- Fluctuat
Enfermée dans son silence, arrêtée un instant, presque pour l'éternité, sur les marches d'un couloir de métro, cette femme, isolée du monde tumultueux, en a gommé toutes traces. Oubliées les injonctions extérieures et les chahuts agressifs qui traversent brutalement la vie..
Ne reste que l'horizon et son soleil couchant, l'air devant soi et un peu d'espace pour être libre. Entre vagues et tempêtes, les premières images de ce générique sont floues, presque abstraites mais on perçoit ce tumulte qu'elles figurent. Houle force six à sept, gros grain, en cours ou prévu jusqu'à la fin du film.- Lire l'entretien exclusif avec Solveig Anspach, novembre 2003C'est donc l'histoire d'une rencontre entre une femme qui ne parle pas et une autre qui écoute, persuadée que sa présence attentive sauvera le monde. Loà s'est tue et c'est comme si elle s'était tuée. Fonctionne alors la machine interprétative et écrasante d'une institution qui oublie que ses malades sont des personnes. De manière implacablement paisible, au détour d'un plan, d'une séquence ou d'un regard, Solveig Anspach dénonce, comme dans Haut les Coeurs !(1999), un système hospitalier où celui qui a besoin d'aide peut être broyé par l'organisme qui devait le sauver. Reste les justes, ceux qui font leur travail passionnément, mêlant tumultueusement leur vie privée à leur travail, jusqu'à la mettre en péril. Cora est une jeune psychiatre. Elle suit ses « patients » comme elle les nomme sans cesse ; prise par Loà, elle est presque entraînée dans une relation de dépendance. La voilà prête à tout pour résoudre le problème de cette femme un peu perdue.Avant d'être névrotique, Loà est Islandaise, elle a quitté sa famille, elle a fugué, choquée par un tremblement de terre dit-on. Son mari la réclame, et veut la récupérer comme quand on va aux objets trouvés. Retour à la case départ. Ignorant son mutisme et sa thérapie, on la renvoie chez elle. Laissée seule - sans problème à résoudre - Cora fait le voyage pour voir sa malade et poursuivre le travail. C'est là sans doute que le film pouvait être plus emporté. Loin d'être banal, ce geste manifeste une impossibilité de laisser partir « ses patients » qui n'ont d'ailleurs jamais appartenu qu'à eux-mêmes et dont rien ne dit qu'ils ne sont pas pressés d'oublier leurs névroses.La médecin veut faire autorité sur ce sujet alors que celui-ci a un foyer. Même si elle ne parle toujours pas, la mutique a maintenant un mari, un enfant, une belle-mère, un travail d'ouvrière dans une usine à poisson, un rôle dans le fonctionnement social de ce village. Implacable. Voilà ce qu'est appartenir à un clan, à une terre semble montrer Loà : il n'y a pas d'évasion possible outre celle qu'on s'impose avec une violence gratuite. Personnage bouleversant, son interprète, la poète islandaise Detta Jondsdottir, nous plonge avec grâce au coeur d'une amère folie douce. Cora, impuissante, erre, bloquée dans ce lieu par la tempête, menacée par les éléments qui se déchaînent impitoyablement ici : il n'y a pas d'échappatoire possible, elle ne peut que se mettre face à elle-même. Le basculement entre ces deux états aurait pu être plus extrême. Cora apprend sagement qu'il lui est impossible de résoudre tous les problèmes du monde et qu'elle est heureusement faillible.Stormy Weather
Réal. : Solveig Anspach
Belgique/Islande/France - 2003 - 93 mn
Avec : Élodie Bouchez, Didda Jónsdóttir, Baltasar Kormákur, Ingvar Eggert Sigurðsson, Christophe Sermet, Natan Cogan...
Sortie le 19 novembre 2003
- Lire l'entretien exclusif avec Solveig Anspach, novembre 2003
- Lire la chronique de Haut les coeurs ! (1999).