- Fluctuat
Avec ce second long-métrage Orso Miret souhaite réaliser un film personnel et, sans doute, la volonté de signature affirmée à chaque plan est-elle aussi ce qui fait la faiblesse du résultat. Plus distancé, "De l'Histoire ancienne" démontrait mieux, par l'étrange qualité de son rythme, par l'intensité toute en retenue du drame qui s'y nouait, la présence d'un auteur.
Pour Le Silence qui force, ce n'est pas la moindre de ses indélicatesses, à préciser toujours le nom du cinéaste (puisque c'est déjà le titre d'un film que Bergman réalise en 1963), Orso Miret retourne aux sources d'un paysage et d'une tradition qui ont forgé une grande part de sa sensibilité. Il plonge la caméra au coeur de la Corse dont les reliefs, panoramas et autres coins sublimes de nature intacte apparaissent d'emblée sous le double éclairage d'un espace à la fois intérieur et extérieur. Le village choisi pour le tournage est aussi celui où, raconte-t-il, il est plus qu'ailleurs le fils de sa mère : « mon attachement à la Corse passe beaucoup par ma mère - là-bas, je suis le « fils de ma mère » avant d'être le fils de mon père. » Orso Miret joue résolument la carte biographique pour poser le cadre de son scénario : un couple passe ses vacances d'été en Corse dans le village de montagnes dont la mère du jeune homme, Olivier (Mathieu Demy), est originaire. Tandis que sa compagne Marianne (Natacha Regnier), découpe son temps en siestes et baignades, trouvant entre la rivière, la maison et le paisible passage des jours, un rythme accordé à celui « naturel » de la gestation que son corps est en train d'accomplir, puisqu'elle est enceinte de trois mois, Olivier, pour qui la paternité n'est encore qu'une réalité abstraite, se trouve submergé par les fantasmes liés à son sens culturel. Ainsi, cherchant à prendre place dans la communauté des hommes (les pères), il participe presque quotidiennement aux longues battues matinales qui préparent, si la chance sourit aux chasseurs, la mise à mort d'un ou plusieurs sangliers Mais bientôt, témoin d'un meurtre, il doit faire face à un autre aspect de la culture qu'il tente de rejoindre : la loi du silence.Comme les deux personnages principaux, étrangers au lieu mais plongés dans le paysage, au cours du film, le spectateur est confronté à une tradition jalouse de son indépendance et cependant ouverte, accueillante, au prix d'une initiation dont la douleur ou la difficulté ne doit pas rebuter celui qui se soumet à son déroulement rituel. Sont-ce des poncifs ? Les éternels arguments d'une authenticité qui fait le bonheur des agences de voyage ? Le très beau plan de lune pleine et rayonnante entre les montagnes noires et le ciel marine, monté deux nuits de suite (!), ne recule, en tout cas, devant aucune concession à l'esthétique pour mieux vendre ce que la mise en scène réduit alors aux dimensions d'un produit : la Corse, territoire magique où toutes les nuits la lune est un parfait disque d'argent.Par ailleurs, le cinéaste lie la représentation de cette culture à une thématique de l'enfantement, désarmante de simplicité, où la parole longtemps retenue est ramenée au cri inarticulé du nouveau né. Car le silence d'Olivier, on le comprend, perturbe sa relation avec Marianne et compromet la venue de l'enfant, tandis que sa parole le protège tout en affirmant son identité. Ainsi, en un vertigineux mouvement régressif, se confondent le cri du nouveau né et la parole de l'homme libre, c'est-à-dire aussi, gestation et création. Est-ce un poncif à l'horizon duquel les femmes sont une fois de plus destinées à enfanter des hommes, seuls capables d'enfanter les oeuvres ?Le Silence
Film couleur, 104 min, 35 mm, scope, DST Numérique, France
Réalisation : Orso Miret
Scénario : Orso Miret, Roger Bohbot, Agnès de Sacy
Principaux interprètes : Mathieu Demy, Natacha Régnier, Thierry de Peretti, Muriel Solvay, Agnès Massei, Pierre-Marie Mosconi, Didier Ferrari, Laurent Barbolosi, Olivier Guglielmi
Sortie en salles le 29 décembre 2004[illustrations : © Les Films du Losange]
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- Lire la chronique du film De l'histoire ancienne d'Orso Miret (2000)
- Lire l'entretien avec Orso Miret à propos De l'histoire ancienne (2001)
Le Silence