Première
par Benjamin Rozovas
Deux sujets se télescopent dans ce doc consacré à la star du porno : l’homme Siffredi d’un côté, et son reflet miniature, son "Mini-Me", de l’autre. Eh non, on ne parle pas de sa b… En revanche, on la voit. Granuleuse, vénéneuse, botticellienne. Elle pend sous la douche dans le plan d’ouverture, telle une nature morte grossière que la caméra s’apprête à sculpter en pleine lumière. Rocco est un film de goût, élégant, presque raffiné, soucieux de créer un fossé esthétique entre lui et son sujet. Dans le genre "coulisses du porno", la démarche semble inédite et permet aux auteurs de regarder ce monde à bonne distance, avec complicité et compassion. Le problème est précisément dans le choix du sujet. Aussi sympathique et torturé qu’on nous le raconte, Rocco n’a pas l’épaisseur pour habiter un dispositif aussi romanesque. Il n’est pas le penseur de Rodin. Il n’est pas le Christ réincarné en phallus ni la vision botticellienne tant promise. Le film est particulièrement malhonnête quand il tente de le faire passer pour un personnage de film de Scorsese ou un féministe convaincu. Mais tout ce qui vient se cogner à sa statue de bois bandé est d’une valeur inestimable. L’intimité folle que cherchent les femmes à son contact. Les murmures effacés de son épouse, ex-actrice porno. Les prodiges de Gabriele Galetta, son cousin. Son portrait craché, avec deux tailles de moins, y compris dans le pantalon. À cause d’un problème d’érection, Gabriele n’a pas pu faire carrière devant la caméra. Il est devenu le caméraman sadisé de Rocco (il oublie d’ôter le cache de l’objectif), un ouvrier du cul souvent dépassé par ses ambitions felliniennes. Il y a un doc à l’intérieur du doc, une vision du X-business comme usine à saltimbanques fatigués, merveilleusement incarnée par ce petit homme à salopette. Venez pour Rocco. Restez pour Gaby.
Benjamin Rozovas