compliqué ?  

Ce qu’il faut savoir, c’est que le personnage de Zorro est dans le domaine public. La seule chose protégée par des droits, c’est le costume ! J’ai été très libre éditorialement, je crois que l’ayant-droit a eu quelques inquiétudes au début mais il a été convaincu par les textes. Après, ce sont des histoires de négociation, et je sais que Marc Dujardin s’est battu. Il y avait un droit de regard, mais nous n’avons pas reçu de notes ou de demandes de réécritures. Peut-être que si j’avais trop abîmé Zorro, il y aurait eu un problème. On va quand même assez loin dans la série mais je tenais à rendre le personnage intact, qu’il y ait d’autres Zorro après le nôtre.

Qui a fait quoi entre Noé Debré et vous ? A lui la politique et à vous le vaudeville ?

Le projet a été long à développer, ça a commencé il y a six ans, il y a eu des histoires de droits perdus, puis regagnés… Au bout d’un moment, j’ai repris le projet à mon compte, j’ai avancé seul, j’en étais le showrunner, j’ai sélectionné les réalisateurs, fait les repérages, assuré la direction artistique, etc. Je me disais que si je restais loin du plateau, je n’allais plus progresser en tant que scénariste. C’est donc devenu mon projet. Noé, que je connais depuis dix ans et que j’adore, a, comme on le sait grâce à Parlement, une facilité déconcertante à penser le politique. Il a beaucoup apporté à cet endroit-là, tandis que je m’amusais sur le vaudeville et les références au cinéma classique américain. Sans oublier Rappeneau et La Folie des Grandeurs.

La série vous sert donc à affirmer votre identité d’auteur, votre signature ?

Absolument. Ce Zorro, pour moi, c’est une sorte de manifeste esthétique. J’y ai mis beaucoup de tentatives, de théories, un mélange des genres, une façon de passer très vite de la comédie à une séquence d’émotion au premier degré… Beaucoup de choses que j’ai envie de voir et auxquelles je crois.

Zorro, créée par Benjamin Charbit et Noé Debré, avec Jean Dujardin, Audrey Dana, Grégory Gadebois… Disponible sur Paramount +. En décembre sur France 2.