Bilal Hassani Les Reines du drame
Bac Films

Alexis Langlois nous présente le super-casting de sa comédie musicale queer. A commencer par “le malentendu” de départ avec Bilal Hassani, qui pour son premier rôle au cinéma, joue l'influenceur Steevyshady.

La rédaction de Première a eu un coup de coeur pour Les Reines du drame, "bijou punk et claquant", qui vient d'arriver dans les salles obscures. Cinéaste queer déjà remarquée pour ses courts métrages et/ou ses clips osés (notamment Marathon, en 2022, pour Bilal Hassani, la star de la musique qui joue ici son premier rôle au cinéma), Alexis Langlois signe une comédie musicale retraçant l'histoire d'amour entre une jeune star de la pop, Mimi Madamour (Louiza Aura) et une artiste punk, Billie Kohler (Gio Ventura). Pour suivre leur relation compliquée, on peut compter sur Steevyshady, youtuber du futur qui a tant aimé Mimi par le passé... avant d'adorer la détester.

En plus de nous présenter ses nombreuses influences (de Buffy à Britney en passant par John Waters et Rainer Fassbinder), et d'évoquer la portée politique de son oeuvre qui veut "inviter les spectateurs à plus de douceur", Alexis Langlois nous a détaillé comment elle avait choisi ses acteur.ice.s.


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Première : Votre film mélange les genres, les références, les sujets de société... Tous ces messages passent aussi par les choix de casting ? Vous proposez bien plus de diversité que dans la réalité.

Alexis Langlois : Le film se joue un petit peu des codes effectivement, du fait qu'on ne soit entourés quasiment que d'acteurs queer. A la télé, les présentateurs de La Nouvelle star n'étaient pas trans... Par contre, notre Guy a un peu de celui de Popstars, qui était ouvertement gay. Et ce même Guy, il incarne vraiment tout ce qu'il y a de plus mauvais dans le système. C'est presque un grand méchant de Disney, avec ce côté souriant, qui est très présent à la télé, notamment sur les chaînes de propagande. Derrière le fait qu'on présente des émission bien habillés, on se permet de dire des choses affreuses.

Steevyshady a lui aussi un côté "méchant"...

Oui, mais c'est plus compliqué, parce que c'est aussi quelqu'un qui subit ça d'une certaine manière. Ce qui n'empêche pas qu'il fasse des choses affreuses, mais pour moi, ça illustre plus une sorte de folie. Et puis il est au coeur de notre histoire, il doit faire passer plein de choses aux spectateurs.

Comment s'est faite la rencontre avec Bilal Hassani, d'ailleurs ? Il a imaginé ce personnage avec vous ou vous lui avez proposé tel quel ?

Ce personnage, Bilal ne l'a pas créé, mais on a beaucoup travaillé, on a beaucoup répété. Donc Steevy a évolué grâce à lui, fatalement. C'est comme une robe de créateur. (rires) Ce qui est drôle, c'est qu'on est un peu partis sur un malentendu avec lui. L'idée de le caster pour ce film est venue en voyant une vidéo qu'il avait postée sur YouTube où il parlait complètement avec le cœur. Ça m'a inspiré le côté narrateur de mon film, je n'avais pas pensé à lui dès le départ, et je ne l'ai pas non plus choisi pour le côté "zinzin" ou "stalker" de ce personnage, que j'ai eu envie de développer au fur et à mesure.

Vous avez d'abord été conquis par sa casquette de youtuber ?

Oui, quand, il y a six ans environ, il a partagé à ses fans une vidéo qui racontait son coming out, qui s'est très mal passé dans un lycée catho. J'étais tombée là-dessus un peu par hasard et cette vidéo m'avait touchée parce que... je ne sais pas, la manière dont il parlait à sa communauté : il disait des choses très personnelles, et en même temps il avait vraiment ce côté entertainer. Malgré le fait que ce soit une histoire atroce, il gardait le sourire et donnait pas mal d'énergie. C'était beau. On sentait qu'il voulait donner de la force et du courage à sa communauté. J'avais trouvé ça hyper émouvant à la fois l'histoire et aussi cette manière qu'il avait de la raconter. C'est là qu'a germée l'idée que les youtubeurs, c'est un peu des conteurs des temps modernes. Il y avait déjà un personnage de youtubeur, mais il n'était pas aussi central, c'est Bilal qui a donné la première impulsion à ce niveau-là.

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C'était quoi le malentendu, du coup ?

Eh bien, comme j'avais dit à ma productrice que je m'étais inspirée de cette vidéo pour développer le rôle de Steevy, elle m'a conseillé de lui proposer directement, mais je n'osais pas trop. Un jour, j'ai découvert que Bilal avait apprécié l'un de mes courts-métrages, alors je me suis lancée. On lui a présenté les grandes lignes des Reines du drame, avec cette chanteuse pop et son amoureuse punk... mais il a cru qu'on lui proposait d'incarner l'un des deux rôles principaux. Il était hyper enthousiaste : 'Oh wow ! Je vais jouer laquelle ?' (rires)

Il a tout de même accepté tout de suite ? Sans avoir peur que ça soit trop proche de sa propre image publique ?

Oui, passée cette petite déception, je crois qu'il il a vite compris son personnage, il a participé à sa composition, et je crois qu'il était sensible à ce que ça disait du monde de l'image. Et sur la pop culture, aussi. Avoir un premier rôle qui se déroulait sur plusieurs époques, où il aurait la possibilité de se transformer beaucoup physiquement, je crois que ça lui plaisait beaucoup. Il y a un côté rigolo, très enfantin dans ce genre de changement d'apparence. Il a ressenti le plaisir de jouer. Et dire que je n'osais pas lui proposer au départ, je pensais qu'il était à fond dans sa carrière musicale... Ma productrice a bien fait d'insister !

Donc Bilal est devenu votre narrateur, et...

Une fois qu'on a eu cette idée de narrateur-conteur-youtuber, qu'on a déplacé sa présentation à lui dans le futur, on a aussi pu s'offrir un pas de côté. On a évidemment fait ce film pour parler beaucoup de nous, mais le fait de le situer dans le futur, puis de revenir en 2005, ça nous permettait de dire : 'Est ce qu'on a tant changé que ça aujourd'hui ?' D'avoir cette distance là, ça nous a offert plus de recul. Comme dans les contes "Il était une fois..." qui nous font croire qu'ils parlent d'hier, mais qui prennent tout leur sens aujourd'hui. 

Les Reines du drame
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Pour vos deux héroïnes aussi vous avez demandé à Louisa et Gio de s'emparer de leurs rôles ? De les faire évoluer ? Pendant tout le film, Louisa m'a fait penser à Zendaya, et je me demandais si c'était fait exprès pour évoquer, en plus de Britney, Lorie, etc., une star d'aujourd'hui.

Ah oui ? La ressemblance n'est pas du tout voulue, mais c'est marrant que vous disiez ça parce que Louisa m'a proposé quelque chose de très intéressant par rapport à son personnage. Au-delà de la dimension queer, elle apportait son expérience de personne racisée, et ça a joué dans son look à la fin. Au départ, elle aurait dû conserver son crâne rasé, car pour moi, ça marquait la fin de sa quête identitaire, elle allait se réapproprier son corps après qu'on lui ai imposé sa perruque blonde, ses costumes... Mais elle m'a proposé de lui apporter une dimension suppplémentaire : c'est elle qui m'a demandé de lui donner cette coupe afro à la fin, de libérer ses cheveux naturels, d'une certaine façon. Ca peut sembler anecdotique, mais ça ne l'est pas au fond, elle a véritablement fait évoluer le chemin de Mimi en changeant ça.

Le rôle de Gio a changé pas mal au cours de la fabrication du film, et là aussi grâce à la confiance qu'on avait développée. Y a une chanson qui a été totalement transformée, par exemple : "Go musclée", ça ne s'appelait pas comme ça. On a recomposé ces personnages ensemble avec mes acteur.ice.s.

Et pour leurs modèles à elles ?

Dans la manière dont leur expérience allait nourrir celles de Mimi Madamour et Billie Kohler, j'avais surtout en tête Nina Hagen et Mona Soyoc. Cette dernière joue dans le film : elle vient vraiment d'un groupe punk des années 80, KaS Product, qui est incroyable. On l'a rajeunie pour la scène des années 80 et c'est presque quasiment une citation d'un clip qu'elle a fait en sorte de Scopitone de France 3 de l'époque qui s'appelle "Come Back". Il y a aussi un peu de Mylène Farmer dans Magalie Charmer, évidemment. Il y a des clins d'oeil à la chanteuse de Mecano, on peut reconnaitre Blondie... Ce sont des stars qui sont dans l'imaginaire collectif, j'aime bien l'idée que ça évoque des références communes et différentes en même temps. Et puis ce qui est très drôle aussi, c'est qu'à l'étranger, les spectateurs peuvent y reconnaître des icônes que moi, je n'avais pas du tout en tête. On l'a projeté au Brésil, et on me posait des questions sur une chanteuse que je ne connaissais pas, c'était marrant !

Les Reines du drame : “Ce film dit : 'Essayons de créer du lien, de la douceur.'”