Toutes les critiques de Le cinquieme empire

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Le dernier film de Manoel de Oliveira plonge le spectateur dans une atmosphère fantasmagorique et sombre. Avec un style emphatique où les formes se fondent dans la lumière, il relate la nuit maudite où Don Sébastien, roi d'un Portugal déclinant à la fin du XVIe siècle, conduisit son pays au désastre.
    A la fin du XVIe siècle, le Portugal a vu passer l'heure des conquêtes glorieuses. Petit-fils et héritier du roi Jean III, fils de Jean qui mourut quelques semaines avant sa naissance, Don Sébastien grandit comme le souverain désiré d'un royaume sur le déclin. Il est « o desejado ». Ce désir du peuple, mêlé à l'affaiblissement du pays, produit une exaltation extraordinaire autour de lui. À peine installé sur le trône et contre l'avis de ses conseillers le roi partira, animé du désir de fonder le Cinquième empire, pour une croisade en Afrique du Nord. Les dernières richesses et une grande partie de la noblesse portugaise furent englouties dans l'unique bataille d'Alcácer Quibir, le 4 août 1578. À la suite de cette expédition catastrophique, le pays passera sous domination espagnole jusqu'en 1640. Mais le contraste est si violent entre l'ambition de fonder, par l'évangélisation du monde arabe, un empire sans limites et la perte des dernières forces qui garantissaient l'autonomie du Portugal, qu'une légende est née de la défaite. Car le corps de Don Sébastien, disparu au cours de la bataille, n'a jamais été retrouvé. Et on raconte, depuis ce temps, que le « roi caché » reviendra pour fonder enfin le royaume du Christ sur la terre : le Cinquième empire.Le Cinquième empire de Manoel de Oliveira reprend la légende à son commencement et il se concentre autour d'une nuit. Pendant le jour et le long crépuscule qui la précèdent, le cinéaste dispose, l'un après l'autre, les éléments du drame. Puis le soir tombe, les ombres grandissent dans la chambre de Don Sébastien et des voix sortent du mur. Dialoguant avec l'assemblée des esprits que son délire convoque - Dieu, lui-même, ses ancêtres, le bouffon « patte courte » ou Simon, « le cordonnier saint » -, le roi prend la décision de partir à la conquête de l'Orient.Oliveira veut montrer la naissance du mythe. Pour cela, il invente essentiellement un moment dans ce film : celui de la décision qui fonde à la fois l'histoire et la légende. Nocturne, ce moment est aussi une scène à l'écran. Plus que la métaphore de l'obscurité qui dut habiter le jeune roi choisissant, entre une gestion raisonnable et la dilapidation sacrificielle des richesses, la seconde possibilité comme le plus sûr moyen d'accéder à la gloire, la nuit offre au réalisateur un cadre pour l'élaboration méticuleuse de son image. Il cherche un équivalent plastique à l'alchimie du fait et du rêve qui forme les légendes. Une origine de cette alchimie est pointée de façon ironique à l'ouverture, avec le plan de ciel longuement traversé par une étoile filante qui semble venir toucher le château où nous allons bientôt entrer. Il y a l'étoile et l'interprétation que font les hommes du passage d'une comète. Le fait et la légende. En travaillant l'image au point d'équilibre exact où la lumière cache - à proportion qu'elle dévoile - ce que le cadre expose, le cinéaste trouve cet équivalent plastique. Cela est particulièrement sensible dans le regard sur l'architecture. La magnificence du château jouit d'un supplément de mystère à l'écran, l'ornementation d'une porte aux courbes abondantes, les arcs d'une nef monumentale sont parés des prolongements rêvés que leurs formes suggèrent depuis l'ombre où nous les voyons se perdre.Cette plastique de l'évanouissement accompagne la fable cinématographique, comme les données historiques accompagnent la légende de Don Sébastien. Film absolument somptueux, inspiré et crépusculaire, tout dans Le Cinquième empire, les comédiens, les lieux, la perfection discrète du montage, de la mise en scène et du travail de l'espace, participe à l'élaboration d'une forme qui frappe par son élégance avant d'étourdir par sa richesse et sa profondeur.Le Cinquième empire
    Un film de Manoel de Oliveira
    Portugal, 2004
    Durée : 2h07
    Avec Ricardo Trepa, Luis Miguel Cintra, Gloria De Matos, David Almeida, Miguel Guilherme, Ruy de Carvalho, José Manuel Mendes, Luis Lima Barreto, Rogerio Samora, José Wallenstein…
    Sorie salles France : 4 mai 2005[Illustration : Le Cinquième empire. Photo © Gémini Films]
    - Lire la chronique de Parole et utopie (Manoel de Oliveira, 2000)
    - Lire la chronique de Je rentre à la maison (Manoel de Oliveira, 2001)
    - Lire la chronique du Principe de l'incertitude (Manoel de Oliveira, 2002)
    - Consultez salles et séances sur le site Allociné.fr