Rencontre avec Alexis Langlois, la réalisatrice d'une comédie musicale queer pleine d'amour, de rires, de larmes et de colère. Pleine de vie, quoi.
Déjà passé par la Semaine de la critique et le festival de du film romantique de Cabourg, Les Reines du Drame, d'Alexis Langlois, vient de sortir au cinéma. Première vous conseille cette histoire d'amour au féminin entre une star de la pop (Mimi Madamour, jouée par Louiza Aura) et une artiste punk (Billie Kohler, joué par Gio Ventura), racontée par un youtuber-conteur (Bilal Hassani, à qui ce premier rôle au cinéma va comme un gant - on en parle en détails ici).
"La réalisatrice signe un grand film queer populaire, mû par une envie folle de cinéma, écrivait-on en le découvrant dans le cadre du festival normand. Un amour pour les personnages et l’époque qu’elle raconte, un talent pour réunir des interprètes d’une puissance tonitruante (Louiza Aura et Gio Ventura en tête), une absence de tout cynisme et une direction artistique (visuelle comme sonore) d’une richesse foisonnante. Son titre résume à merveille ce qu’on y voit et on y entend, les potards boostés au maximum, feu d'artifice orchestré par une cinéaste semblant en train de réaliser son rêve de gosse, sans qu’on lui impose ou qu’elle se fixe de limites. Comment la Queer Palme cannoise a pu lui échapper reste un mystère !"
Quand on l'a recroisée au festival de Sarlat, quelques temps après l'avoir interrogée sur les multiples références de son film (Lorie, Buffy, John Waters, Ophélie Winter... sa romance est remplie de clins d'oeils bien pensés à la pop culture de ces quarante dernières années), la projection du film a coïncidé avec l'élection de Donald Trump. Et donc aux messages de détresse partagés sur les réseaux sociaux de femmes américaines, queer ou non, qui craignaient de voir leurs droits malmenés durant les quatre prochaines années. Si bien que l'échange a d'emblée pris un tournant plus politique que prévu...
Les Reines du drame : un bijou punk et clinquant [critique]Première : Découvrir votre comédie musicale pleine de personnages queer et porteuse d'un certain espoir, quelques heures après le verdict des élections américaines, était saisissant. On se dit que les choses ont évolué en quelques années, depuis La Nouvelle star, en terme de représentations et d'égalité des droits, mais est-ce que ce n'est pas qu'une parenthèse ? Est-ce qu'on ne va pas revenir en arrière ces prochaines années ?
Alexis Langlois : Dans mon film j'ai voulu inclure cette dimension. Pas d'avertissement, à proprement parler, mais en glissant cette idée qu'on pense toujours qu'on est mieux que la génération précédente, que les choses vont dans le bon sens, etc. Le film dit deux choses : déjà, il y a des combats ont déjà été menés. Je pense à Stonewall, par exemple, aux personnes trans et racisées qui ont lutté pour les droits de toute la communauté bien avant nous. C'est important de se souvenir qu'il y a un lien politique dans nos histoires. Ne pas penser qu'on est les premiers ou les premières à mener ces combats. Et puis surtout d'avoir en tête que chaque droit qu'on a réussi à obtenir est très fragile. On le voit bien aux Etats-Unis, sur le droit à l'avortement, par exemple. On peut avoir l'impression qu'en France, nos communautés peuvent se retrouver peut être plus facilement grâce aux réseaux sociaux, etc., mais en même temps, on observe un certain recul, notamment à la télé. J'ai l'impression que la télé est plus raciste et misogyne qu'il y a dix ans, non ?
Ce qui ressort de votre film, c'est pourtant un certain optimisme, l'espoir qu'un meilleur “vivre ensemble” est possible.
Quelqu'un m'a dit cette magnifique citation, je ne sais pas de qui elle est mais elle illustre bien ce que je veux dire : "L'histoire, elle ne se répète pas, l'histoire bégaie." En soi, le fait que le film existe, aujourd'hui, c'est merveilleux. On a quand même réussi à le faire. Mais oui, il peut y avoir des ressentis contradictoires, ou qui cohabitent. Ce qui est sûr, c'est que la montée du fascisme, elle est complètement là, pas seulement en France d'ailleurs, et elle a un impact sur la jeunesse et en même temps il y a des émissions comme Drag Race qui cartonnent. On assiste en parallèle à des choses qui changent et d'autres qui régressent de ouf.
D'ailleurs, vos Reines du drame vivent effectivement des tas de choses dramatiques.
Oui, elles vivent même une tragédie. Elles ne peuvent pas s'aimer dans ce monde trop normé, on les empêche d'être ensemble. Parce qu'elles ne font pas la même musique, ne sont pas du même milieu... Je voulais raconter la violence que cela représente pour des personnes différentes, queer, la difficulté de s'aimer quand on est dans un monde comme ça... qui ne nous aime pas. Comment mieux aimer ? C'est une question importante.
Que vous mélangez à d'autres problématiques avec générosité. Votre film brasse de nombreux sujets.
Oui, j'insiste aussi sur cette idée qu'on ne doit jamais penser qu'on est mieux que les autres. Que ce soit pour des combats politiques ou, comme on le voit dans le film, par rapport au fait d'être dans la lumière et de penser qu'on y sera toujours. C'est un film plein d'espoir, mais qui montre quand même que c'est un travail de tous les jours. Parce que les choses sont fragiles.
C'est pour ça que dans Les Reines du drame, vous “invitez” le public dans votre univers ? Vous le faites au tout début, via le narrateur incarné par Bilal Hassani, puis vous l'accueillez, lui, dans le monde des “has been”, d'une façon très douce.
Oui et dans un lieu qui a été pensé comme une utopie. Un lieu à la fois fermé en même temps complètement merveilleux. C'est tout petit, et quand on y entre, ça n'en finit plus, c'est comme un monde dans un monde. Et mes personnages ne s'y enferment pas, ils sont au contraire en train de construire, autrement, un cocon pour y vivre ensemble. Ils apprennent à se pardonner, aussi. Ils ont conscience d'avoir mal aimé au cours de leur vie, et veulent apprendre à mieux aimer.
Alors que dans la réalité, certains lieux historiques de la communauté queer ferment. Comme chez Michou, cette année, par exemple.
Ce n'est pas forcément ce cabaret l'inspiration, mais oui, il y a cette “invitation au public” dans nos spectacles et j'aimais bien le fait de reprendre cela. De dire d'emblée aux gens qui s'ils n'aiment pas les paillettes, le maquillage qui coule, etc., mieux vaut passer leur chemin. Mais tous les autres sont invités au show. L'objectif du film, c'est vraiment créer du lien : entre des générations et entre des groupes de personnes qui a priori ne se rencontrent pas, ou des groupes de personnes qu'on oppose. Aujourd'hui, on nous donne parfois l'impression qu'il y a les vieux contre les jeunes, mais pourquoi chercher à nos opposer ? Le film, il cherche plutôt à faire groupe, à faire famille autrement, quoi. Le vrai ennemi ici, c'est le fascisme par exemple, ou la norme. Le film clairement : 'On a cet ennemi là et comme on le subit tous, ce rouleau compresseur, notamment de la norme, alors plutôt que de s'entretuer ou de s'entre-déchirer, essayons de créer de la douceur et se fédérer pour ensuite créer des choses différentes.'
Cette invitation se fait parfois de manière assez trash, dans les paroles des chansons par exemple. Vous abordez aussi une certaine colère.
Bien sûr. L'idée n'est pas de séduire, ni de s'excuser d'être. Surtout pas ! En revanche, c'est un film qui tend la main. Par contre, il tend la main tout en affirmant que les personnages sont comme ils sont, avec leurs défauts, avec leurs extravagances, avec leurs colères et leurs joies. C'est un peu : "Bienvenue chez nous. Mais par contre on est comme on est, quoi."
Avec des caractères très différents qui se croisent, voire se percutent.
Je pense que c'est bien de montrer que la communauté queer, c'est plein de personnes très différentes. C'est le principe d'une communauté, d'ailleurs, et donc parfois entre nous, on peut aussi être durs. Et c'est tellement plus intéressant de montrer des personnages plus complexes. On n'est pas toujours d'accord, et ce sur plein de sujets importants. Il existe aussi de la violence intra communautaire, qu'on a sur nous-mêmes. Je le vois très bien chez certains gay quand ils voient le film, ils n'aiment pas tout de suite le personnage de Steevy, parce qu'il est trop "folle". J'avais envie de montrer ça aussi : il existe des gens qui veulent s'intégrer, mais pas s'intégrer avec leurs différences, ils essayent plutôt convenir à une certaine norme, cacher ce qu''il ne faudrait pas montrer." Vous voyez cette idée de "servir la cause ou desservir la cause" ? On a beaucoup entendu ça au cours de la pré-production du film... Au contraire, je crois, moi, que montrer des personne comme ça, c'est très intéressant. C'est pour ça que tout le monde se croise chez moi, il y a des folles, des marginales, des personnages de butch, ça ne m'intéresse pas de raconter des histoires avec gays ou des lesbiennes qu'on pourrait facilement remplacer par des hétéros. Et inversement, d'ailleurs : on voit des films ou des séries aujourd'hui remplis de personnages soit disant LGBTQIA+, mais dont on sent qu'ils étaient au départ hétéros et dont on a changé le genre, la sexualité. Moi, je revendique ouvertement une vision queer, c'est à dire de montrer toutes les personnes qui justement ne correspondent pas à cette norme, de leur donner de la place, de les montrer comme je les aime.
On reconnaît plein de stars dans votre histoire, de plusieurs styles et générations.
Ce qui est intéressant avec ce film, c'est que chaque spectateur y injecte beaucoup de soi. C'est peut être la force d'un objet pop ? Pour que ça marche, on n'a pas besoin d'avoir toutes les références. On peut le comprendre et l'apprécier sans en avoir toutes les clés. Comme la pop ne fait que citer la pop tout le temps, qu'on ne crée rien, qu'on recycle des idées vues ailleurs, le film utilise précisément ce code là. Tout en mettant en scène des personnages qui sont nourris de toutes ces références, mais qui sont aussi singuliers : ils ont leurs émotions à eux, etc. Si vous avez grandi dans les années 90 ou 2000 et que les chanteuses des années 80, vous ne les reconnaissez pas, c'est pas très grave.
Mais quand même, au-delà des références à Lorie ou autre, comment avez-vous construit vos deux héroïnes ? Et leurs modèles à elles, dont on aperçoit le succès et la chute en filigrane ?
C'était un peu un mélange entre plein de personnes que moi j'aime, en fait. Si toutes ces références sont là, c'est aussi tout simplement parce que quand on écrit un film, c'est un geste d'amour. Je trouve ça assez humble de dire : "Voilà, on va utiliser toute cette matière qui m'a donné envie de faire du cinéma." C'est un geste que je trouve assez politique. Regarder ces chanteuses qu'on dit "ringardes" et décider de les montrer avec amour. "Mes" ringardes étaient très importantes dans la fabrication du film. Dans la manière dont leur expérience allait nourrir celles de Mimi Madamour et Billie Kohler. J'avais surtout en tête Nina Hagen et Mona Soyoc, qui joue dans le film et qui vient vraiment d'un groupe punk des années 80, KaS Product, qui est incroyable. Il y a aussi un peu de Mylène Farmer dans Magalie Charmer, évidemment. Il y a la chanteuse de Mecano, on peut reconnaitre Blondie... Ce sont des stars qui sont dans l'imaginaire collectif, j'aime bien l'idée que ça évoque des références communes et différentes en même temps. Et puis ce qui est très drôle aussi, c'est qu'à l'étranger, les spectateurs peuvent y reconnaître des icônes que moi, je n'avais pas du tout en tête. On l'a projeté au Brésil, et on me posait des questions sur une chanteuse que je ne connaissais pas, c'était drôle !
Derrière ce "jeu" des références, il y a aussi l'idée que l'histoire se répète...
Alors ça, c'était très important. Ce qui est universel, c'est que derrière les stars de la musique comme ça, il y a toujours cette espèce de système patriarcal : on a "besoin de chair fraîche". Je parle des chanteuses, mais ça marche aussi pour les jeunes actrices. On va d'abord adorer les aimer, puis on va adorer les détester. Et ce dans chaque pays, à chaque époque, malgré les avancées, il y a quand même ce système qui recommence. Ce qui serait intéressant au fond, ce serait de changer notre regard sur nous, d'essayer d'être plus doux. On en revient à ce geste politique de penser à la douceur.
Pourquoi avoir choisi Britney Spears comme symbole ?
Britney a eu un succès fou, puis a été traînée dans la boue. Et là, depuis son livre, elle est presque devenue pour les gens une icône féministe... C'était un exemple parfait, car je me dis qu'il illustre bien le regard qui change. Si mes chanteuses avaient été des actrices, ça aurait pu être Pamela Anderson aussi, qui n'est plus du tout perçue aujourd'hui comme à l'époque d'Alerte à Malibu. C'est toute la société qui a changé de regard sur elle. Mais en même temps, ces femmes ont vécu l'Enfer. Est ce qu'il y a vraiment besoin de passer par tous ces drames pour qu'on ait un regard plus doux et apaisé ? Avec plus d'empathie ?
A travers ce film, vous affirmez aussi haut et fort votre goût pour les comédies musicales. Chaque titre est pensé, ils se répondent, puis finissent remixés dans un grand final.
C'est très clairement assumé comme étant une comédie musicale queer, même dans la promo, on le dit clairement dans la bande-annonce. Donc on fait tout ce qu'il faut pas faire ! (rires) C'est vrai que les gens ont l'air de bouder ce genre de films ces temps-ci, mais encore une fois, j'espère que les choses peuvent un peu changer. C'est pas comme chez Jacques Demy, où les gens se mettent à chanter, danser dans la rue, mais oui, le fait de choisir de raconter cette histoire en comédie musicale, je n'étais pas du tout contre. Au contraire !
Qu'est-ce qui vous plait tant, là-dedans ?
J'aime bien, comme tous les films de genre, que ça symbolise les émotions. Mes héroïnes sont des divas, elles ont par définition des émotions plus grandes que dans la vraie vie. Ce ne sont pas des "Drama Queens" pour rien ! Sur ces films, les outils de mise en scène peuvent peu à peu déployer ce que les personnages ressentent. Voilà ce que j'aime dans la comédie musicale. Quand il y a un grand moment de joie ou un grand moment de tristesse, c'est à la fois hyper artificiel parce qu'on ne fait pas ça dans la vie, et en même temps, cet artifice nous permet d'accéder au cœur des personnages. J'aime énormément cette idée, que je trouve assez queer, que l'artifice est plus réel que ce qu'on dit "vrai", justement. On peut percevoir ça comme ridicule... ou le voir comme une manière de sublimer ce qu'on ressent dans la vie. La comédie musicale est parfaite quand elle est pensée comme une manière d'être au plus près des émotions des personnages.
Et puis d'une chanson à l'autre, vous pouvez changer radicalement de style. Il y a même des titres assez provoc'.
Exactement : quand on dit les choses en chansons, ça peut être à la fois drôle, tout en exprimant quand même des idées politiques. L'endroit de la fête et l'endroit de la musique, ça peut être des endroits de revendication politique, parce que oui, c'est politique de faire la fête entre nous, d'avoir des lieux queer. Les chansons, c'est une manière de faire passer des messages au passage, effectivement.
L'esthétique des Reines du drame est très marquée. Des choix de décors à ceux des costumes, c'est particulièrement flashy, brillant, pailleté...
C'est vrai qu'il y a pas mal de paillettes, Steevy a tenu sa promesse ! (rires) Personnellement, je tenais aux couleurs, à ce bleu des films en Technicolor, qui a été repris par David Lynch pour son Blue Velvet et qui est ensuite devenu la couleur du décor de La Nouvelle Star. Il y avait une sorte de boucle à boucler là, dans un film parlant de l'éternel recyclage. Je pense qu'on a autant emprunté aux films hollywoodiens des années 1950 qu'aux télé-réalités des années 2000, finalement.
Comme on avait un budget limité, on a aussi beaucoup recyclé, transformé nos décors pour qu'il y ait une cohérence entre l'émission de 2005 et celle de 2015. On déplaçait des objets d'un décor à l'autre, on retournait les murs... Certains comédiens ont aussi proposé d'apporter leur propre touche, via des accessoires perso. Et Je crois qu'à force de travailler ensemble, on a acquis une telle complicité avec ma chef déco (Anna Le Mouël) ou ma directrice de la photo (Marine Atlan), que ça a simplifié plein de choses. Ca a rendu des idées possibles, même des concepts esthétiques qui pouvaient sembler compliqués à mettre en place, on se comprenait bien. Au fond, on a fait un travail presque théâtral. Tout en s'autorisant à créer un grand mélodrame, à la manière d'Hollywood, mais en studio et en ayant conscience de nos limites.
Vous aviez un gros budget paillettes ?
Ah oui, les paillettes, c'est tout un sujet, ça... Disons que j'aime bien l'idée d'aller très loin dans les choses superficielles, au sens de "il faut que ça brille à la surface." Mais il y a aussi plein de moments plus "dark", plus sales, dans mon film. Qui vont là aussi assez loin. Chaque image solaire a son pendant négatif, en quelque sorte. Dans la scène de rupture par exemple, on a travaillé un décor sombre, humide, qui évoque la douleur et les larmes.
Celle où les sacs poubelles sont roses ?
(Elle éclate de rire) Oui, mais ça c'est Bruxelles. On a tourné là, et à Bruxelles, les sacs poubelles sont roses. Ce sera le mot de la fin ? Parfait. Vive les sacs poubelles de Bruxelles.
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